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Billet de blog 29 avril 2012

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Sarkozy : avant de disparaître ?

Avant de disparaître était le titre du dernier roman de Xabi Molia (Seuil, 2011). On y pense en ouvrant ce Grandeur de S, sous-titré 2007-2012, dates de pierre tombale, cinq années d’observation d’un quinquennat en poèmes.

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Illustration 1

Avant de disparaître était le titre du dernier roman de Xabi Molia (Seuil, 2011). On y pense en ouvrant ce Grandeur de S, sous-titré 2007-2012, dates de pierre tombale, cinq années d’observation d’un quinquennat en poèmes.

L’avertissement de l’auteur en ouverture du recueil surprend : « nous sommes tous sarkozyens ». La définition est plus claire une fois Grandeur de S refermé. La poésie est une arme : sous le dithyrambe et l’éloge de surface, la force corrosive du vers, la gifle de l’absence de rime (à l’image d’une politique qui se défait), le renversement et l’ironie. Le président annonçait mettre « le pays en ordre », « planer sur les quartiers, veiller sur les frontières », « être un président total », « devenir un principe de vie, une philosophie, une forme élémentaire » : « il allait s’ajouter à l’espace et au temps ». Sous les vers, les discours officiels, cités, mis en perspective, à peine amplifiés.

Illustration 2

Grandeur de S est la chronique poétique d’un quinquennat, cinq années répertoriées : « 1. Dans la ligne droite » à 5 (le Tout doit disparaître d'un inventaire ?). Les débuts, l’amour des électeurs, déjà les discours sur les musulmans et leurs baignoires, l’identité, Mai 68 « notre Armageddon » : « quelques-uns toussèrent devant ces énoncés, mais la majorité l’en aima davantage en vérité ». La France entre dans l’ère du tout ou rien, absence de nuance, « La France, on l’aime ou on la quitte ». La poésie, elle, joue d’ambiguïtés, de sens souterrains, de mines et pointes sous les mots. Tout met en écho et interroge : les poèmes, les caractères (ces mots en lettres capitales, slogans), les références ironiques (« Carla, c’est moi »). A vouloir incarner l’avenir en faisant appel au pire du passé, « il », S, s’embourbe, confisque la parole (« Nous parlons d’une seule voix / Une seule voix parlera pour nous »). Et la « poésie des lendemains » ne chante plus.

« Des chroniqueurs sentimentaux lui écrivaient une légende Est-ce Kennedy ? Est-ce de Gaulle ? Ce n’est rien de connu, c’est Lancelot dans Jean Moulin, c’est Jeanne d’Arc au masculin ». C’est beau comme une publicité pour Eram. Xabi Molia s’amuse beaucoup. Nous aussi. Rire jaune parfois, tendu, accents hugoliens, ceux des Châtiments, l’écrivain est lui aussi inspiré par « la Muse Indignation » du Hugo observant Napoléon le Petit. Ses diatribes se font fables : « Le loup et l’agneau (reboot) », listes (ces verbes que prononce le Président, « être partout et tout promettre »), litanies de première personne (je, moi, mon). C’est aussi la chronique d’un homme qui projette son image dans la femme qui l’accompagne, Cécilia (« je vous demande de l’aimer »), Carla (« Français ! j’aime et je suis aimé / Mon bienfaiteur est Mickey Mouse / Je lui dois ma nouvelle amie »).

Tout est dans Grandeur de S : le discours à l’Afrique, « Brice Beauty », la Princesse de Clèves, la « Nouvelle histoire de France », revue et corrigée par le président — un des poèmes les plus cinglants du recueil —, la conquête du monde à défaut d’une France qui ne le comprend pas à sa juste mesure, le monde sauvé de la crise, S se veut « happy end », le dauphin à La Défense jusqu’à la « Sark attack » de la nouvelle campagne, les « j’ai changé », « j’ai vieilli » et… « le printemps pour Marine ».

Avant de disparaître ?

Xabi Molia, Grandeur de S, Le Seuil, Fiction & Cie, 144 p., 14 € 50

Extrait :

(années 2000)
On l’aimait
En ce temps-là, le pays avait pour président un vieil homme fuyant, qui ne sortait de son palais que pour saluer la troupe ou visiter quelques amis anciens
Lui, au contraire, ministre bondissant, courait partout et se multipliait C’était un voltigeur de petit gabarit, mais endurant et opiniâtre Ses conseillers craignaient que le spectacle propos vociférants surtout, et une belle imitation du dindon qui se rengorge n’ennuie bientôt les foules    mais on avait, en ce temps-là, le goût de la répétition
Dans le pays, on exigeait un divertissement durable, une formule stable, un rendez-vous régulier Chaque soir, à vingt heures, le héros récurrent paraissait sur l’estrade On ne pouvait plus s’en passer
(en 2006)
Victoire, victoire, lui soufflaient ses conseillers C’est maintenant, il faut y aller
En ce temps-là, dans le pays, on se cherchait un chef nouveau pour remplacer l’ancien
Se sentant laids, vieux, fatigués, on rêvait aux gloires passées, à la jeunesse de l’Empire et à Napoléon
C’est le moment, dit-il, et il sortit sur le perron
TOUT VA CHANGER
TOUT EST NOUVEAU

(printemps 2007)
La campagne avait déjà duré cinq ans On n’était plus très sûrs d’avoir toujours envie des coups de poing donnés sans distinction On avait maintenant pris peur de la police, pris peur de lui aussi Mais on l’aimait, on l’aimait
J’ai changé, lança-t-il Dans mes acrobaties, je mets de la pondération Je suis calme et maître de moi J’aime tous les Français
Pour le prouver, il précisa quelques notions :
Les musulmans, dit-il, dans leurs baignoires assassines suffoquent leurs moutons avec des prises sarrasines
Mai 68, professa-t-il, fut notre Armageddon Enfin : On a l’identité qu’on a    Ah, prédestination !
Quelques-uns toussotèrent devant ces énoncés, mais la majorité l’en aima davantage en vérité
En ce temps-là, dans le pays, on avait fait le choix d’une position claire sur à peu près tous les sujets Clarifiez, chantait-on, clarifions Êtes-vous pour, êtes-vous contre ? Êtes-vous blanc, êtes-vous noir ? Ne vous encombrez plus de vos réserves hypocrites La France, on l’aime ou on la quitte
Au travail ! criait-il
En ce temps-là, dans le pays, on avait grande envie que les autres aient du mal, qu’ils souffrent eux aussi, qu’ils connaissent la frustration, la gueule ouverte et chaque jour le doute Simple souci d’égalité : ce qu’on avait raté, ce qu’on n’avait pas eu, la vie facile et l’abondance, on voulait s’assurer que personne n’y goûte On rêvait d’un pays de pénitents
Fainéants ! disait-il
En ce temps-là, dans le pays, on avait ce don merveilleux de comprendre, quand il criait : Les Français ne font rien !, qu’il parlait bien évidemment de tous les autres citoyens On se regardait soi en général comme un Français très fiable, un bon Français irréprochable, et c’était un don merveilleux
ABANDONNEZ ICI VOS SUSPICIONS INDÉLICATES
ABANDONNEZ ICI VOS DERNIÈRES RÉSERVES
VOUS ME RECONNAISSEZ DES QUALITÉS PRÉCIEUSES
SOYEZ FRANCS : VOUS M’AIMEZ

En ce temps-là, dans le pays, on aimait frissonner en lisant la presse illustrée
LE SCANDALE FRANÇAIS : ces mauvais citoyens aux fortunes indues
Les héritiers ? Non, non Les patrons parachutés ? Non plus...
VOICI LA VÉRITÉ : les pires accumulateurs, ce sont les RMistes, nouveaux capitalistes ventrus et avachis dans leurs HLM tout confort
Et moi je vais corriger ça, dit-il Le temps de la correction est venu