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Ben comme Laura sont rattrapés par leur passé : lui a dû laisser sa femme à Battersea pour venir s’occuper de son frère Bobby. Laura est revenue en Angleterre pour prendre soin de sa mère. Leur amour pourra-t-il renaître de ces épreuves, trouver une seconde chance? Ainsi résumé, «Jusqu’au dernier jour» pourrait sembler un roman sans relief. Il n’en est rien.
L’intrigue du roman de Patrick Gale pourrait donc tenir en quelques phrases : Ben et Laura se retrouvent vingt ans après. Ils ont été amants lorsqu’ils étaient étudiants, Ben a quitté Laura pour épouser Chloë, Laura a longtemps vécu à Paris et enchaîné les liaisons sans suite. Tous deux se croisent, par hasard, à Winchester. Le roman se déroule sur une journée, alternant les chapitres focalisés sur Ben et ceux centrés sur Laura, mêlant présent (les différents moments de cette «journée particulière») et souvenirs, en des retours en arrière sans logique forcée ni chronologie, liés à l’irruption d’images ou de scènes.
Mais la trame romanesque n’est pas le propos de Patrick Gale. L’auteur déploie son talent d’écrivain dans les nuances, les variations, ces chocs du passé et du présent, la fragilité des liens humains, tissés de hasards et de coïncidences, de leçons soudains surgies des souvenirs.
Pour Ben, «chaque rencontre [avec Laura] était une sorte de retour à la réalité». Elle lui apporte un «calme étonnant, une certitude, un sentiment d’adéquation au monde». De manière presque symétrique, Ben conduit Laura à quitter cette «fable» qu’elle «continuait à se raconter parce qu’elle la réconfortait et ne lui coûtait rien» : ne plus rêver à des possibles, vivre au présent. Tous deux sont confrontés, par la force d’une rencontre de hasard, aux petits arrangements qu’ils ont fait avec leur existence. Laura doit apprendre à perdre son indépendance, pour laquelle elle a pourtant chèrement lutté pendant des années. Ben doit à l’inverse faire preuve de caractère, pour se libérer des liens du mariage, de ses «devoirs». Le roman s’édifie sur ces jeux de miroir : masculin / féminin, présent / passé.

Patrick Gale ne démontre rien, il nous fait entrer au plus intime de ses personnages. Avec subtilité et une fausse douceur, pleine d’amertume et de venin, il déploie un «ici et maintenant» qui doit pourtant composer avec un passé qui revient par bribes et laisse éclater ses permanences. Au fil des pages se confrontent plusieurs superbes portraits de femmes qui cherchent leur place : Chloë, Laura et sa mère, l’excentrique Pr Jellicoe, universitaire. Entre obligations et désirs, choix et renoncements.
CM
Patrick Gale, Jusqu’au dernier jour [The Whole Day Through], traduit de l’anglais par Isabelle Caron, Belfond, 249 p., 18 €