La réalisatrice, scénariste et productrice argentine Celina Murga réalise en 2003 son premier long-métrage Ana et les autres, qui a reçu de nombreux éloges et plusieurs prix internationaux. Après Una semana solos (2008), son troisième long-métrage La tercera orilla était en Compétition Officielle au Festival de Berlin en 2014 et se retrouve en section Panorama Fiction de Cinélatino, Rencontres de Toulouse 2015. Son documentaire Escuela Normal (2012) est également programmé dans la section Muestra de Cinélatino « L'âge des possibles ».
Tes films traitent, entre autres, du rapport entre les enfants et les adultes et de parents qui sembleraient absents…
Je pense que dans mes films les familles sont importantes. Dans mes histoires, je parle sans cesse de la relation d’un individu avec sa famille. Mais c’est un choix délibéré que celle-ci reste en dehors des histoires et décrite à partir justement de son absence. Dans Ana et les autres, par exemple, la protagoniste signe l’acte de vente d’une maison, ce qui nous fait supposer que ses parents sont peut-être morts. L’idée sous-jacente est que cette maison était le dernier lien de cette femme avec cet endroit, le dernier vestige de son passé. La famille et les liens, alors, ont une grande importance mais ils sont seulement suggérés car le film est centré dans le présent absolu du personnage. Dans Una semana solos, le choix que les enfants protagonistes du film restent seuls, sans la famille, est évident, car il s’agit de l’événement qui permet de raconter l’histoire de cette façon.
Les jeunes et les enfants sembleraient reproduire assez tôt les rôles et distinctions de classes…
Mes deux premiers films ont beaucoup en commun, en réalité. Je suis toujours en train de parler de sociétés très fermées où les gens appartenant à la même classe sociale n’établissent pas de liens avec des autres… Dans Ana et les autres, on parle d’une société très endogène fermée sur elle-même.
Vous avez commencé à faire des films au moment de la crise économique mais aussi du « renouveau du cinéma argentin ». Comment avez-vous vécu cette période ?
Il y a eu une convergence des faits puisque pendant les années 1990 s’est créée une grande quantité d’écoles de cinéma dans les universités. Le domaine du cinéma, alors, s’est professionnalisé, la question de genre s’est démocratisée puisque les femmes sont arrivées en plus grand nombre; puis a eu lieu l’apparition du BAFICI. Tout cela a aidé au développement du cinéma argentin.
Aujourd’hui, nous ne parlons plus forcément de « nouveau cinéma argentin » mais d’une pluralité de cinémas avec des thématiques très diverses. Il y a beaucoup d’hétérogénéité dans les recherches esthétiques et les modes de narration des films argentins, pas seulement dans le schéma formel mais aussi dans leurs types de production. Il y a aussi beaucoup de vitalité puisqu’il y a de nouveaux réalisateurs et réalisatrices, techniciens et autres.
Cependant, en Argentine, nous avons un grand problème, depuis longtemps, avec la diffusion de nos films. Un film sort en salles et meurt à la fin de la première semaine d’exploitation. On pourrait dire qu’il y a beaucoup de production mais « peu d’appétit » pour notre cinéma.
Vous avez, en participant également à la production de vos films, pu développer une cinématographie assez indépendante…
Moi, ce qui m’intéresse, c’est de continuer à travailler avec des acteurs peu connus ou même non professionnels qui n’ont pas de reconnaissance populaire. C’est un choix d’indépendance puisque cela réduit les possibilités commerciales des films. Mais je crois que les histoires que je raconte cherchent un naturalisme qui exclut les acteurs connus. Je veux parler d’espaces géographiques et de sociétés déterminées et j’ai besoin que les acteurs puissent être partie prenante du contexte, lui ressembler. Étant donné que je vais travailler sur une ligne étroite entre fiction et réalité, les éléments doivent rendre la narration réaliste. Telle est le sens de ma recherche dans mes films.
Propos recueillis par Paula Oróstica et Cédric Lépine en mars 2014 lors du festival Cinélatino, Rencontres de Toulouse