Dans un précédent article, je relevais qu’en attribuant 276 sièges au RN, la simulation proposée par Data Realis se situait dans des valeurs crédibles, admises dans une acception maximaliste ( https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/111224/legislatives-2024-front-republicain-impacts-en-sieges-selon-comporteme ). Je négligeais alors le siège affecté aux divers d’extrême droite et ceux attribués aux alliés ciottistes. Cela rehausse cette majorité des extrêmes droites à 320 sièges gagnables « […] si l’interdiction de se désister, imaginée par le sénateur LR Le Rudulier, avait été en vigueur, en juin dernier » ( G. Pallottino, « [Notre carte interactive] Quelle assemblée sans front républicain ? », Boulevard Voltaire avec Data Realis Conseil, 10 décembre 2024, disponible en ligne : https://www.bvoltaire.fr/decouvrez-lassemblee-de-lunion-des-droites-et-des-patriotes/# ).
- Cadrage liminaire :
Pour ma part, j’ajoute aux 143 sièges indiscutablement obtenus par l’ensemble des extrêmes droites, 84 sièges directement perdus par front républicain, plus 85 théoriquement à portée ; en pratique à confirmer... Pour un total de 312 sièges contre 320, il n’y aurait pas de quoi finasser… Cependant, il faut avoir à l’esprit que mes valeurs sont produites dans une logique de probabilité plus ou moins forte.
Là encore, les faits permettent d’entrer efficacement en matière. Chacun peut admettre que les sièges les plus accessibles en 2024 aux extrêmes droites sont ceux obtenus dès 2022. L’ancrage partisan y est vraisemblablement optimal. Or, le taux de réussite des extrêmes droites se limite à environ 9 sur 10 ( https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/301124/legislatives-2024-documents-principaux-video-5-front-republicain-1-2 ). Autrement dit, même là où l’élection est la plus plausible, cette probabilité ne vaut pas certitude.
Si l’on applique cette probabilité optimale aux 169 sièges litigieux, on en retranche d’emblée 17, ce qui plafonnerait « ma » majorité d’extrême droite à 295 sièges. Bien évidemment, plusieurs dizaines d’autres circonscriptions parmi les 85 les plus disputées n’avaient presque aucune chance d’être conquises par les extrêmes droites, mais ce point fera l’objet d’un autre article. En résumé, la simulation de Data Realis devient tellement outrancière qu’elle semble ouvertement partisane. Ses incohérences sont plus parlantes encore. Elles transparaissent avec les sièges que j’ai classés parmi les « garantis », même en l’absence de front républicain.

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Réalisation du document, sources détaillées :
https://www.youtube.com/watch?v=u3J8bWZWiIY
Typologie détaillée : https://www.youtube.com/watch?v=rmDo8yLXQxs
- Une fiction aussi mal assumée que mal conceptualisée :
Boulevard Voltaire rappelle explicitement que la carte fournie par Data Realis est une « fiction ». Cependant, elle est mal assumée en tant que telle car elle ne porte pas exactement sur ce qui est annoncé, à savoir la tactique de désistement qui a joué contre les extrêmes droites.
Je ne reviens pas ici sur les sources sondagières de Data Realis ni sur les calculs présentés ( Cf https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/111224/legislatives-2024-front-republicain-impacts-en-sieges-selon-comporteme ). A en croire l’article, ces calculs devraient intervenir uniquement si et seulement si des désistements réels sont annulés par Data Realis afin de conduire l’étude d’impact du front républicain. Autrement dit, ce dernier serait d’abord conçu pour ce qu’il est au départ, à savoir une double consigne de désistement et de vote émise par les directions centrales de partis, ensuite plus ou moins bien suivie par les candidats et électeurs concernés. Les infographies d’insister sur ce critère de désistement, en proposant deux visuels pour la carte des victoires locales, en l'occurrence « Sans désistements » et « Résultats juillet 2024 », puis une liste de sièges par étiquettes politiques, légendée « Simulation sans désistements ».
Dès lors, plusieurs situations se révèlent hors-sujet et n’ont pas vocation à être traitées. Ce travail de délimitation du sujet est le premier que j’ai accompli, et c’est le point de départ nécessaire de ma comparaison avec les résultats proposés par Data Realis :

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Réalisation du document, sources détaillées : https://www.youtube.com/watch?v=CxvGvBkAohM
La petite difficulté de cette carte, c’est qu’elle se découvre à l’envers, par les hors-sujet. Sans surprise, nous relevons d’abord que les sièges pourvus dès le premier tour échappent au front républicain. Ceux-ci n’ont pas été l’objet de divergences avec Data Realis ; du moins repérées de visu, car je ne dispose pas des tableurs de l’entreprise, lesquels seuls rendraient les contrôles infaillibles.
Viennent ensuite les configurations du deuxième tour où le front républicain n’a pas été décisif. Premièrement, il s'agit des circonscriptions où les conditions étaient les meilleures pour les extrêmes droites, entre les triangulaires et les duels remportés malgré le front républicain. Dans un cas comme dans l’autre, nul désistement de front républicain n’a décidé de l’élection locale. Deuxièmement, il faut exclure les circonscriptions où l’extrême droite n’a pas franchi le seuil de qualification pour le second tour, ce qui a provoqué des duels entre « alliés » de front républicain.
Le projet annoncé par Boulevard Voltaire pour Data Realis étant le même que le mien, ces délimitations du sujet devraient converger. Tout au plus pourrait-on admettre que les désistements préalables aux duels, indistinctement fructueux ou infructueux, soient recalculés par Data Realis selon les formules exposées. Or les divergences outrepassent ces circonscriptions de désistements ciblés, ce qui implique a minima un malentendu entre le commanditaire et le prestataire, a maxima une volonté conjointe de duper les lecteurs sur la nature des calculs effectués.
Il y a eu 91 triangulaires lors des législatives 2024, toutes situées en métropole et vérifiables avec la carte publiée par Boulevard Voltaire ( laquelle occulte les circonscriptions d’outremer et des Français de l’étranger ). Par définition, elles n'ont pas été le théâtre de désistements de front républicain ; ou alors inaboutis et de faible incidence. Les auteurs réécrivent donc l’histoire de près d'une triangulaire sur cinq, de façon injustifiée au regard du concept offert aux lecteurs de Boulevard Voltaire. Les voici, avec résultats réels de premier et second tour :

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Sources : ( par commodité ) https://www.francetvinfo.fr/elections/resultats/ + G. Pallottino, « [Notre carte interactive] Quelle assemblée sans front républicain ? », Boulevard Voltaire avec Data Realis Conseil, 10 décembre 2024, disponible en ligne : https://www.bvoltaire.fr/decouvrez-lassemblee-de-lunion-des-droites-et-des-patriotes/#
Même si les formules de calcul n’aboutissent pas à des succès univoques des extrêmes droites, c’est le cas dans 12/16 triangulaires réévaluées. A ce stade, cela peut être imputable à une dynamique électorale qui leur aurait été favorable à l’échelon national. En outre, à titre indicatif, la 1ère circonscription du Val-de-Marne nous apprend deux choses quant aux formules employées par Data Realis : d’une part l’entreprise a fait preuve d’une certaine neutralité en reconsidérant les circonscriptions de désistement anti-LFI ; d’autre part, la présentation des formules est incomplète, car l’éventualité de quadrangulaires n’est pas mentionnée.
En considérant les chiffres avec plus d’attention, il s’avère que sept triangulaires sont très indécises : 1ère de Charente, 2e de la Somme, 1ère du Doubs, 3e du Puy-de-Dôme, 6e des Pyrénées-Atlantiques, 3e de Haute-Vienne, 4e du Val-de-Marne. Admettons qu’elles puissent légitimement, scientifiquement, être reconsidérées dans une étude d’impact de désistements qui n’ont pas eu lieu… En revanche, les autres présentent des écarts de voix tellement massifs qu’elles appellent une vérification plus pointue des calculs de Data Realis ; et dans l’attente, un rejet total, par application d’un principe de précaution.
L’exemple le plus caricatural est sans doute celui de la 10e circonscription des Yvelines, où l’élue centriste a obtenu plus de voix au premier tour que le rival du Rassemblement national au second tour. Même en admettant un désistement du candidat de gauche, ses électeurs n’auraient pas unanimement désavoué la députée et ministre sortante, A. Bergé, au profit de son adversaire. Non seulement la présence d’un tel scénario dans le panel proposé par Data Realis contrevient au principe affiché d’évaluer les incidences des désistements, mais encore elle discrédite la stricte application des formules annoncées pour l’ensemble de la carte.
A ce propos, il faut préciser un problème méthodologique : projeter un modèle national de reports de voix sur un ensemble de situations locales ne détermine pas le champ des possibles, mais mesure des écarts avec une norme préétablie et identifie ainsi les spécificités des cultures locales. La modélisation des reports est donc un outil ici mal employé, par intérêt partisan ou méconnaissance de son intérêt scientifique : la mise en évidence des particularismes électoraux.
Data Realis inverse ainsi les initiatives, le rapport d’offre et de demande politiques. Ce ne sont plus dès lors des candidats qui se désistent ou non et proposent une combinaison électorale à valider ou invalider par les électeurs. Ce sont en revanche ces derniers qui devraient voter dans un sens rectifié par l'observateur, la carte estimant l’impact de ces redressements de cultures locales. Autrement dit, il ne s'agit plus, comme annoncé, d'interroger les incidences de désistements opportunistes, mais de réorienter des préférences populaires inscrites dans le temps long.
Sans plus s’appesantir sur ces vices méthodologiques, voici quelques anomalies relevées avec les duels où les extrêmes droites ont été éliminées, l’une d’entre elles pouvant indirectement être rattachée au sujet par un désistement anti-LFI. Il faut avoir présent à l’esprit que seuls 32 seconds tours ont eu lieu en métropole dans une telle configuration, et que les autres échappent à l’investigation par la carte métropolitaine de Data Realis.

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Sources : ( par commodité ) https://www.francetvinfo.fr/elections/resultats/ + G. Pallottino, « [Notre carte interactive] Quelle assemblée sans front républicain ? », Boulevard Voltaire avec Data Realis Conseil, 10 décembre 2024, disponible en ligne : https://www.bvoltaire.fr/decouvrez-lassemblee-de-lunion-des-droites-et-des-patriotes/#
En résumé, contrairement à ce qui est expliqué, le travail de Data Realis pour Boulevard Voltaire n’a pas consisté à mesurer le poids des désistements dans l’instabilité parlementaire actuelle, partant la responsabilité des désistés. Il s’est agi de déterminer si une population votant autrement donnerait un autre résultat. Sans doute était-ce une dédicace à Lapalisse. La redéfinition des variables du vote passe par une combinaison amusante qui retient, d’une part, de 2024, la participation et la distribution initiale des voix, d’autre part, de 2022, des reports estimés par sondages en présence d’enjeux distincts ; le tout possiblement arrangé dans le sens des préférences des auteurs, comme en témoigne la 10e circonscription des Yvelines.
- Fausse nouvelle ou nouvelle falsifiée ? Fait divers ou fait de société ?
Parmi les débats qui agitent le microcosme audiovisuel français, chaque information est-elle un fait divers ou un fait de société ? Les historiens se sont beaucoup interrogés sur l’événement et son caractère significatif, ou non. En résumé, on pourrait dire que ce n’est pas le fait qui le classe par nature dans une catégorie ou l’autre, mais le talent de l’observateur, capable ou non de déceler ses ressorts sociaux cachés.
Après avoir déblayé cette strate des calculs de Data Realis, et avant de passer aux suivantes dans d’autres articles, il apparaît que l’ensemble de ce travail pourrait être dénoncé comme « fake new », en bon français. Avant tout, il faut pointer que la critique des sources et des informations relève, a priori, des compétences les plus fondamentales des journalistes. Or, ils inondent le paysage audiovisuel d’un anglicisme qui atteste leur mauvaise maîtrise du sujet, et les place dans l’incapacité de discerner une fausse nouvelle d’une nouvelle falsifiée.
Sans consulter les feuilles de calcul de Data Realis, il est impossible d’attester indiscutablement une volonté falsificatrice. Les journalistes se livreraient sans doute à un exercice de microsociologie des élites, pour montrer des connivences au sein de la « fachosphère »… Ces enquêtes racoleuses consistent plus à parler d’eux-mêmes, journalistes sentinelles de la bonne démocratie, et de leurs engagements plutôt que de leur objet d’investigation. Peu m’importe, ce n’est ni mon métier, ni mon ambition.
En revanche, en considérant le contexte culturel d’élaboration de cette étude à prétention scientifique, il est possible d’envisager la déliquescence civique par l’incompétence des corps intermédiaires. Faut-il revenir sur celle des journalistes, qui diffusent souvent de fausses nouvelles faute de maîtriser les spécialités requises par l’actualité, sans même envisager une quelconque intentionnalité idéologique… ?
Par exemple, Boulevard Voltaire pourrait avoir été trompé par son prestataire de service et ne pas avoir eu les compétences pour déceler les erreurs conceptuelles au principe des calculatoires. A moins que le journal ait simplement considéré que le résultat allait dans le sens de ses préférences et méritait à ce titre d’être communiqué au plus vaste public possible, avec relai le soir même dans « Face à l’info » sur CNews, par l’entremise de G. Cluzel.
Le vrai problème posé par cette carte, c’est qu’elle prolonge des décennies de productions sondagières, en substitut de l’étude des données complètes. Les sciences politiques sont sans doute les seules qui ne développent presque aucune réflexion critique sur leurs outils d’observation. Des ouvrages entiers sont fondés sur des échantillons soi-disant représentatifs, cela sans confrontation à des sources tierces. Alors que notre régime politique se veut une démocratie, les corps intermédiaires, scientifiques et journalistiques, ne savent même pas lire les résultats électoraux destinés à confier ( ce qui vient de fides, la foi ) les pouvoirs d’Etat. J’en veux pour preuve la médiatisation des résultats des européennes en France, où tous ont décrit aux Français une marche inéluctable vers le pouvoir d’un Rassemblement national qui avait perdu des voix ( Cf https://blogs.mediapart.fr/edition/chroniques-electorales-france/article/291124/europeennes-2024-documents-principaux-video-1-enjeux-apparents )…
- Comment préserver la confiance entre peuple souverain et élites, quand ces corps intermédiaires maîtrisent aussi mal les bases ?
Dès lors qu’il est avéré que nos élites savent à peine faire des additions et soustractions en autonomie, ni détecter la perte de quelques 400 000 voix sous couvert d’une prétendue progression irrésistible ; il faut envisager que le statut d’ingénieur ou scientifique data est de la poudre aux yeux. Dans un environnement médiatique court-termiste où les paillettes valent lumières, les auteurs de Data Realis s’arrogent ce titre ( cf profil Linkedin du fondateur de l’entreprise ) de la même manière que l’usurpent les producteurs de données du CDSP ( centre de données sociopolitiques, lequel dépend de Sciences po Paris ). Lorsque j’ai conduit la critique de mes sources ( étape nécessaire d’un travail scientifique ) j’ai repéré dans leurs séries des circonscriptions où il y avait plus d’électeurs que d’habitants. Il m’a fallu deux ans de travail pour identifier l’ensemble des problèmes et rectifier ce qui pouvait l’être ; sans que ces non-sens n’aient manifestement perturbé ces éminences…
Le vrai problème de cette carte n’est pas qu’elle ait pu être produite et publiée, c’est qu’il n’y ait pas, dans notre paysage audiovisuel, des professionnels détenant les compétences pour en conduire la critique méthodique. Le propos n’est pas de savoir s’il faut être gentil avec Data Realis et considérer que le front républicain peut être indifféremment défini comme tactique des appareils partisans ou comme ensemble de dynamiques populaires ; ni de se montrer sévère sur des hors-sujet manifestes ; ni même d’adopter une posture impitoyable et inciter Boulevard Voltaire à demander un dédommagement total ou partiel des frais engagés pour son discrédit…
Le vrai problème de cette publication, c’est qu’elle est un indicateur parmi d’autres de la mauvaise qualité du débat public, où la superficialité militante occulte les questions de fond, que nos élites se révèlent inaptes à traiter. Chacun est libre de voir un « pognon de dingue » gaspillé pour une cause ou une autre. Quand les salaires et la compétence divergent à ce point, alors même que la crise sanitaire a favorisé la redéfinition des emplois essentiels, laquelle brosse a contrario les contours d’emplois superflus, voire parasites ; les manifestations publiques d’incompétence des élites sapent le contrat social.
Mais que l’on se rassure : la carte que je propose indique un maximum de 260 circonscriptions gagnées par front républicain. Le peuple se masserait encore derrière notre chère méritocratie républicaine. Or, vous qui avez su lire jusqu’ici, c’est-à-dire au-delà des 140 caractères usuels chez ceux qui nous gouvernent, agrémentés de 50 émoticônes ; vous savez calculer aussi bien que moi, et j’ai annoncé précédemment 169 sièges plutôt que 260… Le décalage n’est pas fortuit, mais doit faire l’objet d’autres articles sur la nature du front républicain et ses limites.