Billet de blog 24 mai 2015

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Cédric Lépine

Critique de cinéma, essais littéraires, littérature jeunesse, sujets de société et environnementaux

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Festival de Cannes 2015 : Une prison verte en Colombie

Un Certain Regard : Alias María, de José Luis Rugeles Gracia

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Illustration 1
© Sophie Dulac Distribution

Un Certain Regard : Alias María, de José Luis Rugeles Gracia

Dans la forêt colombienne, María, 13 ans, les armes à la main fait partie de la guérilla. Avec un enfant-soldat plus jeune qu’elle et deux guérilléros plus âgés, elle reçoit pour mission de conduire un nouveau-né (le fils du commandant) en lieu sûr.

Sans préambule, le spectateur est immergé dans une jungle qui emprisonne tous les individus qui s’y trouvent. En effet, dans la forêt colombienne se trouvent les forces armées des différentes guérillas qui depuis plus de cinquante ans mènent la lutte contre le pouvoir établi. On y trouve des enfants-soldats, vendus ou pris de force à leur famille. Le personnage principal, María, est une adolescente : à l’âge où la rébellion est un moyen de partir en quête d’une identité, elle est ici sans cesse soumise aux ordres violemment imposés par ses supérieurs. Le contrôle des grossesses est de mise : tout début de grossesse conduit systématiquement à un avortement. Lorsque le bébé du commandant du camp voit le jour, María doit malgré elle jouer le rôle momentané de mère. Mais le quotidien n’en reste pas moins celui de la guerre. Son avenir est aussi obstrué que son horizon au milieu de la forêt. La forêt de José Luis Rugeles Gracia est ici loin de celle mystique et originelle de Ciro Guerra dans El Abrazo de la serpiente. La forêt est ici une prison qui enferme les êtres. Les couleurs de l’image du film jouent énormément sur les contrastes, s’éloignant du naturalisme pour renforcer le symbolique. La menace est omniprésente et la mort peut arriver à tout instant. Dans ce cadre, le réalisateur à partir de l’histoire d’une adolescente a décidé de rendre hommage à toutes les femmes qui luttent dans un monde masculin oppressif où le machisme est de fait légitimé par la loi des armes. Les femmes guérilleras ne doivent pas tromper sur la reconnaissance de leur place politique : les chefs sont des hommes et à ce titre ils exercent leur autorité à leur convenance. Le réalisateur ne s’étend pas sur le contexte spécifique de la guérilla en Colombie : son propos est plus universel. Cela ne l’empêche pas non plus de dénoncer les violences, les assassinats et autres atrocités commises à la fois par la guérilla et surtout les paramilitaires. Le parcours de María suite une ligne dramatique car il est difficile pour elle de trouver des alliés dans un milieu exclusivement coercitif. Le retour à la vie civile n’est pas non plus aisé, compte tenu du contexte de suspicion à son encontre. Le film est bien davantage un film sur le contexte de la guerre qu’un film de guerre en tant que tel. Pas de scènes spectaculaires ni de gestes héroïques : la situation de guerre étouffe tous les êtres et détruit toute une société. Avec modestie Alias María s’en fait le témoin.

voir l'entretien réalisé avec le réalisateur

Alias María

de José Luis Rugeles Gracia

2015, 92 min

avec : Karen Torres (María), Carlos Clavijo (Mauricio), Erik Ruiz (Yuldor), Anderson Gómez (Byron)

scénario : Diego Vivanco

image : Sergio Ivan Castaño

son : Martin Grignaschi, Federico Billordo

décor : Oscar Navarro

montage : Delfina Castagnino

musique : Camilo Sanabria

Production : Rhayuela Cine (Colombie), Sudestada Cine (Argentine), Axxon Films (France)

Distribution : Sophie Dulac Distribution

Vente internationale : UDI

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