Billet de blog 18 novembre 2015

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La mine, la rivière, la vie d’un enfant Wayuu

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La destruction du fleuve Rancheria ou l'empoisonnement de l'eau et des terres du peuple Wayuu par les exploitants occidentaux du Cerrejon, mine de charbon.

Une situation à dénoncer... Un film à réaliser.

Par Claude Bernhardt, spectateur assidû de Cinélatino, Rencontres de Toulouse.

Nous sommes dans la cour de la maison où se tiennent les réunions du Comité civique de défense du rio Rancheria. Autour de la table sur laquelle Luisa vient de poser les tasses de café brûlant, nous sommes cinq à écouter Felipe Rodriguez nous parler de la mine Cerrejon et du rio Rancheria. Nous sommes à Riohacha, la capitale du département de la Guajira en Colombie, sur les bords de la mer Caraïbe. Il fait très chaud, le mois d’août 2015 touche à sa fin, le ciel est chargé de nuages lourds poussés par l’alizé persistant mais, comme chaque jour depuis maintenant dix mois, les nuages ne crèveront pas, la pluie ne tombera pas.

Felipe sait de quoi il parle, il y a encore peu il était président du syndicat des mineurs, le Sintracarbon. Il préside et coordonne aujourd’hui le Comité civique de défense de la Guajira et du rio Rancheria, un comité qui regroupe plusieurs syndicats de travailleurs et associations qui luttent contre l’accaparement des terres et des ressources en eau, des contaminations et des atteintes aux droits humains. Si le principal prédateur est la mine, il faut aussi compter avec l’agro-industrie et les maffias.

Les jours précédents nous avions visité la mine Cerrejon et parcouru la rivière Rancheria en plusieurs endroits. Nous avions pris des photos, filmé des paysages désolés, interrogé des habitants des alentours. Nous savions ce que nous allions rencontrer, mais entre savoir par témoignages ou articles et voir, parcourir, il y a une marge d’expérience qui fait réalité.

El Cerrejon, « un mégaprojet à tous les égards » annonce fièrement le site du consortium. Il est composé de trois multinationales minières : Glencore Xsastra (siège social en Suisse), BHP Biliton (fusion de deux entreprises, l’une australienne, l’autre britannique) et Anglo American (holding britannique). Avec plus de trente-six millions de tonnes de charbon par an, Cerrejon est l’une des plus grandes mines de charbon à ciel ouvert du monde, elle s’étend sur plus de quatre cent kilomètres carrés. Des trous immenses creusés par des engins d’extraction dont chaque pelle peut arracher, soulever et déverser jusqu’à 75 tonnes de terre et minerai dans les bennes d’énormes camions qui en transportent de 240 à 320 tonnes. Chaque jour le sol est fracturé, soulevé par des charges de dynamite. Le ciel est alors obscurci et la poussière chargée de souffre et de méthane s’étend bien au-delà des limites de la mine. Pour que les énormes camions puissent parcourir et gravir les rampes qui sillonnent le paysage dévasté, le sol est arrosé en permanence. Afin de « tenir » la terre, sont ainsi déversés des milliers de litres d’eau qui ruissellent jusqu’à la nappe phréatique et la contamine en résidus et substances chimiques toxiques.

Depuis plus de trente ans la mine s’étend. Récemment des plans ont été faits pour une extension vers une forêt protégée, à la lisière de la sierra Nevada, et le détournement du rio Bruno, un affluent du Rancheria, est en projet. Ce ne sont pas moins de onze installations qui pompent en permanence dans la nappe phréatique pour acheminer l’eau par aqueduc jusqu’aux réservoirs et bassins de la mine. Les mineurs affirment que Cerrejon a détruit plus de 12 000 hectares de forêt tropicale sèche, déplacé au moins cinq communautés, bouleversé l’écoulement naturel de la rivière Rancheria où, pour couronner le tout, un vaste barrage a été installé dans la montagne où le rio prend sa source. Pour cette fois la mine n’est pas responsable, l’eau retenue et captée alimente dans la plaine les étendues de rizières et palmes, une agro-industrie aux mains des anciens paramilitaires et de la maffia.

Le charbon, il faut le transporter jusqu’à un port pour qu’il parte vers les pays importateurs. Cerrejon est donc aussi propriétaire, sur 150 kilomètres, d’une ligne de chemin de fer sur laquelle circulent des convois de plus de cent wagons. Là encore, les effets de dispersion de poussières sont importants, touchant près de cinquante communautés Wayuu. Enfin, à Puerto Bolivar, le minerai est chargé dans des bateaux tankers qui sillonnent les mers. Les fonds marins côtiers de la Guajira sont eux aussi contaminés, les récifs coraux détruits.

Mais au fait, à qui est destiné le charbon ? L’Europe est en tête et pour 50% (très largement l’Allemagne), puis viennent les USA (37%) et enfin l’Asie et l’Amérique du sud avec le Brésil.

« Nous avons vu une rivière qui, à partir de la mine qu’elle longe sur près de quatre kilomètres, n’est plus qu’un lit de boue séchée. Ici et là, quelques mares obstruées d’arbres morts. Et c’est ainsi sur près de cent kilomètres, jusqu’à Riohacha où elle se jetait avant dans la mer. Nous savons que cette rivière coulait de manière permanente il y a encore trois ans. Aujourd’hui, c’est fini ». Felipe confirme notre récit : « le rio Rancheria est mort sur près d’un tiers de son parcours, les troupeaux ne viennent plus s’y abreuver, les femmes et les enfants ne s’y baignent plus, les oiseaux ont quitté les nids, la mort noire a gagné ».

La Guajira est une vaste péninsule semi désertique dans sa première moitié au sud, désertique ensuite jusqu’à sa pointe au nord. La vie y est rude, fragile. Les troupeaux de chèvres et de brebis à l’intérieur des terres, la petite pêche sur la côte sont les principales ressources d’un peuple qui vit là depuis des centaines d’années, les Wayuu. La contrebande d’essence et de produits manufacturés, en provenance de Chine et de Corée, transite par la frontière avec le Venezuela proche. Sur une population de quelques neuf cent mille habitants qui vivent dans la Guajira, les Wayuu sont près de quatre cent mille, cent mille autres vivent au Venezuela. Ils sont le plus grand peuple indigène de la Colombie. La plupart d’entre eux parlent le wayuunaiki et aussi, pour ceux qui ont été scolarisés, l’espagnol. Ils sont attachés à leur culture et modes de vie, il y a peu encore semi-nomade. Ils vivent en petites communautés, en rancherias dispersées sur toute la péninsule. Ils ont une réputation de « pas commodes », héritée d’une tradition guerrière qu’ils exerçaient il y a encore peu, du 16e au 18e siècle à l’encontre des Espagnols et par la suite des Colombiens. Par contre, ils ont facilement échangé avec les pirates qui trouvaient refuge sur la côte (les Caraïbes !) et ont accueilli, voir même intégré, les esclaves noirs en fuite. Ainsi, il n’est pas rare de rencontrer des Wayuu aux cheveux crépus et aux nez légèrement épatés. Près de la sierra Nevada, les communautés afro-colombiennes ne sont pas rares.

Si nous avons rencontré Felipe Rodriguez c’est aussi parce que, depuis 2013, nous vivons et travaillons plusieurs mois par an avec deux communauté Wayuu, l’une près de Riohacha, l’autre dans la zone de Maicao, dans les terres près de la frontière. Cette vie partagée, avec les amitiés qui s’y sont nouées, nous a fait rencontrer les conséquences terribles d’une sécheresse endémique, encore aggravée, et ô combien, par le réchauffement climatique, la mine et l’agro-industrie. Les animaux meurent en quantité, la pêche côtière est devenue plus difficile, les possibilités d’agriculture et de pêche sur les bords du rio Rancheria presque nulles. Depuis trois ans la dénutrition et la mortalité infantile augmentent, quatre mille enfant seraient ainsi morts pour cause de faim. Les maladies dues aux carences alimentaires mais aussi aux pollutions et contaminations sont elles aussi en très nette progression : cancers, maladies respiratoires, éruptions cutanées, pertes de la vue, pertes cognitives,…

A ces calamités, qui sont loin d’être toutes « naturelles », s’ajoute le quasi abandon par l’Etat et les gouvernances régionales. La corruption et le clientélisme sont des fléaux sur toute la côte Caraïbe et hélas érigés en mode de gouvernance dans la Guajira. La mine verse d’énormes redevances à l’Etat, les communautés Wayuu n’en voient jamais les retombées. Quand la famine devient trop visible, l’Etat lance un plan d’aide alimentaire limité et dans le temps et dans le réseau social, très souvent réservé aux enfants de 0 à 5 ans alors que les mères et femmes enceintes devraient être elles aussi parmi les tout premiers bénéficiaires. Il n’est pas excessif de parler d’un véritable génocide, vital et culturel, sinon programmé du moins laissé à l’initiative du temps qui courre.

C’est inéluctable ? Nul ne le sait. Le peuple Wayuu a une capacité et une volonté de résistance qui force l’admiration. Il lutte, s’organise et s’adresse à la collectivité internationale, au Comité interaméricain des droits de l’Homme ; des journalistes tel Gustavo Guillén relaient l’information, il est vrai avec difficultés. Nous mêmes, avec notre association, contribuons très petitement aux initiatives et actions qui ne se limitent pas à apporter une aide. Ce qui est à gagner, en tout premier, c’est la reconnaissance de la situation par les Colombiens eux-mêmes, mais beaucoup de chemin reste à parcourir et les « indiens » sont la centième roue de la charrue… Travailler en amitié et en solidarité, ouvrir des portes, même petites, même étroites, et ne pas perdre de vue que les convergences avec d’autres initiatives, là-bas en Colombie, ici en France, concourent à faire lien avec le combat pour vivre que mènent des Wayuu et des habitants de la Guajira. Felipe sait cela.

Claude BERNHARDT

Association Crear escuela / Faire école

http://faireecole-crearescuela.over-blog.com

crear.escuela-faire.ecole@orange.fr

Ne pas hésiter à nous joindre pour plus d’informations.

Site du Comité civique Guajira et rio Rancheria : rio-rancheria.blogspot.com

En savoir plus :

« Rivières volées », conférence en dialogues pluriels et avec images.

"La Guajira et la Boyaca, deux régions de la Colombie où sévissent mines, agro-industrie et atteintes aux droits humains. Les résistances des populations – Wayuu et paysans – se développent, malgré les intimidations et violences exercées à leur encontre. Des enjeux d'importances internationales."

Le samedi 14 novembre à 19h30

à la Chapelle – Atelier idéal

36 rue Danielle Casanova, Toulouse, M° Canal du Midi (sortie Conseil général)

Entrée libre et gratuite.

Bar et soupe revigorante.

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