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Christine Marcandier

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Billet de blog 25 novembre 2008

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Littérature

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Guide du voyageur interzygomatique

Avez-vous visité la Molvanie ? non ?! Il est temps de vous rattraper et de découvrir San Sombrèro, dans le Jetlag Travel Guide que nous proposent Santo Cilauro, Tom Gleisner et Rob Sitch.

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Ce pays ne vous dit rien ? C’est pourtant celui des carnavals, des cocktails et des putschs, une sorte de concentré d’Amérique centrale, une de ces destinations à la mode –hype pardon –, parce que risquée et authentique. Vous découvrirez dans ce guide l’histoire de ce pays, sa géographie, les lieux à visiter, les hôtels où loger, les restaurants des plus abordables aux plus chics. Le tout constituant une parodie hilarante de guide de voyage, entre Lonely Planet et Guide du Routard. 200 pages d’humour potache et de fous rires.

Cela commence dès la présentation des rédacteurs du guide, de Raoul Mykal, qui « a pasé des mois à enquêter sur le gouvernement » de San Sombrèro : « nous n’avons plus de nouvelles depuis six mois ; son travail est donc probablement publié ici à titre posthume » à Salina Haines, « experte en voyages & santé » qui « a attrapé la giardose, la dysenterie, le choléra, la fièvre jaune et quasi tous les maux gastro-intestinaux connus de la médecine. Elle a rédigé le chapitre sur l’art de rester en bonne santé entre deux séjours aux cabinets ». A la rédaction également, des spécialistes, de l’experte en écotourisme au voyageur professionnel, Philippe Miseree, dont nous suivrons, page après page, les conseils éclairés. A commencer par la devise de tout voyageur roots qui se respecte : « Si votre séjour à l’étranger n’est pas pénible et terriblement inconfortable, attention ! il risque de dégénérer en vacances ».

San Sombrèro est un tout petit pays, son point culminant est le Volcan Tenoria, « le point le plus bas est Torill’s, une discothèque en sous-sol, au nord de Cucaracha City », un peu instable politiquement « en 10 ans, 17 présidents se sont succédé, le règne le plus court étant celui d’Alivio Vacrevez, assassiné à la moitié de son discours d’intronisation », à l’économie fragile, sans doute en raison des « 362 congés officiels (sans compter le long week-end du carnavale). Le guide passe en revue la vie quotidienne locale, les provinces principales, les grandes villes, les coutumes, regorge de conseils avisés (« Bon à savoir. Au restaurant, éviter le "menu enfant" : on vous servira un bébé »), propose la bio express des célébrités locales (comme celle de Silvio el Torrido, un des plus grands artistes de la chanson latino), des extraits de textes littéraires, des affiches de film :

Vous saurez tout sur les spécialités gastronomiques du coin comme les rotulos de huevos, friandise qui ressemble à de la réglisse, mais en caoutchouc ou le potaje, soupe à base d’ail frit, d’oignon et de piments que l’on « sert généralement avant le plat principal ou une coloscopie ». Peu de chance, en revanche, de déguster un bon café, il est intégralement exporté, « c’est donc en Europe qu’on a le plus de chance d’en trouver ».

Vous êtes plutôt vacances sportives ? outre le beisbol, bien connu, vous découvrirez le barro : version inversée du saut en hauteur façon Fosbury, il s’agit de passer sous la barre, le record national étant de 6,23 cm. Vous préférez la nature ? vous ne sauriez ignorer que l’emblème du pays est le cactus flûté (cactos godmichos). Et quelle que soit votre activité favorite sur place, ayez la bonté de suivre le conseil du guide : « il faudrait que les femmes arrêtent de s’habiller en blanc. Rien à voir avec la sécurité. Ça les grossit, c’est tout ».

Fan de journaux, avides de découvrir la presse locale ? vous pourrez vous désintoxiquer de Mediapart en parcourant El Propagando :

« Le journal officiel du pays El Propagando est un quotidien qui célèbre sans vergogne les initiatives du gouvernement et la sagacité du Président en matière d’économie. Toutes les rubriques vont dans ce sens, y compris les horoscopes, où il n’est pas rare de lire des formules du type : Verseau. Un changement favorable va avoir lieu, aussi positif que les réformes lancées par le gouvernement…

Certaines tentatives ont été faites pour contrebalancer cette approche et on trouve parfois dans El Propagando des articles critiquant le Président (accompagnés de la nécrologie du journaliste qui en fut l’auteur) ».

De toute façon, vous n’aurez pas le choix. Il sera difficile de consulter Mediapart en ligne depuis San Sombrèro, parce que les messages sont contrôlés, les flux filtrés, et « les connexions Internet sont si lentes qu’il est souvent plus rapide de débrancher son ordinateur et de livrer en personne le disque dur ».

Qui sont donc les auteurs de ce voyage en zygomatie ? trois loustics australiens, issu d’un groupe satirique, le Working dog. Des déjantés, spécialistes du grand détournement, du décalage potache. Déjà auteurs d'un guide de la Molvanie (Flammarion, 2006). C’est désopilant, cultissime. Entre absurdité et subversion. Car nul doute, un vrai discours sur le tourisme, ses codes et ses ridicules se donne à lire entre deux sanglots (de rire).

Vous hésitez à partir ? vous ferez le bonheur de Helena l’écolo, une des conseillères du guide. Consciente que tout voyage exerce un impact sur l’environnement, elle conclut avec un pragmatisme à la mesure de son bon sens : « les voyages qui m’ont le plus apporté sont ceux où j’ai finalement décidé de ne pas y aller »… A défaut de vous envoler sur "Air May-Day", compagnie aérienne locale lo-costas, dévorez ce livre, au sens propre, puisque les 20 dernières pages, « en cas d’urgence », sont toujours comestibles. Et soyez définitivement convaincus que partir, avec un jetlag travel guide, c’est mourir (de rire pas qu’)un peu… Et attendez, comme moi, avec impatience les prochaines sorties pour choisir votre future destination de vacances : les Emirats Arabes Punis ? la Costa Lezios de la Teta (bande littorale ultra-sélecte située entre l’Italie et la France dont « on n’est résident que de naissance ou en devenant pilote de Formule 1. Devise officielle : le jeton de casino ») ? les Îles Barbituros (naguère appelées Tripoté-et-Lombago, destination rêvée pour les « dingues du masque et du tuba. La plongée sous-marine y est si populaire qu’au dernier recensement, 3 % de la population était officiellement considérée comme "immergée" » ? ou le Tyranistan, un de « ces rares pays que Genghis Kahn a eu peur d’envahir », à parcourir de sa capitale, Vladivodka, aux contreforts de Loural ?

En attendant, je retourne à San Sombrèro. Pour quelques heures. Comme la Molvanie, c’est un « pays que s’il existait pas, il faudrait l’inventer ».

San Sombrèro, de Santo Cilauro, Tom Gleisner et Rob Stich, traduit de l’anglais (Australie) par Nicolas Richard, Flammarion, octobre 2008, 200 p., 15 €

Prolonger : le site http://www.jetlagtravel.com/sansombrero/ Dans la même série :

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