Le philosophe et ancien ministre de l’Education nationale, Luc Ferry, qui était tout récemment l’invité d’une émission politique sur CNews/Europe 1, s’exprimait en ces termes concernant Marine Le Pen :
« Je ne pense pas que Marine Le Pen soit fasciste. Je la connais un peu, je sais très bien qu’elle n’est ni raciste ni antisémite…
Je suis désolé de le dire à mes amis intellectuels de gauche, qui veulent à tout prix dire : « c’est le nazisme qui revient ! »…
Regardez Mme Meloni en Italie, ce n’est pas le fascisme qui est revenu en Italie…
Tout cela est assez ridicule, Marine Le Pen, c’est la droite populaire et républicaine… Elle est moins à droite que Pandraud et Pasqua en 1970… Cela n’a rien à voir avec l’extrême droite ; l’extrême droite, elle était antisémite, elle était raciste…
Moi j’ai des désaccords avec le Rassemblement national, mais beaucoup plus sur le plan économique, que sur le plan moral ou politique…
Cette espèce de moralisme débile des intellectuels de gauche, c’est fascinant pour moi, moi j’ai toujours été à droite… »
Il est vrai que, même issus de la gauche, nous accordions autrefois une certaine attention aux livres et propos de ce philosophe érudit… Mais, à force de l’entendre régulièrement déblatérer de nombreuses inepties et inexactitudes dignes de « conversations du café du Commerce » sur la chaîne d’information en continu LCI, nous avons fini par ne plus accorder la moindre importance aux analyses politiques de Luc Ferry.
Mais là, après l’indignation et l’inquiétude, ô combien justifiées, suscitées par l’adoption de la loi immigration le 19 décembre dernier par 349 députés, dont 88 députés du Rassemblement national (RN), nous pressentons à quel point ces derniers propos de Luc Ferry sont graves et inquiétants, de surcroît dans un contexte, à la fois national, européen, et mondial, de la montée des populismes nationalistes-identitaires (Orban en Hongrie, Meloni en Italie, Wilders aux Pays Bas, Poutine en Russie, Trump aux USA, ou encore Milei en Argentine, pour ne citer que ceux-là).
Ainsi, selon Luc Ferry, Marine Le Pen ne serait ni raciste, ni antisémite, et encore moins d’extrême droite ? J’avoue pencher entre deux explications possibles : soit ce type devient complètement sénile, soit il est profondément cynique. Ou alors peut-être les deux à la fois…
Il est évident en tout cas que toute la stratégie politique menée depuis tantôt par l’ex Front national pour « dédiaboliser » ce parti, et faire en sorte que la candidate d’extrême droite aux trois dernières élections présidentielles gagne en respectabilité, a fini par créer le trouble auprès de l’électorat de la droite conservatrice, et plus largement au sein d’une partie significative de l’opinion publique.
Pourtant, quelques recherches pertinentes, à partir d’informations journalistiques de bonne foi et vérifiables, permettraient de lever le doute sur le fait de savoir si le RN est simplement un parti « populaire et républicain », ou s’il doit être classé à l’extrême droite de l’échiquier politique, de même que Marine Le Pen :
N’en déplaise à Luc Ferry, il ne suffit pas de dire que l’on n’est ni raciste ni antisémite, ou même manifester contre l’antisémitisme, pour ne pas l’être dans son for intérieur. Chasser le naturel, il revient souvent par la petite porte, pour peu que l’on y prête vraiment attention.
Faut-il rappeler qu’en avril 2017, Marine Le Pen avait déclaré que la France n’est « pas responsable » de la rafle du Vél' d'Hiv survenue en juillet 1942, alors même que plus de 13 000 femmes et hommes de confession juive avaient été arrêtés par des policiers français, sur décision du régime de Vichy ? Des propos qui avaient suscité malaise et indignation, au point que le CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) avait dénoncé de tels propos et déclaré que de ces propos « révisionnistes dévoilent le véritable visage du Front national et rejoignent quelque peu les positions de son père ».
Plus récemment, en novembre 2022, le député du RN Grégoire de Fournas avait déclaré sur les bancs de l’Assemblée nationale, à l’encontre d’un député de LFI : « Qu’il retourne en Afrique ! » Il y avait eu une condamnation quasi-unanime de la classe politique, à l’exception du RN et de Marine Le Pen, qui n’a jamais condamné ces propos racistes et outranciers, en parlant simplement d’un « manque de finesse », et allant même jusqu’à critiquer la lourde sanction disciplinaire votée par l’Assemblée nationale à l’encontre de ce député, n’y voyant qu’une manœuvre politicienne contre les idées du Rassemblement national.
En outre, contrairement à ce que cherche à nous faire croire Marine Le Pen et les cadres du RN, les liens entre les anciens du GUD (Groupe Union Défense) et le Rassemblement national sont toujours aussi infrangibles :
De même, la porosité récurrente entre le parti de Marine Le Pen et l’ultradroite et les mouvements identitaires, est suffisamment documentée :
Que penser encore du soutien indéfectible de Marine Le Pen à l’égard du très sulfureux et populiste Donald Trump ? Au point qu’elle avait tardé à reconnaître la victoire électorale de Joe Biden à l’issue des élections de novembre 2020, et qu’après l’invasion du Capitole par les partisans de Trump le 6 janvier 2021, nombre de sympathisants du RN se félicitaient d’un tel événement ?
Que penser encore des liens ambigus entretenus, jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, entre Marine Le Pen et Vladimir Poutine ? Ou encore « de l’amitié profonde » entre la candidate du RN et Matteo Salvini, leader du parti d’extrême droite italien La Ligue, admirateur de Mussolini ? Ou encore de la proximité idéologique assumée entre Marine Le Pen et le président hongrois Viktor Orban ?
Quant à la sagesse populaire à laquelle semble s’en remettre Luc Ferry, « les 42 % qui ont voté pour elle savent que c’est faux [que Marine Le Pen n’est pas d’extrême droite] », aurait-il subitement oublié que nombre de partis populistes, « illibéraux » et aux inclinations fascistes, sont arrivés au pouvoir par les urnes ? Hitler en 1933, Poutine en 2000, Orban en 2010, Trump en 2016, et Milei en 2023 ? Non, le peuple n’a pas toujours raison, même lorsqu’il est majoritaire…
Ce qui est troublant par ailleurs, c’est que Luc Ferry tienne de tels propos hallucinants sur l’une des chaînes du milliardaire Vincent Bolloré, qui a contribué à l’ascension médiatique d’Éric Zemmour, et qui d’après une enquête journalistique convaincante menée récemment par le journal Le Monde, se démènerait en coulisse pour parvenir à une alliance entre la droite et l’extrême droite aux prochaines élections présidentielles.
A l’évidence, puisque désormais les « désaccords » entre Luc Ferry et le RN ne le sont que sur le plan économique, mais pas sur le plan moral ni politique, nous dirons : « Ferry/Bolloré même combat ! » Que dis-je ? « Ferry/Bolloré/Macron même combat ! »
Nous pressentons qu’à bien des égards, l’Histoire s’accélère, et que des heures sombres, très sombres nous attendent… Tant en géopolitique internationale que sur la scène politique nationale. Une troisième guerre mondiale n’est plus de l’ordre de l’impensable… Une victoire du Rassemblement national et de ses affidés devient de plus en plus probable en 2027… Mais au moment même où par référendum le parti d’extrême droite aura réformé la Constitution de la cinquième République, pour sortir du champ républicain, nous n’oublierons pas celles et ceux qui par leur cécité, leur lâcheté, leur cynisme égotiste, ou leur compromission idéologique ou tactique, auront contribué à l’avènement d’un tel séisme politique. L’Histoire à juste titre leur demandera des comptes…
« Le ventre est encore fécond, d'où a surgi la bête immonde », Bertolt Brecht.
David Dahomay, 3 janvier 2024.