Billet de blog 4 juin 2015

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Festival Cinélatino, Rencontres de Toulouse - Cinémas d'Amérique latine

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Entretien avec Jose Luis Sepulveda

José Luis Sepúlveda, cinéaste chilien, réalise ses films avec Carolina Adriazola. Leur cinéma peut être considéré comme la cinématographie la plus radicale du cinéma chilien actuel.

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José Luis Sepúlveda, cinéaste chilien, réalise ses films avec Carolina Adriazola. Leur cinéma peut être considéré comme la cinématographie la plus radicale du cinéma chilien actuel.

Sepúlveda est le fondateur du Festival de Cine Social y Antisocial FECISO, qui se développe dans des quartiers populaires de Santiago. Il est aussi à l’origine de L’École Populaire du Cinéma, espace de formation qui a par principe un fonctionnement horizontal et gratuit.

Le réalisateur a été l’invité de la section «Otra Mirada» de la 27e édition de Cinélatino à Toulouse. Ainsi, nous avons pu découvrir ses films Mitomana, El Pejesapo et Crónica de un Comité, son dernier long métrage.

La programmation a inclus également trois courts-métrages réalisés par des élèves de l’École Populaire de Cinéma.

Cinélatino a parlé avec Sepúlveda de cinéma, de politique et de son dernier film.

Qu’est-ce que tu penses de la diffusion de ton cinéma à l’étranger?

J’ai eu l’opportunité de venir plusieurs fois en Europe pour montrer mes films, et cela est une expérience intéressante. Mais je suis toujours programmé dans de catégories dites “exotiques”, catégories étranges, mais pas dans des sections officielles. En Suisse, j’ai été programmé dans « cinéma-ovni ». Tout cela est leur point de vue, mais pour moi c’est aussi l’occasion d’une bonne discussion. Il existe un certain « exotisme » qui les attire ; c’est ce qui m’arrive en Europe. En Espagne il y a eu aussi une « muestra » de nos films et je pense que petit à petit il a une réflexion ou un analyse plus poussée…puisque aussi c’est compliqué de regarder mes films. Il y a de gens qui pensent que ces films sont mal faits mais ce n’est pas comme ça.

Tes films ont-ils été diffusés au Chili?

Oui, pas mal. Avec le FECISO nous avons pas mal de diffusion. Mais les films ont obtenu également des prix, ils ont été programmés dans des espaces plus officiels… C’est la marque d’une évolution puisque au début ce n’était pas comme ça. Avant, il n’y avait pas beaucoup d’espaces où nous pouvions les montrer, maintenant c’est différent. Les films ont été aussi programmés en Colombie, par exemple. Ou au Pérou. Cela est très important puisque les films vont de village en village. Même pas dans le cadre d’un festival ou dans le circuit officiel ; il s’agit d’une autre proximité et cela c’est très réconfortant pour moi. Les gens se sentent plus proches. Par exemple il y a tant de problèmes liés à un racisme inventé entre les pays de là-bas. Quand on montre un film c’est intéressant parce que les gens disent « hey ! Ils vivent pareil qu’ici ! Ils sont exploités pareil qu’ici !... » Alors, la haine diminue. Au moins que le cinéma serve à quelque chose…

Diminue?

Il est possible que ce soit montré d’une telle façon que les gens deviennent plus conscients du fait qu’ils vivent la même situation. L’opprimé est opprimé partout.

Comment est venue l’idée de Crónica de un Comité ? Comment as-tu trouvé les acteurs? 

Tout ça a été très intéressant puisque c’était un résultat du FECISO. Nous avons su ce qui s’était passé par la télé. On l’a entendu aux informations et on est allé à la manif organisée parce que le policier avait tué l’étudiant. Mais ensuite les membres du Comité nous ont contactés parce que nous travaillons directement dans les quartiers. Alors, ils nous ont demandé de faire un film sur ce qui était en train de se passer.

Manuel Gutierrez a été assassiné en 2011. La lutte du mouvement étudiant était à son sommet et le gouvernement et les chefs d’entreprises essayaient de récupérer cette image et de l’éloigner du peuple. A ce moment, la famille a refusé de transformer Manuel en martyr, a rejeté cette instrumentalisation. Le Comité s’est alors créé en janvier 2012, quand la famille a été déçue par la justice promise (puisque l’assassin a été libéré trois mois après le meurtre).

Il s’est agi d’un sujet très difficile et quand il nous est arrivé nous ne savions pas trop comment le traiter car il était complexe. Il était facile de tomber dans le pamphlet ou le discours vide et nous ne voulions pas ça. De plus, cela a été triste et douloureux….mais une bonne expérience quand même. On a beaucoup appris de la façon comment se comporte notre organisation actuellement… dans ce sens, casser les mythes c’est plus honnête.

Et quand le Comité t’a sollicité pour faire le film tu as pensé les grandes lignes du scénario ou le processus a été plutôt ouvert?

Au début c’était comme ça, mais on ne peut pas tout enregistrer… il fallait donc filmer et garder seulement ce qu’on pouvait. C’est processus est lié à la confiance que nous avions établie avec le Comité, avec la complicité mais aussi avec stratégie. Je trouve qu’ils sont très courageux car ils ne sont pas très nombreux mais ils se battent pour la justice, au milieu de toute une machination médiatique.

Ensuite, il y a aussi une opération pour le filmage. Les personnages ont pris la caméra et cela a été décidé avec eux. Nous avons fait un suivi de deux ans de filmage et nous avons voulu le faire dans un autre langage, celui qu’on utilise pour parler avec son voisin, dans son quartier. Constituer un autre langage. Au moment de faire les images, nous avons pris le parti de nous baser sur ce concept d’erreur : l’erreur qui permet d’écouter et de nous regarder à nouveau droit dans les yeux, nous qui sommes en conflit avec ce qui s’est passé.

Je pense que cela nous manque, en effet, mais c’est compliqué parce que nous sommes envahis par des images imposées. De là l’importance du cinéma social : dissocier.

On pourrait penser que Crónica de un Comité reflète une certaine démoralisation du mouvement social…

 Il existe une grande démoralisation social (ou dégénération). L’influence du gouvernement est telle que tout mouvement social est désarticulé. Une fragmentation a eu lieu dans presque tous les organismes qui ont pu naître dans les années 2010 - 2011. Cette démoralisation a été présente comme un fantasme. Je ne sais pas si elle était là déjà avant ou si elle est apparue quand s’est articulé le Comité, ou si elle fait partie de notre processus historique. Lors du tournage, nous avons enregistré le Comité dans ses dimensions sociopolitiques : l’influence de l’Église évangélique et des partis politiques ; l’instrumentalisation et la manipulation interne de la famille elle-même.

Il existe une grande manipulation politique ! Et il y a de gens au Chili à qui plaît bien l’actuel système, même au sein de quartiers populaires. Le fait que le Comité est né d’une recherche politique et qu’après il s’est retrouvé mêlé au «spectaculaire », a provoqué sa dépolitisation. Il s’est opéré une récupération médiatique qui correspondait aussi à une spectacularisation de l’historique/politique. Quand les gouvernements de la Concertation utilisent « la dictature » ou « le coup d’Etat » ou le « bombardement de La Moneda », ils le font pour continuer avec le même système… alors qu’est-ce que nous pouvons attendre d’un petit comité ?

Moi, j’aurais aimé que le Comité ait pu obtenir justice, que la justice militaire n’ait eu pas lieu au Chili et les mouvements soient beaucoup plus proches du peuple, mais cela n’est pas comme ça, tout est un show.

Et à propos des policiers déguisés en curés?

L’Église évangélique a fait un pacte avec Pinochet pendant les années 1980 et cela a contribué à l’élimination des organisations populaires parce qu’elles étaient les dénonciateurs du régime militaire. Ce que nous montrons dans le film n’était même pas connu au Chili ; dans les quartiers les gens ne savent pas que cela a existé. Mais comme les organismes de l’État ont de l’argent, ils peuvent payer cela ; ils font la même chose avec les images et le cinéma.

Le cinéma que vous faites ne parle pas directement de la dictature...

Je n’aime pas beaucoup me rappeler de Pinochet ! Mais je pense qu’on montre le présent et à partir de ce présent on montre aussi le passé, qu’au bout du compte c’est toujours actuel : la Constitution de l’année 1980, la justice militaire, ils continuent en train de persécuter les Mapuches, il n’y a pas une grande différence. Seulement il se passe qu’aujourd’hui il y a plus de garanties puisque, à cette époque, il y avait la permission de tuer. Je pense que l’on travaille avec la dictature de toute façon ; il n’y a pas moyen de s’échapper… mais peut-être manque-t-il l’occasion de montrer ces effets parce que au jour d’aujourd’hui le gouvernement fait usage de la dictature pour gagner des élections et cela est confus ; notre peuple est confus… l’image de Pinochet, le mot révolution, sont des concepts récupérés par la droite. Il faut conceptualiser à nouveau et c’est là où le travail d’école prend toute son importance : pour discuter à nouveau les concepts.

Comment va le cinéma chilien?

Dans les dernières années il y a eu une montée du cinéma chilien, mais à mon avis  c’est le résultat d’une politique d’État pour répandre une image du Chili comme étant un pays social et démocratiquement rétabli. Mais cela est un mensonge. Au niveau local, il y a des réalisateurs et des films soutenus par l’Etat afin qu’ils soient acceptés à l’extérieur. Un certain cinéma que le gouvernement appuie et qui ne nous représente pas.

De plus, je crois que la formation en cinéma n’est pas très bonne chez nous. Moi aussi j’aime certains classiques du cinéma qui ont un langage très propre et bien jolis ; mais le propre et le joli provoquent de la méfiance parce qu’avec ça ils ont trop trompé notre peuple.

Et ton travail peut-il être considéré comment étant un cinéma marginal?

Le cinéma a toujours été contrôlé par les classes supérieures ; il y a alors une continuité ou une linéarité dans ce qui se montre. On l’appelle cinéma marginal mais je ne comprends pas cette appellation… dans nos quartiers on est très nombreux et « le marginal » est toujours associé avec le réduit, avec le minoritaire.

Ce qui m’intéresse c’est de représenter ce qui est local au Chili. Il est très difficile pour les gens de regarder le cinéma ou de voir la création ou la diffusion. Entre les réalisateurs eux-mêmes il n’y a pas de dialogue parce qu’est toujours présente la lutte pour les subventions de l’Etat…

Pour cette raison, la liberté reste dans les gestes et les actes, même si nous faisons des erreurs. À l’École Populaire du Cinéma on sait qu’un film ne fera pas la révolution mais il peut changer l’itinéraire d’une personne et cela est déjà un changement, une transformation.

De projets?

Ah oui !! Plein !, L’École Populaire du Cinéma est à sa 5e année. La formation dure un an, les élèves présentent un projet et nous tous aidons à que ce projet soit réalisé. À Cinélatino nous avons présenté trois travaux mais il y en a plus. Ils sont dans la page web de l’École.

http://feciso.cl/
http://escuelapopulardecine.cl/

Cet article a été fait à partir de l’interview réalisée par Paula OROSTICA et Adeline BOURDILLAT et aux opinions recueillies lors de la rencontre avec le réalisateur José Luis SEPULVEDA à la Cave Poésie, à Toulouse, par Paula OROSTICA

Remerciements à Marie-Françoise.

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