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Billet de blog 26 mai 2012

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Maryline Desbiolles, Dans la route

Le titre du dernier livre de Maryline Desbiolles évoque, irrésistiblement, d’autres rubans. La Route de Cormac McCarthy, Sur la route de Kerouac. Nul univers post apocalyptique, nulle beat generation mais cette attention minutieuse, acérée aux objets et aux choses qui trame son univers romanesque.

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Illustration 1

Le titre du dernier livre de Maryline Desbiolles évoque, irrésistiblement, d’autres rubans. La Route de Cormac McCarthy, Sur la route de Kerouac. Nul univers post apocalyptique, nulle beat generation mais cette attention minutieuse, acérée aux objets et aux choses qui trame son univers romanesque.

Après La Seiche, Le Petit Col des loups, Les Draps du peintre ou La Scène, Maryline Desbiolles focalise son regard sur une route en chantier, une route du Sud, qui relie Nice à Turin. La route est matière (poussière et lumière, cet « enrobé » qui recouvre le chemin), elle est « rond point », tissage de l’histoire collective (le sel, les contrebandiers, les faits divers, guerres et accidents) et d’histoires plus personnelles, intimes. Elle est une palette de couleurs, une partition musicale. Une sorte de « mille feuilles » à l’image des couches de chaussée que les ouvriers découvrent, éventrant l’ancienne route pour bâtir la nouvelle, ce moment où ils sont « dans la route » justement. Comme Maryline Desbiolles, dont le regard refuse de surplomber, reste au cœur du lieu, des êtres et des choses, qui déploie le ruban de « bitume, caramel enrobé de chocolat » dans ce récit court, dense et poétique. « Au début, on était au bord », ouverture du texte, phrase récurrente, résurgente, qui rythme le texte, tisse sa musicalité. Le livre est cette route, les phrases qui se tendent, parfois sur plusieurs pages, paragraphes ramassés, figurant l’objet écrit.

Illustration 2

La route, ou un fragment de route, 150 mètres explorés, parcourus, mis en échos, est ce qui rassemble évocation de personnages (Sasso, la Thomas, Gaby, Reine), anecdotes et faits. Une forme de pré- ou de contexte, lien du quotidien et du poétique, de ce parti pris des choses aux accents politiques aussi : « Et c’est sans doute ce qu’il regarde, des hommes qui peinent comme ils ont peiné, sa femme et lui, sur ce même bout de route. Qui peinent et qui s’appliquent, même si ce sont tous des Arabes, des Tunisiens sans exception, sauf le chef de chantier, un blond très blond ».

Parmi eux Mana, « vieux type buriné dont le bonnet cache les cheveux blancs », « il a pris sa retraite de l’entreprise à soixante-quatorze ans, il y a quatre ans » mais « il travaille toujours, mais comme intérimaire, sa retraite est trop maigre ». L’engagement de Marilyne Desbiolles n’est jamais dans le discours, l’emphase ou la leçon. Elle touche, juste.

Elle concentre un espace d'écriture autour d’une route, « le territoire tourmenté, montueux, des Alpes-Maritimes », par touches et éclats. Elle narre dans ce livre qui n’est pas un roman, bien plus qu’un roman, tant chaque phrase déploie un univers. Un récit ? Une enquête ? Ce n’est pas « le Paradis, et c’est heureux car rien de plus déprimant que le Paradis ». C’est un moment magique, fait de « pas », de gens qui comme « les cascades soudain ont voix au chapitre », de récits, de racines, « comme un souffle chaud, consolant, au cœur de l’obscurité ».

Maryline Desbiolles, Dans la route, Fiction&Cie / Seuil, 140 p., 16 € 50.

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