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Carnets d'Europe

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Billet de blog 2 août 2025

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Ancien journaliste. Secrétaire général du Comité Européen Marseille.

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Droits de douane USA-UE : après les menaces, l'accalmie… jusqu’à quand ?

L’Union européenne et les États-Unis ont conclu un accord commercial à Turnberry en Écosse, le 27 juillet dernier. Aux yeux des Américains, leur pays en sort grandi. La politique de Trump est un triomphe… « golf courses » !  Pour les Européens, c’est mi-figue mi-raisin. Maintenant les deux parties s’accordent un répit... Le calme avant la tempête ?

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Illustration 1
Les 26 et 27 juillet 2025, Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, s'est rendue en Écosse, sur invitation de Donald Trump, président des Etats-Unis, pour discuter des relations commerciales transatlantiques © Co-opérateur(s): Fotograf: Fred Guerdin Union européenne, 2025.

À Turnberry en Écosse, à proximité du terrain de golfe propriété de Trump , Ursula von der Leyen a sorti l’Union européenne du « bunker ». Mais à quel prix ?
 Les politiciens français sont révoltés, indignés par « la soumission de l’Europe aux États-Unis ».
« Comment... ? Sans aucune contrepartie, l’UE se voit imposer des droits de douane de 15 % sur ses exportations….  Et pas moins de 600 milliards de dollars d’investissements supplémentaires… et 750 milliards de dollars d’énergie à acheter à l’oncle Sam ! »
Ces deux dernières concessions soulèvent des tollés. Sur son site, la commission européenne précise que « des entreprises de l'Union ont manifesté leur intérêt à investir au moins 600 milliards de dollars (environ 550 milliards d'euros) dans divers secteurs aux États-Unis d'ici à 2029 ». Afin de « garantir un accès fiable à des sources d'énergie essentielles et à des fournitures orientées vers l'avenir l'Union a l'intention d'acheter aux États-Unis du gaz naturel liquéfié, du pétrole et des produits énergétiques nucléaires pour un montant estimé à 750 milliards de dollars (environ 700 milliards d'euros) durant les trois prochaines années. Ces achats contribueront à remplacer le gaz et le pétrole russe  sur le marché de l'Union. L'Union a également l'intention d'acheter pour 40 milliards d'euros de puces d'IA essentielles au maintien de son avance technologique ».
L'accord est « juridiquement non contraignant », il est donc avant tout « politique ». Il possède la valeur d'un  « Gentlemen's agrements ». Mais Donald Trump sait-il se comporter en  « gentleman » dans les relations internationales... ou avec ses adversaires politiques ?

« L’ami américain » se dit satisfait de l’accord



Le président américain s’est dit satisfait. Il a qualifié l’accord commercial « d’important ». Selon lui, le « deal » est gage « d’unité et d’amitié » Quelles obligations l'UE a-t-elle contractées pour mériter l'amitié de Trump ? Et l'unité avec les États-Unis ? La Défense ne concerne normalement pas la commission, mais cette dernière est seule habilitée à traiter au nom de tous les États de l’Union européenne en matière commercial. Il est grandement vraisemblable qu'un accord de ce type possède des implications  pour la défense de l’Europe. D’autant que les Américains ont  l’habitude de lier intérêts économiques et soutien militaire .
Alors, on fait de nouveau vraiment « ami-ami » au sein de l’Otan ? Terminé l'abandon américain intempestif, synonyme de désertion, sur les théâtres d’opération… ? 

La recette de Trump

À l'extérieur du pays comme à l'intérieur : inspirer la peur


En attendant, la politique de « l’ami américain » reste d’inspirer la peur. Pas seulement avec des droits de douanes et des demandes inconsidérées. Dans son pays-même, en terrorisant les immigrés clandestins (1). 

De son côté, la présidente de la commission salue un « bon accord » qui apportera la « stabilité ». Trump a rangé les poignards. Et l’Union européenne a sauvé les meubles. Vraiment ?

La commission européenne était-elle compétente pour signer ce « bon accord » ?

Avec un taux de chômage oscillant entre 4 et 4,2%, les États-Unis ne sont pas en crise et la bourse se porte bien... Pour l'économiste Christian Saint-Étienne, c'est la preuve que l'origine du déficit public gigantesque que Trump veut combler ne provient pas des échanges avec ses partenaires. À croire que Trump fait une erreur de diagnostic. Les Américains surconsomment, vont-ils « sur-surconsommer » ? Ils vont vouloir écouler leur surproduction... vers quels pays ? Tous les États recherchent des débouchés pour leurs productions ! Tous ont soif d'exportation. Les États-Unis représentent le plus grand marché mondial mais leur dette publique est une source d'inquiétude pour les autorités américaines. Voilà le problème ! Pour Trump, qui pénalise les importations par des droits de douane, il faut aussi produire plus pour  réduire le déficit de la balance commerciale. Son solde négatif se répercute lourdement sur la balance des paiements, augmentant ainsi la dette américaine. Les taux augmentent, un handicap pour les investisseurs américains. Il suffit d'augmenter les droits de douanes et d'obliger les étrangers à investir sur le territoire américain. Quatre-vingt-dix pour cent des bénéfices issus de ces investissements resteront aux États-Unis. Les Européens n'auront le droit qu'à 10%. Avec cet accord commercial, joint à la Grande et Belle Loi ("One Big, Beautifull Bill"), déjà approuvée par le Congrès, il pense réussir la réduction de dette publique et restaurer la "Grandeur" de son pays. Les États-Unis, assurent beaucoup d'économistes, vont récolter l'inflation et éprouver des difficultés à écouler leur (sur)production. Or, les Européens ont accepté cet accord avec Trump... pour écouler leur propre production ! Il y a pour le moins un bug. Qui va duper l'autre ?  « Cette décision d'investir aux États-Unis ou d'acheter ne relève pas de la compétence de la Commission mais des entreprises » fait remarquer l'ex commissaire européen Thierry Breton sur LCI. 
Cet investissement massif de l’Europe vers les États-Unis, s'il n’est pas honoré, peut servir de prétexte à Donald Trump pour infliger des sanctions à cette UE qui continuerait... « d'entuber » les Américains, pour parler comme le « gentleman ».

En France, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche, tout le monde monte sur ses grands chevaux. Mélenchon, Retaillau et Bardella galopent comme un seul homme de Munich à la forêt de Compiègne, verbe haut dans le vent des médias.
Le premier ministre français, François Bayrou , prend acte de la défaite. Il affirme que « c’est un jour sombre que celui où une alliance de peuples libres, rassemblés pour affirmer leurs valeurs et défendre leurs intérêts, se résout à la soumission ».
Les « valeurs »…  Lesquelles ? Celles des députés de l’Assemblée Nationale qui autorisent, en conformité avec la législation européenne, les agriculteurs à faire usage de pesticides dangereux pour la santé, pas seulement celle des abeilles, ces merveilles de la nature qui constituent aussi un pilier de l'économie française, et qui meurent par centaines de milliers sous l'action des néonicotinoïdes... ?
Quels intérêts ? Ceux de ces « grands agriculteurs » qui exportent grâce aux subventions européennes ?

Le chantage américain à la peur a payé

Les responsables de l’Italie et de l’Allemagne, les deux premières puissances industrielles de l’UE, sont plus réservées.

Selon Georgia Meloni, « on a évité le pire, car une escalade commerciale entre l’Europe et les Etats-Unis aurait eu des conséquences imprévisibles et potentiellement dévastatrices. » 
Elle considère l’accord  comme « juridiquement non contraignant et général… Il constitue une base viable, après quoi il faudra évidemment entrer dans les détails… La présidente de la Commission, précise la cheffe du gouvernement italien, a clairement indiqué que certains secteurs étaient particulièrement sensibles. Je pense par exemple aux produits pharmaceutiques, aux voitures (...) Il faut vérifier quelles sont les exemptions possibles, en particulier sur certains produits agricoles » (déclarations relevées sur Allnews , « le site de la finance suisse dans les médias »).
En Allemagne, le chancelier Friedrich Merz n’affiche pas un grand enthousiasme pour ces 15% de droits de douane. Une semaine avant l’échéance, il en connaissait le montant… comme Emmanuel Macron avec lequel il s’entretenait le soir du mercredi 23 juillet, à l’occasion d'un dîner de travail dans la villa Borsig, au nord de Berlin (info. reprise du journal Les Échos).
Le chancelier allemand a eu le temps de se faire une raison.
 Il qualifie l'accord de "réaliste".
Même si  « le pire a pu être évité, notamment pour l'industrie automobile qui était frappée de taxes de 27,5 % depuis avril », se félicite le chancelier Merz, la puissante fédération de l'industrie allemande (BDI) exprime à l'encontre de l'accord conclu par Ursula von der Leyen une forte réserve.
L’Allemagne est au troisième rang mondial pour les exportation, elle occupe le premier en Europe. Son excédent commercial annuel, s’établissait en 2023 à à 280 milliards d’euros ; c’est le premier au monde, devant celui de la Chine.
Partout en Europe, de plus en plus de voix s’élèvent pour clamer leur indignation : le  maître-chanteur est parvenu parvenu à ses fins. Faire mousser sa politique et se faire mousser. Après l'avoir humiliée, il ne serait pas fâché de la désintégration, sinon la désagrégation de l'Union européenne.

Le président Emmanuel Macron non plus n’a pas apprécié l’accord commercial. "Nous n'avons pas été assez craints, nous n'en resterons pas là », a-t-il prévenu. Affaire à suivre.


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En savoir + sur l'accord grâce au club des juristes ("l'actualité sous le régime du droit").

"Accord douanier UE – États-Unis :  qui décide de la politique commerciale de l’Union européenne ?"

Sur le site de la Commission européenne

Explication de l'accord commercial conclu entre l'Union européenne et les États-Unis

Billet de Cuenod  - Club Mediapart
Accord Etats-Unis-UE : Chamberlinette » n'a pas pesé lourd face à l'Ogre ! 


PS : 

(1) Retour vers l'enfer

Historiquement les États-Unis d’Amérique se sont constitués sur un génocide et des massacres... Pas seulement celui des bisons, préciserait un Amérindien.
Fait aussi partie de leur histoire la persécution des gens d'origine africaine, amenés sur le sol américain comme esclaves.
Trump réveille les vieux démons de l'Amérique en combattant l'immigration clandestine - une menace aux yeux des dirigeants républicains, pas à ceux des employeurs qui tirent profit de cette main d'œuvre comme bien d'autres agents économiques ... le clandestin est une personne humaine comme une autre ; il lui faut se nourrir, se vêtir, dormir, se distraire, voyager, cotiser, payer des taxes etc... .
Qu'en est-il concrètement, sur le terrain,  de sa politique pratiquée à l’encontre des immigrés sans papiers ? Arrestations brutales : irruptions inopinées et violentes dans les logements, sans considération pour les familles, les enfants... Rafles soudaines dans les lieux publiques, l'homme n'a plus aucun droit... Sitôt arrêtés, les émigrés, hommes, femmes, enfants, partent vers l'enfer... Des pays surpeuplés (Mexique : plus de 500 millions d'habitants), des pays sous la coupe économique et politique des USA, ravagés par les mafias et les cartels, voire en proie à la guerre civile...
La politique de Trump consiste, au moins dans un premier temps, à terroriser la population des clandestins comme ont été terrorisés les esclaves, puis leurs descendants affranchis à l'issue de la guerre de Sécession.  Cette dernière pratique a-t-elle vraiment disparu des usages au 21e siècle ?
En Californie, l’État le plus riche des États-Unis et qui incarne beaucoup « le rêve américain », les immigrés sont surtout d'origine mexicaine, sinon sud-américaine.

Le territoire qui constitue aujourd’hui l’État de Californie était à l’origine peuplé d’Amérindiens. Il a été rattaché au Mexique en 1821…Un quart de siècle plus tard, il proclame son indépendance et interdit l’esclavage, et se donne d’une Constitution juste avant d’adhérer à l’Union américaine (1850). 

Aujourd'hui, à sa Sacramento, sa capitale, la politique de Trump donne des envies de sécession... Preuve que Donald Trump avec sa pratique populiste de la politique met les États-Unis sur une pente dangereuse. Pas seulement sur le plan du droit et du respect de la dignité de la personne.... Trump s’avère une menace constante pour l'unité des États-Unis.  
En politique étrangère, Trump continue à utiliser la même recette de la peur. Les propos irresponsables d’un pantin de Poutine, l'ancien président russe Dmitri Medvedev, lui servent de prétextes pour justifier le déploiement de deux sous-marins nucléaires. Encore une recommandation de Christopher Donahue, commandant de l'armée américaine en Europe et en Afrique et commandant des forces terrestres de l’OTAN, qui a déjà menacé « de détruire rapidement la région de Kaliningrad » ?

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