Parlez-vous l'obaldien verniculaire ? Non ? Et bien il serait temps de vous y mettre ! René de Obaldia, sémillant prince des mots, fête cette année ses 92 printemps. Celui qui se proclamait déjà centenaire à 40 ans ne cesse de clamer depuis son entrée à l'Académie française, en 1999, que « c'est tuant d'être immortel ». Mais, nous le savons, jamais l'humour n'aura d'âge. Hommage à un amoureux de la langue qui n'a cessé de jouer avec les mots, de les collectionner, de les déformer, de les inventer, de les tordre, de les faire danser, pour notre plus grand bonheur..
© Photo Lot
Quelques extraits d' « Innocentines » / Poèmes pour Enfants et Quelques Adultes (1969 - collection « Les cahiers rouges » - Grasset), l'un de ses quatre ouvrages de poésie...
Le plus beau vers de la langue française
« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin »
Voici, mes zinfints
Sans en avoir l'air
Le plus beau vers
De la langue française.
Ai, eu, ai, in
Le geai gélatineux geignait dans le jasmin...
Le poite aurait pu dire
Tout à son aise :
« Le geai volumineux picorait des pois fins »
Eh bien ! non, mes infints
Le poite qui a du génie
Jusque dans son délire
D'une main moite
A écrit :
« C'était l'heure divine où, sous le ciel gamin,
« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin »
Gé, gé, gé, les gé expirent dans le ji.
Là, le geai est agi
Par le génie du poite
Du poite qui s'identifie
À l'oiseau sorti de son nid
Sorti de sa ouate.
Quel galop !
Quel train dans le soupir !
Quel élan souterrain!
Quand vous serez grinds
Mes zinfints
Et que vous aurez une petite amie anglaise
Vous pourrez murmurer
À son oreille dénaturée
Ce vers, le plus beau de la langue française
Et qui vient tout droit du gallo-romain:
« Le geai gélatineux geignait dans le jasmin. »
Admirez comme
Voyelles et consonnes sont étroitement liées
Les zunes zappuyant les zuns de leurs zailes.
Admirez aussi, mes zinfints,
Ces gé à vif,
Ces gé sans fin
Chez moi
Chez moi, dit la petite fille
On élève un éléphant.
Le dimanche son œil brille
Quand papa le peint en blanc
Chez moi, dit le petit garçon
On élève une tortue.
Elle chante des chansons
En latin et en laitue.
Chez moi, dit la petite fille
Notre vaisselle est en or.
Quand on mange des lentilles
On croit manger un trésor.
Chez moi, dit le petit garçon
Nous avons une soupière
Qui vient tout droit de Soissons
Quand Clovis était notaire.
Chez moi, dit la petite fille
Ma grand-mère a cent mille ans.
Elle joue encore aux billes
Tout en se curant les dents.
Chez moi, dit le petit garçon
Mon grand-père a une barbe
Pleine pleine de pinsons
Qui empeste la rhubarbe.
Chez moi, dit la petite fille
Il y a trois cheminées
Et lorsque le feu pétille
On a chaud de trois côtés.
Chez moi, dit le petit garçon
Passe un train tous les minuits.
Au réveil mon caleçon
Est tout barbouillé de suie.
Chez moi, dit la petite fille
Le pape vient se confesser.
Il boit de la camomille
Une fois qu'on l'a fessé.
Chez moi, dit le petit garçon
Vit un Empereur chinois.
Il dort sur un paillasson
Aussi bien qu'un Iroquois.
Iroquois ! dit la petite fille
Tu veux te moquer de moi !
Si je trouve mon aiguille
Je vais te piquer le doigt !
Ce que c'est d'être une fille !
Répond le petit garçon.
Tu es bête comme une anguille
Bête comme un saucisson.
C'est moi qu'ai pris la Bastille
Quand t'étais dans les oignons.
Mais à une telle quille
Je n'en dirai pas plus long !
****René de Obaldia est né en 1918. Auteur de théâtre ( Génousie, Le Satyre de la Villette, Le Banquet des Méduses, L'Air du Large, Du vent dans les branches de sassafras ...), de romans ou de récits (Tamerlan des coeurs, Le Centenaire, Fugue à Waterloo...), il est aussi auteur de recueils de poèmes (Midi, Innocentines, Sur le Ventre des Veuves, etc.)
Pour en savoir plus:
René de Obaldia par Jérôme Garcin (Nouvel Obs 2008) :http://bibliobs.nouvelobs.com/20081204/9148/le-roi-rene
Obaldia par Obaldia: http://ddumasenmargedutheatre.blogspirit.com/archive/2009/04/29/obaldia-par-obaldia.html
Obaldia se confie à Elizabeth Antébi (Canal Académie 2006): http://www.canalacademie.com/Rene-de-Obaldia.html