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Billet de blog 25 avril 2008

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Manchette : un coup de pied dans la fourmilière

Le Journal inédit (1966-1974) de Jean-Patrick Manchette (Gallimard) est un événement. L'auteur de Nada décide de vivre de sa plume : galères sans fin et regard noir sur la société. Il se plaint des mauvais films, de la fatigue, des autres, des mauvais livres, de sa mère. Et c'est sa vie même : passionnante, ennuyeuse, laborieuse.

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Le Journal inédit (1966-1974) de Jean-Patrick Manchette (Gallimard) est un événement. L'auteur de Nada décide de vivre de sa plume : galères sans fin et regard noir sur la société. Il se plaint des mauvais films, de la fatigue, des autres, des mauvais livres, de sa mère. Et c'est sa vie même : passionnante, ennuyeuse, laborieuse. Il enseigne ce qu'est être un écrivain : avoir un oeil critique. Aurélien Masson, 32 ans, directeur de la Série noire, parle de son "Journal "

-Qu'est-ce que vous avez découvert de Jean-Patrick Manchette en lisant son "Journal "?

"Tout d'abord que de vivre de sa plume, hier et aujourd'hui, est une question complexe pour un écrivain, toujours tiraillé entre divers projets pour essayer de boucler les fins de mois. L'angoisse pécunière est bien présente tout au long de ce Journal.

Ensuite, j'ai découvert un grand critique littéraire et cinématographique. Un homme curieux, les yeux perpétuellement ouverts et à l'affut, un esprit vif, un franc-tireur. Amusant de voir également qu'il était un lecteur assidu d'Elle et du Figaro, comme quoi...

Petite suprise grinçante, enfin, de voir que le mois de Mai 68 est rapidement survolé. Manchette présente juste les faits, rapidement, comme si l'essentiel était ailleurs (cf. ses réflexions passionnantes et visionnaires sur les banlieues)."

-Est-ce qu'il a encore des héritiers ?

"Comme dirait la chanson "on a tous en nous quelque chose de Jean-Patrick Manchette". Avant lui, le polar français, c'était soit le polar psychologique et intériorisé à la Simenon ou alors l'étude microscopique d'un petit milieu comme dans les livres de Simonin. Manchette, c'est un coup de pied dans la fourmilière, une tornade qui ébouriffe et balaye tout. C'est l'entrée de la Politique, de l'Economie et du Social. (cf. les premières pages du Petit Bleu de la Côte Ouest)

Sur ce point, tous les auteurs de polars des années 80 et 90 ont été marqués, chacun à leur manière, par Manchette. Il faut aussi reconnaitre que cet héritage a parfois trop pesé sur le polar français qui s'est enfermé dans sa posture socialisante. Certains se sont alors tournés vers le polar américain qui se contentait juste de raconter des histoires.

Toujours se méfier des héritages, il n'y a qu'un Manchette."

-Manchette a toujours lié litterature et engagement. Ca signifie quoi selon vous, pour un écrivain d'aujourd'hui, d'être de gauche ?

"Je trouve la formulation de la question assez étrange. Elle sous-entend que l'engagement renvoie à la gauche en général. La force du roman noir est de traiter ces questions d'engagement politique de manière complexe et fractale. En lisant le Journal, on découvre un Manchette de gauche, certes, mais aussi un homme extrêmement critique sur ce qu'ils appellent les idéologues de gauche (Sartre en prend particulièrement pour son grade). Il en va de même pour ses livres, certes il y a un engagement à gauche mais il y a aussi une fascination pour l'uniforme et l'ordre qui le décale des gauchistes traditionnels des années 70. N'oublions pas que Delon, qui n'est pas réputé pour ses visions de gauche, fut un très grand fan de Manchette qu'il adapta au cinéma.

Je ne sais pas ce que c'est qu'être un écrivain de gauche, ni de droite et encore moins d'ailleurs. Ce que je sais pas contre c'est que le polar est un genre "politique" et non "politisé". Un bon polar vous fait vous interroger sur le monde, vous pousse à le mettre en question, à le décrypter sans pour autant vous livrer clé en main un manuel de pensée. Pour moi tous les livres de Manchette, même les plus loufoques, sont des livres politiques."

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