
Ruralité, urbanité et imbécillité
Jean Bojko
Remarque N°1
Il a commis la faute de s’installer pour de bon dans la grande ville, lui qui vivait tranquillement à la campagne.
Il est devenu, de fait, un parfait imbécile….
Remarque N°2
Il a commis la faute de rester dans son village lui qui aurait pu s’installer dans la grande ville.
Il est devenu de fait, un parfait imbécile….
Résumé :
Une géographie de l’imbécillité peut réunir la ville et la campagne. L’imbécillité est un mortier social efficace. Il suffit pour cela de partager les valeurs devenues quasi- universelles de la connerie ambiante faite de gavage en tous genres et de préjugés aussi faciles à avaler qu’un soda - sandwich entre deux trains qui filent à grande vitesse. L’imbécillité est comme une flaque s’étalant lentement nourrie par des courants majoritaires coulant tous vers elle. L’imbécillité a son vocabulaire, ses pseudo-experts, ses médias, ses messes évènementielles, ses artistes, ses produits en tous genres. Le commerce et la publicité en sont le carburant essentiel.
Définition : l’imbécillité c’est une pensée qui voyage dans le train quotidien en ignorant le paysage et des raisons profondes du voyage.
Pause poétique n°1
Cueille cueille le linge
Que le vent fou baldinge
La jolie plie altière
Du bonheur dans la panière
Du bon du chaud du lourd
Sensations de velours
Des caresses pour l’hiver
Des baisers tête à l’envers
L’esprit fait d’adorables détours
Comme le vent qui court qui court
Voyons plutôt du côté du bonheur et de l’intelligence.
Remarque N°1bis
Il a eu l’idée géniale de rester dans son village lui qui aurait pu s’installer dans la grande ville.
Il est de ce fait parfaitement heureux….
Remarque N°2bis
Il a eu l’idée géniale de quitter la grande ville pour s’installer à la campagne.
Le voilà de fait parfaitement heureux…
Remarque N°3
Il a fini par faire des allers-retours entre la grande ville et la campagne sans jamais être tout à fait heureux…
Remarque N°4
Il a donné toute sa vie professionnelle dans la grande ville sans jamais imaginer que le bonheur pouvait être ailleurs…
Remarque N°5 (à compléter par le lecteur)
Pause poétique n°2
Dans la laitue
Et dans le persil commun
Dans la roquette
La ciboulette
La rouge blette
Et le jasmin
La pomme de terre
A l’horizon du lin
Sous l’ombre
Pansue arrondie
De la tomate
Dorment mille et une
Grosses blondes paresseuses
Aux cucurbitacées enlacées
Aux melons corsets délacés
Et parmi elles
O secret tut
La reine des glaces
Qui ouvre son cœur
Au jardinier qui passe
La pomme à l’arrosoir
Pour lui mouiller
Le fou foutoir
Pour donner de la teneur à mon raisonnement, j’aurais pu à partir de quelques chiffres vrais ou faux ( comme ceux de l’INSEE concernant le rapport en nombre d’habitants entre la ville et la campagne qui nous dit que 77,5 % des habitants, en France, vivraient en ville alors que selon l’institut de statistiques de l’Union Européenne la population de la France n’est urbaine qu’à 41,7% [1]) … quelques chiffres cités ici ou là …et en fleurissant mon discours de quelques de termes de circonstances ou carrément dans le vent, en Anglo-américain bien entendu, pour donner de l’épaisseur ( toute relative) à mon propos comme smartvillages, anglicisme calqué sur smartcities, nom qu’on donne au niveau international au métropole d’intérêt…. J’aurais pu , et pourquoi pas, dresser une géographie du bonheur incluant nécessairement la campagne au nez et à la barbe des grands décideurs ( tous installés dans la grande ville) persuadés que le monde est pyramidal et qu’on est mieux en haut qu’en bas , à la pointe plutôt qu’à la base, en altitude plutôt qu’au ras des jardins…le monde du pouvoir .
Pause poétique n°3
J’habite un jardin fait
De mots et de silences
Où le vent et la lumière
Se donnent rendez-vous
Pour s’embrasser secrètement
Tout est possible et les analyses, qui restent malgré tout des opinions, construites sur des méthodes qui traduisent déjà des opinions, ne font que donner une idée plus ou moins floue de faits qui, comme une route dans la brume ne permettent pas d’y voir à plus de cent mètres… C’est la force de conviction qui fait d’une opinion une (pseudo ?) réalité…en somme là aussi il est question de pouvoir…
Pour ce qui est des représentations c’est la ville qui donne le la…c’est la ville qui donne le ton…parce que tous Ceux et celles qui fournissent ces représentations ont été nourris au lait des métropoles, dans une France devenue à un moment de son histoire, jacobine… Et comme c’est l’allaitement qui donne la forme à la bête…Les esprits moutonnent et suivent…et la densification va son chemin, sans vergogne, avec tous les problèmes que posent les espaces restreints, les multitudes resserrées…
Pause poétique n°4
Visiblement le plouc
N'a rien de mieux à faire
Que de s'essayer sur une courge
A garder les pieds sur terre
Quand on connait la courge
Ses peines ses douleurs ses mystères
On a plus tôt envie de le voir
Le plouc, disparaître
Du vent et de l'air
Mais c'est qu'il tient, le bougre
En otage dans une main
Une pommodore
Et dans l'autre main le bougre
Un oxymore
Qui tout plouc qu’il soit
En somme fait du poids.
Toute représentation est politique…
On monte à la ville et on descend à la campagne ou en province. Là-haut tout est plus beau, les hommes, les femmes, les logements, les théâtres, les regards, la réussite sociale, l’amour même, nous dit le sociologue Jean Viard… On baise mieux et plus en ville…Car là-haut, contrairement à là-bas, ( il s’agit bien de haut et de bas dans les représentations de la ville et de la campagne) tout est plus propre, plus net, plus aseptisé, plus organisé…moins bestial, plus pensé, plus intelligent. Aller à la ville c’est l’assurance de parcourir ce chemin qui mène de la bête à l’Homme…de l’ignare au Savant…La ville c’est le summum de l’éducation… la ville sait tout…la ville est Tout. La ville est lumière et la campagne est ténébreuse…la ville nous transcende, nous magnifie, alors que la campagne nous mortifie et nous colle aux pieds et à l’âme. La ville c’est la jouissance, le plein …La campagne c’est l’ennui, la vacuité…
Ces représentations sont gravées dans les esprits…le pouvoir est en ville : la ville est capitale (tête) et méprise son corps rural. Et pourtant qu’est-ce qu’une tête sans le reste du corps ?
Comment en arrive-t-on là ?
Disons que la ville possède des miroirs de toutes sortes qui lui renvoient une image embellie d’elle-même alors que la campagne, qui en dispose tout autant sur la grande balance du « Il est où le bonheur ? Il est où ? » ne les utilise pas vraiment.
Pause poétique n°5
Ce n’est pas une ville
Qui sur ce bord s’étend
C’est une rumeur un vide
Comme un bruit persistant
Où s’enfilent des autos
Où s’ignorent les passants
Où des pensées glissent
Sous les roues du temps
Où s’écrasent les désirs
Où règnent des marchands
Qui chaque jour découpent
Dans les heures les minutes
Les taxes du moment
Les impôts de l’instant
Ce n’est pas une ville
C’est un empilement
De façades livides
De murs de ciment
Derrière lesquels s’agitent
Sur le lisse des écrans
Des créatures de rêve
Des sportifs des bolides
Des vendeurs de plaisirs
Des coupeurs de têtes
Des purgeurs de cerveaux
Chargés de faire le net
De passer le rouleau
De tout mettre au cordeau
La Ruralité, c’est comme la Gauche en politique. On peine à savoir où cela commence et où cela finit. En somme comment cela se définit. Car ici et là règnent des Gros et subissent des Petits. C’est comme en ville. La Ruralité n’est pas plus égalitaire et plus fraternelle…Elle n’est pas unitaire…Elle est aussi faite de contradictions et de luttes d’intérêts…Si bien qu’on peut être d’Extrême-Ruralité comme on peut être d’Extrême – Gauche , donc minoritaires (mais souvent avouons-le assez clairs, dans ce cas, avec ses convictions). Quant au Centre-Ruralité comme Ceux et Celles du Centre-Gauche , on peut se demander s’ils défendent vraiment le monde rural. Ceux –là sont dans le compromettant compromis qui consiste à prendre les Ruraux pour des demeurés qui n’ont pas su et ne savent toujours pas s’adapter aux valeurs et aux pratiques majoritaires et moutonnières qui ont cours dans le monde urbain…
Ils veulent nous faire courir, alors que la marche est et reste, pour nous, les Ruraux raisonnés et raisonnables, « le prodrome de la pensée ».
Ils veulent nous faire entrer dans une compétition qui n’a pas de raison d’être quand , modestes, bien adaptés à notre environnement, la plus grande part de nos plaisirs et de nos désirs sont à portée de main , d’oreille et de regard…
Nous ne sommes pas pour autant dans un univers clos…Tout nous intéresse, nous sommes curieux de ce qui se passe, notamment dans les métropoles…Parfois même, il faut l’avouer cela nous amuse et nous en parlons en buvant un verre de Sancerre dans le jardin, sous la tonnelle. Nous ne sommes pas insensibles pourtant aux drames liés à l’Urbanité. Et nous disons que la Ruralité (comme espace de vie mais aussi de réflexion créative) pourrait être la solution à nombre de problèmes sociétaux.
Pause poétique n°6
L’oreille posée
Sur le ventre bleu du ciel
J’écoute respirer les étoiles
Les espaces ruraux sont de véritables espaces … il y a de la place pour y semer des projets et des existences heureuses. Bien sûr considéré d’un point de vue urbain, ils peuvent paraître vides. Mais, nous les ruraux, nous savons que les campagnes sont pleines et que la moindre attention en quelque point que ce soit nous met en lien avec l’universel. Nombre d’entre nous, ont perdu cette relation privilégiée avec leur environnement et ce retrouvent de fait en situation de quémandage. Etre cultivé c’est d’abord avoir l’intelligence, la connaissance de ce qui se passe à ses pieds et autour de soi. Général au particulier ou particulier au général, le débat est un classique. Mais c’est à partir de soi que s’appréhende le monde même si il est bénéfique parfois de s’éloigner parfois de soi pour mieux savoir qui on est. Une culture qui n’a pas d’impact sur le proche et l’immédiat est une culture sinon morte du moins virtuelle.
Souvent les citadins, pour échapper à leurs conditions de vie prégnantes, viennent séjourner à la campagne. Les campagnes sont des lieux de vacances et de bien-être. Des lieux où l’on peut être bien à condition de ne pas désirer à tout prix ce qui ne se trouve pas en ces lieux. Faisons le catalogue de ce qui s’y trouve avant de faire le catalogue de ce qui n’y est pas…Voilà qui réserve des surprises.
Pour les gens des villes la campagne est une inversion, un contraire. Nous la rêvons complémentaire, les pieds sur terre, la tête en l’air. Et nous la savons nécessaire.
Pause poétique n°7
De part et d’autre de la route
Et par delà la ligne blanche
Des arbres rongés par le doute
Font l’amour du bout des branches
De part et d’autre des portables
Et par-delà tout ce qui se doit
Des amants des désirables
Font l’amour du bout des doigts
Un autre monde n’est pas possible mais une autre façon d’y vivre est toujours possible. Nous ne sommes pas condamnés à l’urbanité galopante. Nous ne voulons pas opposer ville et campagne. Nous voulons simplement rappeler qu’un choix assumé et raisonné peut nous faire échapper à l’imbécillité.
[1] Lettre ouverte au ministre de l’aménagement du territoire de Gérard-François Dumont (géographe)