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Cédric Lépine : Dans votre filmographie, Les Amants astronautes semble un retour à votre premier long métrage Plan B avec le principe d'une confrontation dialoguée et de séduction autour de l'identité homosexuelle entre deux jeunes hommes ?
Marco Berger : Je le vois comme un hommage à mon premier film. Ce qui m'est arrivé, c'est que mon premier film a eu beaucoup de succès et je ne voulais pas répéter la formule. Je voulais changer, alors j'ai fait Ausente, Hawaii, Mariposa. Ensuite, avec Taekwondo, je suis revenu un peu à la comédie mais au bout d'un certain temps, j'ai vraiment voulu reprendre ma formule de mise en scène initiale, parce que Plan B avait été un très bon film.
C'est comme si Les Amants astronautes était plus proche de ce que j'aurais voulu faire avec Plan B. C'était comme une comédie... J'ai obtenu une comédie romantique, mais très japonaise, pour ainsi dire, d'une lenteur très française mais je voulais faire un film avec une structure américaine.
D'ailleurs, c'est comme si je m'appropriais la structure, mais en même temps, c'est l'histoire de deux hommes, ce qui n'est pas si courant.
On retrouve ainsi la même structure du jeu des mensonges, où il s'agit de prétendre être l'ami pour que l'autre tombe amoureux.
C. L. : En revanche, au fil de vos films, vous vous éloigez toujours plus de la ville.
M. B. : Je n'y avais jamais pensé de cette manière ? Je pense que c'est lié à des opportunités.
Au début, la situaton la moins chère pour moi consistait à tourner un film dans ma ville. Plus tard, avec Hawaii, j'ai un peu quitté la ville. Bon, El Cazador est un film qui est un peu dans la ville, mais c'est vrai que Taekwondo, Un rubio, sont en dehors de la ville. Les Amants astronautes, Los Agitadores et le film suivant, Perro, Perro, se trouvent également à Tigre, une région en dehors de Buenos Aires.
C. L. : Vous jouez encore beaucoup avec les intérieurs et les extérieurs, qu'il s'agisse de l'intimité d'un lit et d'un crime homophobe dans la nature.
M. B. : L'arc narratif se joue beaucoup à l'intérieur, par exemple, dans la nécessité de partager un lit,
Les vacances, la plage, l'été sont aussi liés à mes goûts personnels, comme le fait que j'aime beaucoup l'eau. Il est vrai que la ville n'aide pas tellement pas à représenter les corps dénudés.
En fait, je tourne actuellement un film intitulé En el bosque et ce sera la première fois que je filmerai dans le centre-ville, avec la rue, l'obélisque, les trains, les métros, un commerce, une zone appelée Once qui est bondée de gens et d'entreprises et de vendeurs. C'est la première fois que je me suis dit que j'aimerais que les personnages se déplacent dans un environnement très urbain. Parce que Plan B, c'est la ville, mais on ne voit jamais la ville.
C'est comme si je faisais un film à Paris et qu'on ne voyait jamais la tour Eiffel. C'est comme si on était là, mais qu'on ne la voyait pas. Dans ce cas, j'aimerais faire un film maintenant, où je pourrais montrer ces choses de Buenos Aires, les cafés, la piscine, les métros.

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C. L. : Au cours de ces 15 dernières années en tant que cinéaste, avez-vous la société argentine et la communauté LGBTQI+ changer ?
M. B. : Dans la maison, tout le monde joue avec l'idée qu'ils se connaissaient déjà, qu'ils étaient déjà ensemble, il n'y a pas de préjugés. Un personnage dit que nous sommes tous bisexuels. Ce n'est pas quelque chose qui existe dans toute l'Argentine, mais il y a une très grande partie de la culture argentine à Buenos Aires qui est déjà comme ça. Cela a permis de surmonter le problème, pour ainsi dire.
En fait, quand on pense qu'à Buenos Aires, en Argentine, Plan B a été le premier film du puissant mouvement de cinéma queer de ces dernières années... Comme si tout d'un coup, Plan B était venu tout changer. Auparavant, il y avait un ou deux représentants de ce cinéma, comme le film culte d'Alexis dos Santos, Glue, en 2006, mais il s'agissait plutôt d'un film sur l'adolescence. Il y avait aussi Ronda nocturna (2005) d'Edgardo Cozarinsky, décédé le 2 juin 2024. Ce film parle aussi de la prostitution. C'était le premier film qui parlait de deux personnes ordinaires et hétérosexuelles qui tombent amoureuses, dans un monde où il n'est pas encore facile d'être gay. 15 ans plus tard, Les Amants astronautes, c'est déjà une fête. Nous vivons la sensation de la liberté d'être gay aujourd'hui à Buenos Aires.
Je pense que je suis ému par ce que je vois et par ce qui m'arrive aussi. Par exemple, quand j'ai fait Plan B, c'est un film qui a très bien marché, mais je pense qu'il a aussi été un peu sous-estimé par certains festivals.
De nombreux festivals qui ne sont pas des festivals de films queer n'en voulaient pas. Et je pense que c'est une œuvre très puissante. J'étais donc très en colère, je m'en souviens, à l'époque.
Avec Les Amants astronautes je veux célébrer à nouveau mon homosexualité et montrer à nouveau un peu de lumière, après des films plus sombres comme Les Agitateurs (Los agitadores, 2022) et Le Prédateur (El cazador, 2020).
Comme je reste très classique, je ne vais pas faire un film étrange que personne ne comprendra. En général, je me sens de plus en plus libre.
Hier, j'ai rencontré Alfredo Castro, qui veut travailler avec moi et je veux travailler avec lui, nous avons beaucoup parlé. Alors, bien sûr, il apparaît dans mon esprit et c'est comme une graine qui commence à germer. Cet après-midi même, elle a commencé à fleurir et tout à coup, j'ai senti que j'avais déjà vu le film auquel j'avais pensé avec lui. En fait, je lui ai écrit, je lui ai dit : « écoutez, j'ai cette idée... »
Au début de ma carrière, je me plaignais beaucoup d'être sous-estimé et tout ça, mais ce qui est bien, c'est que je n'étais pas la coqueluche de l'industrie, ce qui m'a mis beaucoup de pression.
Aujourd'hui, je suis reconnaissant de ne pas avoir été apprivoisé par le système, comme par les grands festivals ou les grandes sociétés de production qui, sans le vouloir, vous corsètent et créent le petit monstre qu'ils veulent. J'étais tellement libre, j'étais tellement en dehors du système, qu'aujourd'hui j'ai cette force et je sais que demain, si Warner vient me demander de faire un film, il est très probable qu'ils sauront qu'avec moi, ce sont mes règles. Parce que je suis devenu si fort en tant qu'auteur, il est difficile de me faire sortir de cette position.

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C. L. : Comment vos propres dialogues sont traités par les acteurs, comment ils se les approprient ?
M. B. : Je pense que les dialogues sont tellement naturels, aussi naturels que la vie, que c'est facile pour eux. En tant que créateur, il est très difficile d'expliquer ce que je fais, parce que, par exemple, je lis des livres de Murakami, et je les aime tous, et j'ai l'impression qu'ils sont tous les mêmes et en même temps, je veux tous les lire de la même manière.
Il y a donc une chose sur laquelle vous m'interrogez et sur laquelle je pense que je n'ai pas beaucoup de contrôle. Je ne suis pas tellement conscient de ce que je fais. En ce qui me concerne, j'essaie de reproduire le sentiment que j'éprouve lorsque je vois le monde. Ce n'est pas comme si je disais, « maintenant je ressens ce que je ressens et j'écris », et j'aime ça.
Aujourd'hui, il m'est arrivé de regarder un dialogue que j'étais en train d'écrire, et j'ai eu l'impression que l'acteur qui travaillait dessus forçait certaines choses. Bien sûr, quand je l'ai lu, j'ai réalisé que j'avais déjà écrit cette chose forcée. Quand il explique les choses, il est un peu comme un professeur. Et j'ai dit, bien sûr, je l'ai écrit. Je l'ai écrit sans le vouloir, mais j'imagine que le personnage le fait comme ça.
Mais c'était étrange parce que moi-même, c'est comme si je ne savais pas ce que j'avais écrit. .
En fait, j'ai très peur du tournage. Avec le montage, je comprends l'idée que j'étais en train d'assembler et tout ça revient. Parce que séparément, je me demande comment cela va fonctionner. C'est ainsi que les choses se passent pour moi. Si je dois filmer dans la pièce où nous nous trouvons, il est très rare que je puisse vous dire la veille où je vais filmer. J'arrive, je regarde et je décide. Je n'aime pas travailler avec l'idée d'Hitchcock, qui a dit qu'il ne pouvait pas aller sur le plateau, n'est-ce pas ? Comme si tout était déjà pensé. Je n'aime pas cela.
J'aime découvrir l'espace sur le moment. Et avec les acteurs, en fait, je n'aime pas non plus répéter. J'ai répété Les Amants astronautes, parce que c'est très parlé, mais je préfère ne pas trop répéter.
Je suis un réalisateur qui, si, par exemple, la petite amie du directeur de la photographie apparaît et que j'ai l'impression qu'elle commente quelque chose, je veux savoir ce qu'elle a dit. Et si j'aime ça, je le prends dans le tournage. Je suis très ouvert d'esprit.
Lautaro Bettoni dans le rôle de Maxi, par exemple, est un acteur qui aimait proposer des choses.
C. L. : Comment voyez-vous cette tradition encore dans Les Amants astronautes, de la pudeur dans la représentation sexuelle alors que les mots de la séduction sont plus explicites ?
M. B. : Lorsque j'ai réalisé Plan B, je ne voulais pas qu'il y ait de nudité, je ne voulais pas qu'il y ait de sexe, j'étais obsédé par le fait de ne parler que d'amour. Je voulais que l'homosexualité soit principalement associée à l'amour, parce que c'est ainsi que je voyais les choses. Avec le temps, j'ai brisé cela. Ainsi, avec Taekwondo il y a de la nudité et comme par provocation il y a aussi de la sexualité pour la première fois dans un de mes films.
Les Amants astronautes est généreux avec le genre. C'est une comédie, à la manière de Pretty Woman où Julia Roberts ne montre jamais sa nudité. Ici, c'est comme si je voulais être honnête avec le genre de la comédie romantique.
Dans la forme, parce que les dialogues ne parlent pas de sexe mais de toutes sortes de bites : évidemment ce n'est pas un film naïf. Je ne savais pas si cela pouvait durer de parler tout le temps du pénis et tout le temps de faire des blagues gay, mais tout le film est comme ça. J'ai souhaité prendre ce risque, comme quand vous regardez Friends, où les dialogues sont assemblés d'une certaine manière pour générer une certaine situation comique. Pour moi, c'est provocateur. D'ailleurs, c'est comme une histoire d'amour naïve et en même temps une histoire de famille. Il me semble que le film joue avec l'innocence sans pour autant être innocent. Il est aussi question de fantômes de relations construites sur les réseaux sociaux, c'est pourquoi dans Les Amants astronautes nous ne voyons pas les dialogues écrits. Le film semble ainsi hors du temps, comme un hommage à un temps ancien des relations.
entretien réalisé avec Marco Berger en juin 2024 lors de la 39e édition du Festival International du Film de Guadalajara

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Les Amants astronautes
Los Amantes astronautas
de Marco Berger
Fiction
116 minutes. Argentine, Espagne, 2024.
Couleur
Langue originale : espagnol
Avec : Lautaro Bettoni (Maxi), Javier Orán (Pedro), Iván Masliah, Agustín Frías, Mora Arenillas, Ailín Salas
Scénario : Marco Berger
Images : Mariano Da Rosa
Montage : Marco Berger
Musique : Pedro Irusta
Son : Sergio Cabrera, Mariano A. Fernández
Direction artistique : Aixa Torres
Casting : Jose Cerqueda
Production : Alberto Masliah, Daniel Chocrón, David Matamoros
Production exécutive : Alberto Masliah
Société de production : Sombracine, Mr Miyagi Films
Distributeur en salles de cinéma (France) : Optimale
Sortie cinéma (France) : 2 juillet 2025
Ventes internationales : Wildstar International