
A l'heure où le débat sur l'identité nationale continue à faire rage et à attiser de vieux réflexes de xénophobie, il m'a paru judicieux de rappeler que la langue sait la plupart du temps se montrer plus ouverte et plus accueillante que la plupart de nos institutions et de nos administrations...
Qu'y a t-il de commun entre un abricot, un baldaquin, un divan, une fanfare, un pyjama, un tambour et une tulipe ? Entre un kiosque, du lilas, un baobab, une girafe, le signe arobase, de la bergamote ou de la percale ? Vous donnez votre langue au chat ? Tous ces mots, passés ou non par l'espagnol ou l'italien anciens, par le grec ou le latin, sont de filiation arabe, turque ou persane.
Les mots voyagent. Ils se rencontrent, se modèlent, s'enrichissent, laissent des empreintes, font des enfants illégitimes et métissés qui eux-mêmes, au hasard des exodes et des échanges, donneront naissance à de nouveaux vocables. Oui, la langue, malheureusement souvent plus que ceux qui la parlent, est bonne fille : elle est souple accueillante, ouverte aux emprunts, aux échanges. Ce qui au final, lorsque l'on demande aux mots, au hasard des rues où ils se baladent « vos papiers svp », pour les ficher leur origine étymologique dans des dictionnaires bien péremptoires... rend très aléatoire toute réponse.
A l'heure où l'on ne parle que difficultés d'intégration, choc des civilisations, et où la xénophobie sait se parer de multiples masques, ce « Dictionnaire des mots français d'origine arabe » de Salah Guemriche, journaliste et romancier, arrive comme un baume sur une plaie, comme du miel ou du jasmin dans un thé un peu amer. Car, comme le définit très joliment Assia Djebar, de l'Académie française, dans la préface de l'ouvrage, les mots, mieux encore que des « ponts », sont des « passerelles » entre les cultures, les univers, les « deux rives » entre lesquelles navigue le fils ou la fille d'immigrés.
C'est ce que nous découvrons au fil de ces 378 pages très documentées, qui, non contentes de se livrer à un simple recensement lexical de a (comme alambic) à z (comme zouave) de près de 400 mots d'origine arabe, en retracent le voyage, l'itinéraire, les pérégrinations, en auscultent l'intégration, la contamination à d'autres idiomes, en inventorient l'évolution orthographique, les usages anciens ou modernes et s'agrémentent d'une anthologie de textes d'auteurs divers et variés, de Rabelais à Houellebecq en passant par Gide, Morand, Gracq ou Jonquet. Tous ces écrivains, d'hier ou d'aujourd'hui, en ont usé, émaillé leurs écrits, comme nous tous, anonymes, en Monsieur Jourdain faisant de la prose sans le savoir, nous en fleurissons nos conversations. Parlez-vous l'arabe ? Le turc ? Le persan ? Non ? Si vous saviez, pourtant !
Si vous saviez que la « guitare » dont vous jouez, les « épinards » que vous détestez, la « douane » que vous passez, le « camaïeu » dont vous aimez jouer dans le choix de vos « chemises », ou la « bougie » que vous brûlez par les deux bouts ou non, tous ont des origines arabisantes, turques, ou persanes... Raquette ? Mazout ? Savate ? Typhon ? Zénith ? Idem. Eh oui, vous parlez l'arabe sans le savoir, un arabe qui, passé par maints méandres et ayant accompli tant d'arabesques dans nos différentes cultures et les différents siècles, a oublié lui-même d'où il venait. Des mots sans papiers. Des mots sur lesquels, on pose pudiquement un « probablement issu du grec ou du bas latin... » sans même se demander d'où ils pouvaient bien venir avant que grec et/ou le bas latin s'en emparent.
Le mal est désormais réparé : «Il n'y a jamais eu de langue sans alliage », nous explique, dès son introduction, intitulée fort à propos « la Mémoire de l'emprunt », l'auteur, qui a travaillé quatre ans à la rédaction de ce dictionnaire. Pour notre plus grand bonheur. Notre réconciliation avec nous-mêmes. Et la partie de « l'autre rive » qui est en nous.
Un ouvrage à picorer avec délices comme on savoure des « oranges » ou des cornes de « gazelle », blotti sur notre « divan ».
Dictionnaire des mots français d'origine arabe
De Salah Guemriche
Préface d'Assia Djebar, de l'Académie française
(Editions du Seuil, mai 2007, 35 €, 878 pages)
© Article déjà publié dans Le Monde du 15/06/2007 et reproduit avec autorisation du journal.