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Carnets d'Europe

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Billet de blog 15 mai 2012

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Marseille-Provence 2013 : regards croisés des Capitales européennes de la Culture

Ce 10 mai à l'IUFM (Institut Universitaire de Formation des Maîtres) de Marseille, les représentants des capitales européennes de la culture, "passées, présentes et à venir", ont témoigné de leurs expériences et fait ressortir les spécificités de Marseille Provence 2013.

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Au premier plan : Ann Branch puis de gauche à droite :
Ulrich Fuchs ; Cyril Robin Champigneul ;

Miroslava Grajciarova et Jean-François Chougnet (photo : Ph. Léger).

En maître de cérémonie, Cyril Champigneul, chef de la Représentation régionale de la Commission européenne en France a accueilli les représentants des villes organisatrices du mythique événement. Ils étaient rejoints en cours de soirée par Daniel Hermann, adjoint à la culture de la ville de Marseille et Bernard Latarjet, l'homme qui a mis sur les rails Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la Culture (voir notre billet - Club Mediapart). Pendant plus d'une heure 30, leurs témoignages et un débat avec le public mené de main de maître par Cyril Robin Champigneul ont mis en perspective le projet marseillais, aujourd'hui conduit par son directeur général, l'historien, écrivain, enseignant, Jean-François Chougnet.

Jean-François Chougnet est loin d'être un inconnu dans le monde culturel international. Diplômé de l'Éna (promotion1981), il a exercé à la direction générale de l'Établissement public du Parc et de la Grande Halle de la Villette. Commissaire de l'année du Brésil en France (2005), puis Directeur du Musée Collection Berardo à Lisbonne, il a enseigné à Sciences Po jusqu'en 2006, rédigé de nombreux articles et publications sur le financement de la culture. Il est l'auteur de nombreux textes de critiques et d'histoire de l'art contemporain.
Tel qu'il nous est apparu à l'IUFM de Marseille, Jean-François Chougnet possède le sens de la diplomatie et évolue dans le domaine des arts et de la culture avec l'aisance d'un expert. Toutes ces qualités lui seront précieuses pour harmoniser les visions, les ambitions culturelles et surtout, les psychologies des acteurs de cet espace méditerranéen et provençal, « un mélange d'eau et de gaz », c'est bien connu... On ne refait pas d'un coup de baguette magique des mentalités forgées par 2 600 ans d'histoire. S'il arrive à faire travailler sans accroc les responsables culturels de l'antique métropole phocéenne avec ceux de la cité du bon Roy René, l'exploit ne sera pas mince. Il faudra même l'inscrire sur la tablette des records des capitales culturelles européennes et au Guiness Word Records book 2013 !

Capitale européenne de la Culture en 1992, Glasgow a fait une reconversion étourdissante et divisé par 3 le nombre de ses chômeurs
Cyril Robin Champigneul esquisse les grandes lignes de la conférence après avoir présenté les invités : Miroslava Grajciarova de Kosice (Slovaquie) ; Lorenzo Mele de Glasgow (Écosse) et Ulrich Fuchs de Linz (Autriche) mais aussi des représentant d'Umeo (Suède) ; San Sebastian (Espagne) ; Wroclaw (Pologne) ; Essen-Rhur (Allemagne) ; tout en saluant les Consuls généraux de la République Fédérale d'Allemagne et des Pays bas, ainsi que les Représentants des Collectivités locales. Que du beau monde !
La réunion est modérée par Ann Branch, Chef d'Unité à la Direction générale Éducation et Culture de la Commission européenne et responsable des capitales européennes. Cette femme svelte et élégante, finlandaise et britannique, parle parfaitement français. Elle a étudié à l'Institut d'Études Politiques de Paris. Elle est également diplômée d'un BA Degree de l'Université de Newcastle upon Tyne et d'un Master de Philosophie de l'Université d'Oxford. Avant de rejoindre les Institutions européennes, elle a exercé dans le secteur privé pour des organisations représentatives des entreprises, notamment dans le domaine de l'emploi et des affaires sociales.
À l'IUFM de Marseille, elle commence par retracer l'historique des capitales culturelles européennes. « La manifestation Capitale européenne de la Culture est une initiative lancée par Melina Mercouri et Jack Lang en 1985. Elle répond au désir de donner un visage plus humain au projet européen. Pour cela, on célèbre la diversité culturelle tout en mettant en évidence les points communs. On promeut le dialogue interculturel et de meilleures relations entre les gens... En 1992, tout en conservant ces bases, l'événement prend un virage : il devient l'enjeu d'une véritable compétition entre villes candidates supervisée par un jury international... De nouveaux objectifs sont assignés : développement culturel et social à long terme ; engagement et participation des citoyens (...) »
Les témoignages des représentants des anciennes capitales européennes de la culture confirment les  propos d'Ann Branch. Ils sont édifiants. Et encourageants pour Marseille. A commencer par celui de Lorenzo Mele (Glasgow 2012) : « Au début des années 80, Glasgow entre à grande vitesse dans le déclin industriel, comme une grande partie de l'Europe. Le chômage frappe 25% de la population. En devenant Capitale européenne de la Culture, la deuxième ville de l'Empire britannique affiche son ambition : « capitaliser sur ses atouts culturels. Elle mise sur ces collections de l'époque victorienne et son riche patrimoine immobilier des années 20. » Pari gagné ! « Le vieux dépôt de tram a été sauvé in extremis. C'est aujourd'hui un lieu contemporain de légende dédié à la danse, aux arts graphiques et plastiques (...). » Selon ce responsable écossais, Glasgow se distingue aujourd'hui comme « un haut lieu de la culture internationalement reconnu et pérenne. Sa renommée a traversé les océans. Le cinéaste Peter Brook y a tourné le Mahabharata. La ville a su tisser des liens très fort avec Québec (Canada)... Elle organisera en 2014, les jeux du Commonwealth... Oui, il reste des problèmes sociaux et d'intégration à résoudre, reconnaît-il, mais son taux de chômage est tombé à 9%. »
Vingt ans plus tard, que retiennent ses habitants ? « Une tapisserie réalisée collectivement... Et ils parlent avec enthousiasme du Big day out, un festival de musique avec des artistes du monde entier qui a rassemblé 60 000 personnes. » Pour Lorenzo, c'est sûr : « Glasgow, Capitale européenne de la Culture 1992 est toujours dans l'esprit et le cœur de ses habitants. » On comprend pourquoi ! Le nombre de chômeurs a pratiquement été divisé par trois, la ville s'est embellie, on y respire un air plus salubre et sa renommée culturelle a fait le tour du monde. Les plus grands artistes viennent travailler chez elle. Son image est celle d'une ville internationale de la Culture... Ce n'est quand même pas rien ! Son accession au titre de Capitale européenne de la Culture a constitué pour ses habitants une plate-forme de lancement vers un avenir meilleur.

La tarte de Linz est toujours trop sucrée, Ulrich !
Entre Vienne et Salzbourg, la ville industrielle de Linz (Autriche) ne connaît pas la crise en 2009. Son taux de chômage est déjà bas... 2% ! Mais elle a un double défi à résoudre : « travailler sur sa mémoire (elle est marquée au fer rouge par son passé nazi et le camp de Manthausen) ; changer les paramètres de son développement urbain, avec pour seul point d'appui culturel... une tarte ! que beaucoup d'Autrichiens trouvent trop sucrée... » ironise Ulrich Fuchs.
En Autriches, la fameuse tarte de Linz est aussi célèbre que nos pruneaux d'Agen. À côté d'elle, nos calissons d'Aix ou nos chocolats de Puyricard sont des mets subtils réservés aux connaisseurs raffinés qui les dégusteraient entre deux concerts dans la cour de l'Archevêché.
« Et l'Europe dans tout ça ? » entend-on dans le public... «  On y a beaucoup pensé et on y pense encore. On a fait la fête de l'Europe pendant 365 jours !» s'exclame Ulrich Fuchs. De bon augure pour la métropole phocéenne, puisqu'il est aujourd'hui directeur général-adjoint de Marseille-Provence 2013. À Linz, l'événement européen a contribué à faire évoluer les centres d'intérêt. "Aujourd'hui, 20% de ses habitants participent aux événements culturels (contre 12% en 2009)" précise-t-il... mais sa fameuse tarte est toujours trop sucrée. Plus seulement au goût des Autrichiens... mais d'une bonne partie de l'Europe, Ulrich ! 

"Chaque ville révèle à sa manière sa dimension culturelle et européenne"
On a aussi entendu le témoignage du représentant d'Umeo (Suède), retenue comme capitale pour 2014 : « Désormais, les Suédois savent la situer sur la carte et éprouvent pour elle de l'intérêt.» De bon augure... Celui du représentant de Liverpool (2008) : « On a mis l'art dans la rue en impliquant le public et en multipliant les partenariats. Mille écoliers ont participé à la cérémonie d'ouverture... Appel à des centaines de volontaires... Des sondages et des micros trottoirs sur des événements surprenants, comme cette araignée mécanique grimpant le long des façades des immeubles... Du buzz pour capter et focaliser l'attention sur l'événement mais aussi un grand nombre de concerts, d'expositions (…) »
La candidature de Kosice, qui partage avec Marseille le titre de Capitale européenne de la Culture, est basée sur 4 thèmes, précisés par Miroslava Grajciarova :
« La communication entre les villes européennes industrielles qui tentent d’acquérir une image culturelle.
L’art dans l’espace public : un parc culturel a été créé dans une sorte de laboratoire d’art contemporain pluridisciplinaire pour promouvoir les jeunes artistes. Ce lieu est aussi une résidence d’artistes et collabore massivement avec le monde associatif. Ce projet fait partie des grands investissements de la candidature de la ville
. Il s’agit de lier le centre historique avec les grands ensembles de l’époque communiste afin d’y intégrer la culture.
La rencontre Est/Ouest pour faire disparaître les frontières (Schengen) grâce à la culture.
L’environnement avec l’Eau utilisée à des fins culturelles. 
»
Les « migrations » avait été le thème choisi par Essen et la région de la Ruhr (Allemagne) en 2010.... San Sebastian (Pays basques espagnols) célébrera « la paix » en 2016, nous apprend son représentant.
Et Marseille ? Hé bien, Marseille célébrera « l'identité culturelle méditerranéenne et le partage des Midis ». Comme beaucoup d'autres localité de la Provence, elle se prépare à accueillir l'événement. Les chantiers se sont multipliés dans la ville. Avec celui du Mucem (Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée , « c'est un grand musée national qui est en train de s'ériger en dehors de Paris... Une première en France ! » fait remarquer Jean-François Chougnet.
« Chaque ville révèle à sa manière sa dimension culturelle et européenne, en toute liberté » conclut Ann Blair.

Marseille-Provence 2013 « in », « off », « alter off », « autonome »... Dans toute la région Paca, artistes, acteurs culturels et citoyens s'approprient l'événement
Les propos des orateurs ont été suivis avec beaucoup  d'intérêt par le public, composé d'élus, de responsables associatifs de Marseille, de localités des Bouches-du-Rhône et de la région Paca... ainsi que par des responsables autoproclamés de Marseille Provence 2013, Capitale européenne de la Culture « off » …« alter off »... « autonome »... Autant de « regards croisés » et de propos décroisés auxquels n'avaient pas forcément songé les représentants de la Commission européenne !  « Ils manifestent la diversité et la bonne santé de la société civile et de notre démocratie » se réjouit  Jean-François Chougnet, responsable du « in »... mais néanmoins adhérent du « off »  (« carte n°7 ! ») lors d'un dialogue savoureux avec un représentant « alter off », qui mettait en exergue l'intérêt porté à l'événement par des artistes et acteurs culturels du plateau de Valensole et d'autres localités de la Provence profonde. Un intérêt manifesté aussi dans le public par une responsable associative qui a fait le déplacement depuis Cannes, qui n'est pas la porte à côté et, a priori, se trouve en dehors du territoire de Marseille Provence 2013. C'est dire l'attractivité de l'événement culturel européen et les retombées qu'en escompte toute une région !

L'exposition pour le centenaire d'Albert Camus définitivement annulée ?
À peine allions-nous mettre  le point final à ce billet... qu'une dépêche de l'AFP (1) annonçait la suppression de l'exposition d'Aix prévue pour célébrer le centenaire d'Albert Camus dans le cadre de la capitale culturelle européenne ! Selon la presse locale, une mauvaise communication entre la pétulante Sophie Joissains, fille de la mairesse d'Aix, et Catherine Camus, la fille de l’écrivain, a mis le feu aux poudres. La réponse de Marseille aux attentes légitimes de l'héritière d'Albert Camus mentionnées dans un courrier, n'aurait pas permis d'éteindre à temps la mèche allumée par Aix. C'est un coup dur.
Albert Camus a toujours été le trait d'union idéal entre les deux rives de la Méditerranée, chère à la métropole phocéenne. Son œuvre littéraire éclaire toujours les esprits, comme son action dans la Résistance. On conserve à Marseille le souvenir d'un chef respecté, intransigeant sur la discipline, admiré et aimé... Comme beaucoup de Résistants, il aurait apprécié cette Europe qui refuse de remonter le rocher de Sisyphe et se tient éloignée de l'aigle qui veut lui dévorer le foie. Philippe LEGER

(1) Voir aussi l'article de Louise Fessard (Mediapart) : "l'exposition Albert Camus à Aix en Provence annulée, un cas de censure ?"

Comité Européen Marseille
http://www.comiteeuropeen.com 

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