Ce dimanche 21 avril, nous avons fait l’école buissonnière – celle qui buissonne, qui respire, qui tend ses branches comme autant d’actes et de pensées vivantes – CAMédia avait réuni Isabelle Peloux, fondatrice en 2006, de l’école élémentaire du Colibri, aux Amanins – école active, soucieuse de donner aux enfants tous les outils de l’autonomie –, Chantal Evano, professeur de lettres, ayant mené toute une réflexion, une pédagogie et des formations irriguées par la gestion mentale et le souci des processus d’apprentissage, et Sébastien Rome, professeur des écoles-blogueur sur Médiapart, très engagé dans une pédagogie autoréflexive.
http://blogs.mediapart.fr/blog/sebastien-rome
Le samedi soir, nous avons regardé le film tourné à l’école des Amanins : Quels enfants laisserons-nous à la planète ? (d’Anne Barth) :
http://www.lesamanins.com/quelsenfants/
Et dimanche matin, nous nous sommes retrouvés autour d’un fil rouge : Comment restaurer, encourager l’autonomie du sujet ? Comment créer des processus qui rendent à chacun ce dont il est souvent dépossédé : la conscience et les moyens d’être l’acteur de son apprentissage ?
Au fil de la matinée, voici recueillies quelques idées qui ont circulé, donnant le sentiment très fort qu’il existe bien des gens et des lieux qui pensent et agissent l’école, dans un esprit de liberté et de respect de l’enfant.
Mettre en route une pédagogie « active » interroge chacun à la place qu’il occupe, mais aussi le système institutionnel dans lequel il agit, travaille. Si je devais dégager un point commun à nos trois intervenants, ce serait celui-ci : une forte dimension autoréflexive, analytique. Etant donné que dans toute relation éducative, l’enfant « chatouille là où ça fait mal » (I. Peloux), il est primordial que l’enseignant développe pour lui-même (et en équipe) une grande capacité à revenir sur ce qui s’est passé, pour démêler « le tien du mien », pour faire la part de la scène et de l’autre scène (scène plus cachée qui surgit lorsqu’on ne l’attend pas). Ainsi Sébastien Rome a expliqué comment il s’est saisi de son blog dans le Club de Médiapart, pour clarifier son travail, ses pensées, par l’outil de l’écriture. Isabelle Peloux et Chantal Evano ont souligné l’importance décisive du « dialogue pédagogique », ce moment singulier où le maître et l’élève reprennent un apprentissage et ses points de butée. C’est alors que l’enfant lui-même est amené peu à peu à développer à son tour une capacité d’autoréflexion au sein de l’apprentissage : je descends du vélo et je me regarde pédaler.
Chacun a également signifié que ce qui le guide dans le travail, s’articule à deux idées : l’expérience, comme confrontation à ce qui se passe, vaut par l’inédit qu’elle offre et qui doit se retravailler sans cesse (S. Rome a cité longuement le travail de L. Wittgenstein*) / le cheminement se fait d’autant mieux que cette expérience se conçoit comme une déclinaison de principes éthiques :
· L’enfant a naturellement le goût de comprendre.
· Il n’y a aucune fatalité qui vaille.
· Apprendre nécessite la conscience active que le savoir se fonde sur le doute (savoir écouter et questionner en son nom –> qu’est-ce que je peux en dire ?) : I. Peloux et S. Rome pratiquent les « ateliers de philosophie » dans leur classe.
· Une classe est une mini-société qui évolue d’autant mieux que ses membres coopèrent à sa fondation (première expérience politique du vivre ensemble) : cette coopération se fonde sur l’idée que la compétition doit faire la place à la stimulation collective, au partage. Le conflit n’est pas considéré comme un empêchement mais comme un autre terrain d’expérience, celui de la confrontation à ses émotions (ex : un temps est créé pour que la classe se centre sur son fonctionnement).
· Le maître doit assurer bienveillance et fermeté : l’adulte est responsable du cadre institué, il en est le référent symbolique, soucieux de la sécurité du groupe et des dispositifs à mettre en œuvre pour développer l’autonomie.
· Tout ce travail se fait en redonnant aux parents leur entière place : chacun prend sa part dans cette coéducation, le professeur a le souci de donner aux familles les moyens de comprendre ce qui se passe pour leur enfant dans ce lieu partagé qu’est une classe et dans les apprentissages en cours.
Les interventions entendues ce matin-là, et le dialogue avec la salle, outre leur richesse, m’ont laissé une impression de fond : pour valider une pratique et la pensée qui la fonde, il est fondamental de se soucier sans cesse de rendre visible, audible, compréhensible (autant que faire se peut) ce qui d’ordinaire, ne se dit pas, ne se montre pas et/ou ne se comprend pas.
*Ludwig Josef Johann Wittgenstein né à Vienne en 1889, mort à Cambridge en 1951, philosophe de la logique et du langage, mais aussi pédagogue, déclare : « Il faut sans cesse que je me plonge dans l’eau du doute ».
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