Ce film possède beaucoup de points communs avec Les Drôles de poissons-chats (Los insólitos peces gatos, 2013), le premier long-métrage de la réalisatrice: la possibilité qu’offre la maladie de créer un lien affectif, le déclin des protagonistes touchés par une maladie grave et la vie urbaine et solitaire d’une jeune femme sur laquelle la réalisatrice pose son empreinte personnelle (dans Les Drôles de poissons-chats, la plus jeune des protagonistes s’appelle Claudia comme la réalisatrice et dans Jazmín y Toussaint, c’est la réalisatrice qui interprète le rôle de Jazmín).
Jazmín y Toussaint présente des personnages qui malgré leur apparente dureté ne manquent pas de nous interpeller : Toussaint n’a jamais réussi à se créer des racines dans les lieux où il a vécu et a échoué à maintenir toutes ses relations affectives. Jazmín, quant à elle, aime s’imaginer et dire à tous qu’elle gagne sa vie en écrivant des pièces de théâtre, alors que c’est surtout son emploi de serveuse qui lui permet de vivre.
La réalisatrice assume totalement la dimension personnelle du film, son père est également atteint de démence vasculaire comme le personnage de Toussaint. Il est important de souligner que cette maladie présente beaucoup de symptômes communs avec la maladie d’Alzheimer, mais contrairement à cette dernière ce n’est pas une maladie neurodégénérative, elle est la conséquence d’un AVC.

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C’est par le biais de cette maladie que Claudia Sainte-Luce montre la personnalité et les expériences de Toussaint, c’est par elle que les moments clés de la vie de Toussaint sont révélés dans une sorte de rêve éveillé. L’importance pour la réalisatrice d’inclure son histoire familiale personnelle dans ce film était telle qu’elle a fait appel à l’acteur Jimmy Jean-Louis, surtout connu du grand public pour son rôle de l’Haïtien (qui, ironiquement, possède le pouvoir de manipuler les souvenirs des personnes) dans la série Heroes, car elle voulait absolument un acteur haïtien et noir qui parle l’espagnol et le créole comme son père. C’est ainsi que Jimmy Jean-Louis s’est glissé dans la peau d’un homme de presque quinze ans son aîné afin d’incarner le personnage de Toussaint, ce qui rend sa performance encore plus admirable.
La réalisatrice offre dans ce film un va-et-vient permanent entre les deux points de vue des protagonistes. On s’enfonce de plus en plus dans les souvenirs de Toussaint par leur intrusion dans son quotidien; via des flashbacks déroutants dans la mesure où ils perturbent la linéarité du récit, jusqu’à ce que sa mémoire s’efface. C’est par ce procédé que le spectateur est immergé dans la confusion mentale qu’implique cette maladie.Parallèlement, Jazmín, qui apparaît dans un premier temps comme une jeune femme sans attaches, qui pense ne pouvoir compter que sur elle-même et déçue par les reproches de son père, accepte de s’ouvrir pour rétablir un lien avec ce dernier et donner une chance à Manu, un jeune homme qui s’intéresse à elle, d’entrer dans sa vie.
En ce qui concerne le choix du titre du film, la réalisatrice explique : « Quand on naît, on vient avec une boîte que l’on remplit au fur et à mesure de personnes, souvenirs et plein de choses »[1]. Le titre du film est donc une référence à la boîte qu’est la mémoire de Toussaint que l’on voit se vider tout au long du film de manière irrémédiable.
Erica Farge
[1] Traduction de la citation originale de la réalisatrice en espagnol : « Cuando vienes a la vida traes una caja que vas llenando de personas, recuerdos y un montón de cosas ».