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Billet de blog 10 janvier 2013

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Lutte des classes : des mots et des choses.

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J'ai voulu donner une chance supplémentaire à la discussion en publiant ici un commentaire rédigé sur le fil du très bon billet de Philippe Marlière :

http://blogs.mediapart.fr/blog/philippe-marliere/090113/les-terribles-aveux-de-jerome-cahuzac

Dans le face à face Cahuzac / Mélenchon, Mr Cahuzac dit : " la lutte des classes, vous vous y croyez toujours. Moi, je n'y ai jamais cru."

Je modulerais le discours ainsi : "lutte des classes ? je ne veux plus jamais employer ce mot."

Pour faire la politique qui se conforme aux désirs de ceux qui la "font", il faut d'abord s'employer à modifier le lexique : si on s'attache à refuser "la lutte des classes", on éjecte par là même, et la lutte, et la notion de classe.

Le bénéfice est immense : l'expression "lutte des classes" refusée devient du coup une sorte de fantôme paré de toutes les images violentes qu'on agite comme un épouvantail / les mots "lutte" et "classes" rejetés ensemble perdent peu à peu ainsi le droit d'être objets de pensée.

Je souligne aussi que dans le sondage publié par l'Huma, l'une des questions est :

Avez-vous le sentiment d'appartenir à une classe sociale?

Remarquons qu'il y a une différence entre : sentiment et conscience.

Un des enjeux actuels, à mon avis bien représenté par les mots de Cahuzac, c'est de diminuer toute chance de convertir un "sentiment" en "conscience". Une idéologie* s'accompagne toujours d'un lexique puis d'une pratique : si l'on poursuit le travail de brouillage du langage, on diminue par là même toute chance de prise de conscience : les mots n'ayant plus de portée claire, perdent leur poids et leurs effets possibles.

*Je rappelle au passage que le mot "idéologie" ici est employé pour désigner un allant-de-soi (= ce qui s'auto-justifie en évitant l'analyse).

Le brouillage est à l’œuvre depuis des lustres, et son processus est profond : au sein de l'entreprise, au sein de la société, un brouillage de la notion de "classes" opère, par exemple par le développement de ce qu'on nomme "classe moyenne" --> confusion des identités qui limite d'autant l'émergence de "consciences" de classes et rabote l'énergie conflictuelle.

Je donne juste un exemple au sein du monde de l'entreprise : la multiplication des segments de la classe ouvrière, le développement des employés, puis l'omnipotence des cadres et des ingénieurs et enfin la perte de repères pour l'encadrement et les techniciens en particulier...ceci sur fond de gestion par "flux tendu".

et aussi : un des "moyens" de se débarrasser des militants les plus actifs est de les occuper de façon quasi permanente dans des tâches de représentation de leur organisation ou des salariés dans une multitude d'organismes qui les éloignent de leurs collègues d'atelier ou de bureau. Quoique cela n'ait pas été le projet, les lois Auroux de 1982 ont largement participé à ce phénomène en institutionnalisant le syndicalisme.(ici une autre piste de réflexion : analyser les effets de toute institutionnalisation - gros sujet, très politique aussi !-)

et ceci encore, qui n'épuise pas le sujet : la "relation salariale" qui se met en place sous nos yeux avec la décentralisation des négociations salariales et la place croissante de l'individualisation salariale, ceci sur fond de crise de l'accumulation du capital ....

Il y a donc des processus complexes, et l'emploi des mots a sans doute intérêt à s'examiner en même temps qu'on cherche à comprendre les transformations réelles du monde du travail et des "lieux" de rapports de forces.

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