Marcus de Sautoy est un mathématicien chevronné doublé d’un pédagogue hors pair et d’un écrivain inspiré. Son premier ouvrage La Symphonie des nombres premiers nous avait séduits, le second sur l’insondable richesse de la symétrie achève de nous convaincre : explications inspirées de phénomènes complexes, riches développements des sauts « du coq à l’âne » qui s’établissent entre disciplines distinctes voire a priori très différentes dans le domaine mathématique, sans oublier des portraits à la plume fine de toute la gent mathématicienne d’une rigueur et d’une précision qui rappellent irrésistiblement la discipline d’origine de l’auteur.
Fin, et début
Avant d’entrer dans le vif du sujet, et de nous plonger dans les multiples aspects du problème à l'origine de ses recherches mathématiques (des symétries d’un ordre supérieur, en particulier une qu’il appelle « le monstre » et qui va prendre au fil du livre la consistance d’une démarche initiatique), Marcus du Sautoy nous livre une biographie express qui nous permet de l’interroger sur l’origine de ses passions. Il explique en effet qu’il n’était nullement prédisposé aux mathématiques, qu’il n’a choisies que par une sorte « d’incapacité sociale » à accepter l’incertitude.
Les mathématiques sont au contraire cet art fait de rigueur infinie, de démonstrations somptueuses, des chefs d’œuvre d’intelligence et de perspicacité. Très rapidement, l’auteur s’ouvre aux variations infinies autour de la symétrie et ses variantes inépuisables. Elle est partout dans la nature et mobilise une variété étonnante de secteurs des mathématiques.
Ce vertige, ces gouffres infinis, Marcus du Sautoy nous les fait parcourir avec une verve vivifiante. Il nous fait découvrir avec un talent certain les abysses mathématiques. Il en faut pour parcourir les multiples de la « conjecture moonshine » et du groupe monstre, une des constructions de la symétrie les plus complexes qu’on puisse rencontrer en mathématiques, puisqu’engendrée par un un espace vectoriel à 196 882 dimensions.
La définition rigoureuse de celui-ci nous entraine lui-même vers une perplexité stupéfaite : « le Monstre est visible comme le groupe d'automorphisme du module Monstre, une algèbre vertex d'opérateurs de dimension infinie contenant l'algèbre de Griess, et agissant sur l'algèbre de Lie Monstre , une algèbre de Kac-Moody généralisée ». Le génie de l’auteur est alors de réduire cette complexité en un ensemble rayonnant : les multiples présences attestées dans la nature ou les arts donnent toute la saveur poétique de l’ouvrage. Le monstre lui-même se retrouvant in fine dans la théorie des cordes, c'est-à-dire la description la plus aboutie (mais discutée) de l’univers et de ses multiples forces…
Le prochain lancé de dé
Un des plaisirs les plus subtils des mathématiques réside dans le procédé qui consiste à relier par des liens logiques des domaines qui n’ont a priori aucun rapport évident. Ainsi la symétrie, le hasard et les nombres premiers. Si on cite en même temps ces trois noms, le premier « outil » qui me vient à l’esprit c’est la « cryptographie », l’art de coder ou décoder un message.
Celle-ci utilise beaucoup les nombres premiers (comme « clé » permettant de rendre un message incompréhensible puis de lui restituer sa version originale) et utilise beaucoup le « hasard ». Il existe des cryptographies « symétriques » et « assymétriques » : dans le premier cas, la « clé » de codage et celle de décodage est la même, dans les cryptographies « assymétriques », il existe deux clés différentes, l’une pour coder et l’autre pour décoder. L’ouvrage revient également sur cette question, et donne quelques pistes de recherche.
Le palais de la symétrie
La symétrie se niche partout : dans les mathématiques, bien entendu, mais aussi dans la nature et dans la culture. Rien d’étonnant alors à ce que nous la rencontrions à foison dans les sciences et dans les arts. L’auteur nous fait une description très fine des frises de l’Alambrah, construites sur des symétries très élaborées. Il existe 17 sortes de pavages du plan, et toutes sont représentées dans ce palais, exemple insurpassable de l’art islamique. Mais l’auteur montre que d’autres symétries encore plus complexes sont présentes sur ce chef d’œuvre et nous les montre « en action » pour une ballade savante et curieuse. L’autre exemple dont traite longuement Marcus du Sautoy est le peintre et dessinateur MC Escher qui a consacré une bonne partie de son œuvre à la recherche de la symétrie dans l’art.
Mais cette symétrie rencontrée dans l’art se trouve d'abord dans la nature. Dans les cristaux par exemple (comme dans le dessin de MC Escher donné en illustration), mais souvent de façon plus subtile : par exemple, les abeilles se servent de procédés de « reconnaissance de forme » où la symétrie intervient de façon déterminante. Un passage également passionnant est celui où l’auteur traite de la question de la « chiralité », c'est-à-dire de la symétrie dans la nature, et en particulier dans la matière (chimie)
« La chiralité est la propriété d'un objet à trois dimensions non superposable à son image dans une symétrie par rapport à un plan.
L'étymologie du mot fait référence au fait que la main droite et la main gauche, bien qu'images l'une de l'autre dans une symétrie par rapport à un plan, ne sont pas superposables.
La présence d'un carbone asymétrique dans une espèce chimique est une condition suffisante mais non nécessaire pour qu'elle soit chirale.
Deux molécules chirales, images l'une de l'autre, sont dites énantiomères (l’énantiomérie consiste en l'existence, pour une molécule, de deux structures, images l'une de l'autre dans une symétrie par rapport à un plan). Elles ont les mêmes propriétés chimiques excepté les réactions chimiques faisant intervenir le centre chiral. »
Un des exemples surprenants de la puissance du concept de chiralité nous est donné par la catastrophe résultant de l’action non prévue de la thalidomide. La thalidomide est une molécule chirale dont l'énantiomère S est un calmant doux, alors que l'énantiomère R n'a aucun effet comme calmant, mais est tératogène (qui conduit à des malformations sur le fœtus). Il semblerait que le médicament soit administré sous forme d'un mélange racémique et à cette époque on ne connaît pas les effets secondaires irréversibles de ce tranquillisant.
De multiples autres exemples sont fournis, dans l’art et la nature, nous montrant que la symétrie est partout. L’ordre du monde est symétrique.
Trois petites notes de musique…
« L'univers est construit sur un plan dont la symétrie profonde est, en quelque sorte, présente dans l'intime structure de l'esprit », disait Paul Valéry. On verra progresser la recherche de Marcus du Sautoy en gardant sa devise à l’esprit. L’histoire avance par bonds, professent certaines conception de l’histoire faisant la part belle aux ruptures, discontinuités et révolutions. Celle que nous propose Marcus du Sautoy est en même temps marquée par son amour de la musique (auquel un chapitre est consacré, explorant les rapports entre symétrie et musique).
La musique, telle qu'analysée par Marcus du Sautoy, demeure en nous comme une mélodie faite de formules complexes, de théorèmes et de démonstrations, une note juste. C’est la sensation qui reste une fois le livre refermé. Vous vous êtes enrichi, avez découvert de multiples aspects de mondes à la fois familliers et étonnants. Demeure une « drôle de petite musique », sautillante, joyeuse et subtile faisant tout le sel de cet ouvrage délicieux.
Marcus du Sautoy, La Symétrie ou les maths au clair de lune, Editions Héloïse d'Ormesson, 2012, 519 p., 25 €
Petite bibliographie complémentaire
Boris Zhilinskii et Guillaume Dhont, Symétrie dans la nature, Presses Universitaires de Grenoble, 2011 — Un livre très universitaire, mais passionnant, sur la symétrie dans la nature.
Hermann Weyl, Symétrie et mathématique moderne, "Champ" Flammarion, 1997 — Plus axé sur les seules mathématiques, un livre extrémement pédagogique, mais moins poétique que celui de Marcus du Sautoy.
Quelques sites web :
Un pdf de 62 pages sur « la symétrie dans l’art, les science et la nature »
Un article de la revue «La Recherche» : « la nature préfère la symétrie »
Chou romanesco et intégrales curvilignes, un blog de math parmi les plus intéressants (j’y reviendrai) a consacré un billet au « groupe monstre », parfait de simplicité.