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« Je te souhaite bon courage. » « Il va te falloir beaucoup de courage. » « Nous ne sommes pas inquiets, nous savons que du courage, tu en as à revendre. » « Courageuse, tu l’es, tu l’as toujours été… » « On voudrait t’envoyer des brassées de courage… » « Allez, courage, on est avec toi ! »
Mots qui se veulent gentils, « encourageants », mots qui souhaitent, qui tentent d’entourer, de réchauffer. Mais qui bien souvent au contraire culpabilisent, emprisonnent, emmaillotent dans une sorte d’obligation de résister et portent en eux l’injonction, oh tellement sociétale, du « bien-se-porter »… La maladie se porte mal au pays du « vouloir-guérir-et-rester-jeune » effréné. Mots surtout qui bien souvent arrangent tout le monde parce qu’ils permettent d’éviter de parler. Le courage, ça peut éventuellement se « donner », se « partager », mais en aucun être « prêté », parce qu'il n'y a rien de tel pour fuir le problème et l'évacuer.
Ces « allez, courage » humides, balbutiés d’une voix sépulcrale entre vos joues et votre cou, c’est bien souvent encore très jeune, au cimetière ou dans une chambre mortuaire qu’on les entend pour la première fois. Ils sont la plupart du temps accompagnés de « maintenant, il va falloir vous serrer les coudes, aider votre mère/père… » On ne sait même pas qui les prononce, peut-être quelqu’un qu’on n’a jamais vu. On pique du nez vers le sol et, crucifié/e d’irréalité, on hésite : soit on le pousse lui/elle dans le trou, soit… on prend les jambes à son cou.
Puis vient le moment où la terre s’ouvre sous vos pas. Lui, Elle, Celui qui, Celle que, enfin La personne sans laquelle vous n’imagineriez même pas un seul instant pouvoir vivre, allongé/e là, dans un lit d’hôpital trop froid, malade et peut-être même condamné/e. Vous lui tenez la main et lui murmurez « on va se battre, je suis là». Il ou elle vous répond « c’est quoi se battre ? Tu le sais bien, je n’ai jamais su le faire, c’est toujours toi qui t’es battu/e pour moi. » Alors vous répondez « quoiqu’il arrive, je serai là… » « Même si ce que je te demande, c’est… ? » vous demande, quasiment inaudible, la chère petite voix. Et vous vous entendez répondre sans hésiter un seul instant « même si, bien sûr ! »
Est-ce du courage de décider qu’on irait jusque là ? Non, c’est juste de l’Amour. C’est l’Amour qui fait que pour lui, pour elle, vous iriez jusque là… Le courage, ce sera pour après, quand il/elle ne sera plus là. Pour le moment où toutes les nuits vous pleurerez de n’avoir pas pu échanger vos places : vous, partie/e en fumée et lui/elle, désespéré/e mais toujours là… Le courage, c’est maintenant qu’il va vous en falloir. Et justement, vous n’en avez pas. Ou plus, si vous en avez jamais eu… Juste envie de n’être plus là.
Ou bien alors, justement, c’est vous qui êtes allongé/e dans ce lit d’hôpital trop froid. Courage, on vous dit. Du courage, tu en as. Cette fois, il va t’en falloir des tas. Mais ça tombe à côté de la plaque car vous ne vous sentez pas vraiment concerné/e. Ce n’est pas vous qui êtes malade, c’est un/e autre, quelqu’un d’extérieur à vous. La troisième personne du singulier, celle-là même qui vous aide si souvent à vous distancier. Vous, vous ne souffrez même pas. Vous voyez défiler les farandoles de chariots, de perfusions, d’appareils à tension, d’aérosols, de bonbonnes d’oxygène, d’examens divers et variés et observez tout ça d’un regard presque amusé. Ainsi, on « lui » fait tout ça ?
Bon, c’est bien. Vous vous en êtes sorti/e. Tout le monde vous félicite. Vous vous êtes bien battu/e. Vous savez bien que ce n’est pas vous qui avez guerroyé contre la maladie mais le staff entier de toubibs, de chirurgiens, d’anatomopathologistes, d’infirmiers, plus bien sûr l’entourage, la peur de décevoir ceux que vous aimez en baissant les bras, mais tant pis. Vous prenez le compliment pour votre pomme. Drôle de pomme, d’ailleurs, quasi-méconnaissable avec ses larges yeux cernés, ces bleus sur les bras, sur les jambes, sur le dos, ces traces d’adhésifs mal effacés et ces cicatrices que vous ne connaissiez pas… On vous traite comme si vous veniez de remporter le marathon. Mais bon, pour le moment rémission. Vous n’allez pas bouder votre plaisir !
Car c’est vrai, le médecin-chef qui vous suit depuis plus de deux ans vous l’avait dit: autant être honnête, en matière d’oncologie (j’adore le mot !), il y a des rémissions, parfois courtes, parfois longues, parfois même très longues, mais il n’y a pas à proprement parler de guérison. On vit avec, parfois 1 ou 2 ans, parfois 15 ou 20 ans, comme on vit avec des yeux plus ou moins écartés, des épaules carrées ou en bouteille de Sylvaner, des plantes de pied plus ou moins plates ou creusées.
Alors vous ne pouvez vous empêcher de penser : et si ça recommence vraiment, je fais quoi ? Je repars pour un tour et me refais charcuter ? Je me lance dans tel ou tel autre traitement dont on ne connaît pas encore vraiment les résultats mais que tout porte à espérer et patati et patata ? Ou bien je laisse tout tomber et tente de profiter au jour le jour du temps qui m’est encore gracieusement donné ? En prenant, si possible, quand même le temps de voir une aurore boréale parce que
Seulement voilà : il faudra alors l’annoncer à ceux que ça risque d’effondrer. Il leur faudra du courage, bien sûr. Je ne sais pas.
Mais l’aurore boréale