Billet de blog 26 mai 2016

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La préparation d'acteurs : entretien avec Andrés Barrientos

Andrés Barrientos, réalisateur, scénariste et directeur artistique est aussi directeur d'acteurs, un métier qui se développe notamment lorsque les acteurs ne sont pas professionnels. Dans cet entretien, il explique son rôle dans le jeu et la mise en scène du film de Ciro Guerra, "L’Étreinte du serpent", nominé aux Oscars du meilleur film étranger.

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Andres Barrientos © Laura Morsch-Kihn assistée d'Ingrid Castellanos

Loreleï Giraudot : Tu es préparateur d’acteurs. Comment définis-tu ce rôle ?

Andrés Barrientos : La préparation d'acteurs n'est pas toujours nécessaire mais lorsqu'elle l'est, elle se compose de deux parties. Elle consiste premièrement à enseigner aux acteurs professionnels ou non professionnels des techniques face à la caméra, face au travail lui-même. Deuxièmement, elle permet de travailler la partie émotionnelle, d'aider les acteurs à vivre le moment présent. Il s'agit de travailler avec eux pendant les répétitions, de sorte qu'une fois le mot “action” prononcé, ils puissent vivre une expérience authentique.

Cela devient alors un travail très complexe. Par exemple, dans L’Étreinte du serpent, nous avons travaillé avec quelques acteurs professionnels et plusieurs acteurs non professionnels, nos acteurs indigènes. Ainsi, ils sont devenusacteurs mais auparavant, ils n'avaient pas de véritable expérience ; l'un d'entre eux avait joué dans un documentaire, un autre avait participé à un court métrage dans lequel on ne l'avait pas vraiment préparé.

Préparer un acteur n'est pas chose facile, parce qu'il faut lui parler le langage qu'il connaît. En général, de nombreux réalisateurs demandent aux acteurs un résultat, ce qu'ils espèrent voir, ce qui entraîne un jeu stéréotypé. Il est important de vivre le moment de tournage, pour que les spectateurs les sentent vivre à l'écran. C'est une question de langage et de communication. En général, les instruments d'un réalisateur ou de préparateur d'acteurs sont la voix et le corps. Nous communiquons avec l'acteur pour qu'il fasse ceci ou cela. Cependant, la majorité des réalisateurs qui ne savent pas parler avec les acteurs disent quelque chose et eux font autrement. Alors le réalisateur se frustre parce que l'acteur n'a pas compris ou a interprété ses propos d'une autre manière. Lors de la préparation d'acteurs, les choses ne peuvent être comme on les imagine. Elle doit entraîner la cocréation avec l'acteur. Une scène ne préexiste pas, elle n'existe pas avant le tournage ; la scène existe quand elle se fait. On peut la répéter de différentes manières ; répéter ne signifie pas refaire la scène jusqu'à la perfection ; ce serait assassiner le feu créatif de l'acteur, cela le rendrait statique. La scène ainsi tournée serait morte avant d'exister parce que les acteurs répéteraient, ils ne vivraient pas. La préparation consiste alors à leur donner, au moment du tournage, les moyens de pouvoir vivre véritablement cette expérience, de mille façons différentes : il y a autant de façons de la vivre que d'acteurs.

Loreleï Giraudot : Comment travailles-tu, dans L’Étreinte du serpent, avec des acteurs qui parlent une autre langue ?

Andrés Barrientos: Nos acteurs parlaient un espagnol très rudimentaire et d'un autre niveau de compréhension. Nilvio par exemple, l'acteur qui joue le jeune Karamakaté, parle un espagnol très basique. Je devais alors adapter mon langage. Lors des répétitions, j'apprenais et comprenais les mots clés. J'ai dû apprendre un peu de Kubeo, son dialecte, et ensuite, pour parler avec le vieux Karamakaté, j'ai appris un peu de Witotu.

Les indigènes eux-mêmes nous aidaient à traduire le scénario. Ce sont eux qui ont corrigé la manière de dire le texte (sous le texte espagnol, il y avait celui en langue indigène). Nous avons donc travaillé en espagnol, en modifiant le texte original pour qu'il soit au plus près de leur langue.

Le jeu possède quelque chose de très beau : le sous-texte. Le texte, c'est le dialogue. Le sous-texte, c'est ce que la personne veut dire réellement. Dans la vie réelle, nous parlons et nous jugeons continuellement, nous pensons à ce que l'autre a voulu dire. Nous avons nos disputes, notre relation de couple; nous parlons avec nos parents; nous pensons continuellement à ce qu'a voulu dire l'autre... alors qu'en vérité, nous n'en savons rien. Nous passons notre temps à tenter d'interpréter le sens des mots.

Au cinéma, quand quelqu'un dit ou lit un dialogue, il le fait d'abord de manière littérale. Notre travail consiste à dépasser cela. C'est ainsi qu'avec les indigènes, nous avons fait des exercices de communication ; nous leur apprenions à dire un mot qui, au fond, signifie autre chose. Celui qui le recevait devait comprendre l'intention, non le mot. Ainsi commence la communication non verbale, une communication un peu plus profonde d'où jaillissent les mots. Dès lors, le plus important est ce qui existe dans le cœur, dans l'âme ; ce que cette personne souhaite dire véritablement, ce qu'elle désire. Nous avons appris à permettre aux expressions de se manifester seules, sans les forcer. De petits exercices nous ont appris à réagir, à comprendre l'importance des regards, l'importance des silences. Un acteur peut penser à crier tout en parlant doucement ou sans parler du tout. Le regard à lui seul parle. Notre travail avec les indigènes est lié à ces petites techniques, au placement du corps devant la caméra, savoir de quel côté se tourner, être capable de parler sans faire de bruit en même temps : s'ils réalisent une action et qu'il y a un dialogue, ils doivent dire le dialogue puis faire l'action et ensuite, poursuivre le dialogue. Ces petites choses évidentes sont très importantes. Si elles sont visibles, cela devient gênant. Ça, c'est la partie technique.

Ensuite, la partie la plus importante et complexe a consisté à leur faire vivre le moment présent, à ce que l'expérience soit vraie. Nous jouions avec des situations similaires à la scène que nous allions tourner. Il est très rare que nous ayons répété les scènes avant le tournage et lorsque nous le faisions, nous précisions aux acteurs que ce n'était pas la séquence finale, qu'elle pouvait changer, se transformer, que nous pouvions leur demander autre chose, pour qu'ils comprennent que c'était un jeu, aussi douloureux soit-il. Nous cherchions toujours des moyens pour qu'ils reviennent à eux-mêmes, pour les aider à maintenir leur énergie afin qu'elle puisse servir à l'écran. Je n'ai jamais travaillé la mémoire émotive, la mémoire personnelle. Nous faisions des improvisations ; par exemple, je leur bandais les yeux et les acteurs recréaient un espace à l'aide de leur imagination. Après trente ou quarante minutes, ils y croyaient véritablement et commençaient à vivre. Les autres acteurs participaient à cette recréation. Cela pouvait être des moments de torture, des moments douloureux, des moments affectueux... Une heure ou deux après, quelque chose des sentiments éprouvés subsiste. Nous nous servions de cela comme mémoire, mais c'est une mémoire qui vient de l'imagination, une mémoire fausse. Ce n'est pas la mémoire réelle de l'acteur mais la mémoire de personnes devenues personnages.

Quand nous jouions, les acteurs croyaient à l'espace et au temps imaginés, comme s'ils construisaient une mémoire parallèle fictive. Avec Karamakaté par exemple, au début, nous avons essayé de recréer les tortures. Il a pu ensuite raconter, ce que nous voyons dans le film, que toute sa famille, sa tribu et sa culture avaient été assassinées. Nous avons remonté le temps jusqu'à l'âge de ses 8 ans, lorsqu'il vivait encore avec sa famille. Nous avons ensuite recréé l’assassinat avec les autres acteurs : eux criaient, pleuraient, couraient, frappaient, faisaient du bruit avec les chaises. Il sentait alors réellement qu'il avait 8 ans. Toujours dans l'espace du jeu, lorsque nous avons assassiné sa famille, lui est resté seul un instant ; il est allé la chercher et tout ce qu'il a trouvé, c'était le collier de sa mère. Dans la première scène, l’objet pendu au cou de Theo est ce qu'il y a de plus important pour lui : une connexion émotionnelle s'était créée. Ensuite, je lui ai enlevé le bandeau, je l'ai mis face à Theo et je lui ai murmuré, pour que les autres acteurs n'entendent pas : « cet homme blanc est l'assassin de ta mère », ce qu'il a pensé en regardant Theo. Bien entendu, nous n'avons pas assassiné sa mère mais lui le pense une seconde et son regard le montre. À l'écran, on voit que quelque chose de vivant se joue. Les secrets sont très importants dans le travail d'acteur, que ce soit dans le théâtre ou le cinéma ; ils génèrent les tensions.

Certains moments de la scène finale – lorsque Karamakaté dit « tue-moi si tu veux mais la plante mourra avec moi » – sont nés des répétitions. Après de nombreuses questions, j'ai demandé à l'acteur d'imaginer une personne qu'il avait déjà voulu frapper une fois dans sa vie. Je suis parti chercher un couteau dans la cuisine de notre hôtel, lui ai mis dans les mains. Lui est resté un instant comme s'il voulait poignarder quelqu'un. Je lui ai glissé un peu d'eau dans les mains et, lorsque j'ai vu la colère sur son visage, je lui ai demandé d'ouvrir les yeux. Il a regardé le couteau et l'a jeté car il se sentait horrifié en pensant que ses mains pouvaient être couvertes de sang. J'en ai ensuite parlé à Ciro et nous avons inclus cette scène dans le film. C'est très intéressant : lors de cette improvisation, nous avons modifié un cliché en voulant vivre un moment de vérité.

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© DR

Loreleï Giraudot : Cette part d'improvisation permet-elle d'adapter le scénario?

Andrés Barrientos: Pendant les répétitions, oui, mais lors du tournage, nous avons fait en sorte que les indigènes réussissent peu à peu à dire le scénario comme il était écrit. Tout ce qui se passe à l'écran était écrit, mais est né d'improvisations. Nous n'avons pas remis de scénario aux acteurs indigènes parce que nous ne voulions pas qu'ils mémorisent le texte. Il arrive souvent qu'un acteur peu expérimenté apprenne la phrase sans l'écouter véritablement. Il pense à ce qu'il doit dire et perd sa capacité d'attention envers les autres et envers lui-même. C'est ce que les acteurs de télévision appellent en espagnol « el pie », la phrase. Ce qui importe, ce n'est pas le « pie » des mots mais le « pie » émotionnel. Quand je disais une phrase à un acteur, je la lui proposais comme un jeu, une improvisation. La phrase sortait alors naturellement parce qu'elle n'était pas figée. Les premiers jours de tournage, nous travaillions avec d'autres mots mais à partir du troisième ou quatrième jour, 98 % des mots dits étaient ceux du scénario.

Cette méthode est aussi une manière de respecter les langues indigènes, la manière de communiquer des acteurs. Le regard occidental voudrait qu'ils puissent jouer le scénario parce qu'il a été précédé par cinq ans de recherches approfondies. Mais Ciro continuait à se demander comment l'aurait dit un indigène, quels auraient été ses mots, même s'ils sont très similaires à ceux du scénario. Nous nous sommes alors permis de changer un peu le scénario pour qu'il ressemble davantage à la réalité langagière de l'indigène et nous avons travaillé là-dessus.

L'improvisation en soi a lieu avant le tournage, parfois pendant, mais ces moments d'improvisation fusionnent avec le scénario.

Marie-Françoise Govin: Travaillais-tu avec les acteurs en groupe ou individuellement ?

Andrés Barrientos: Nous commencions avec des exercices collectifs de relaxation, même pendant le tournage. Pendant dix ou quinze minutes, les acteurs fermaient les yeux, écoutaient, déconnectaient leurs sens, faisaient un peu de yoga et d'étirement, afin de préparer leur corps et leur esprit. Nous terminions toujours les exercices par une observation du corps ; je leur demandais d'écouter n'importe quelle sensation physique ou émotionnelle, de ne pas la changer ; si quelqu'un est triste à cause d'un événement survenu chez lui, il a le droit, mais avec ça, nous travaillons ; s'il est heureux, de même. Nous devions continuer la scène. Nous ne sommes pas là pour juger l'état dans lequel ils se trouvent.

Nous faisions tout en groupe et je pouvais murmurer quelque chose dans l'oreille de chacun, ou il pouvait y avoir deux acteurs d'un côté, deux acteurs de l'autre, je pouvais aussi rester seul avec un acteur tandis que les autres improvisaient de l'autre côté. Après, nous mélangions les exercices.

Marie-Françoise Govin: Ce travail se faisait-il également avec les acteurs professionnels ?

Andrés Barrientos: Bien sûr. Il est important que les acteurs évoluent dans le même univers, qu'ils partagent leurs expériences, que les acteurs professionnels puissent comprendre la manière de travailler. Il s'agit simplement de jouer, comme les enfants. J'aime les mots “play” et “jouer” qui renvoient à l'enfance en français et en anglais ; en espagnol, on dit “actuar”, c'est-à-dire “agir”.

Avant le tournage, lors des improvisations, nous avons joué des scènes émotionnellement dures, dans lesquelles les acteurs pouvaient terminer en pleurant, en criant. À la fin de la journée ou à la pause méridienne, nous prenions un temps pour qu'ils redeviennent eux-mêmes. Un acteur professionnel qui a des années d'expérience apprend comment entrer et sortir de son rôle rapidement ; les acteurs non-professionnels ont besoin de plus de temps. Nos indigènes, surtout le jeune Karamakaté et Manduca, s'investissaient tellement dans le jeu qu'il leur fallait un quart d'heure ou une demi-heure pour revenir à eux-mêmes, pour que Karamakaté redevienne Nilbio.

Après l'adrénaline du tournage, le rush, il y a toujours une baisse émotionnelle : il y a un hight et un low. C'est ce que j'explique aux acteurs qui ne l'ont jamais vécue pour qu'au moment où elle arrive, ils ne soient pas trop déprimés. C'est ce qui est arrivé à Nilbio. Le film terminé, il voulait continuer à nous aider ; il a alors aidé l'équipe de production et moi-même avec les autres acteurs, la dernière semaine de tournage. Il m'a aidé dans la préparation initiale avec les autres acteurs indigènes qui occupaient les petits rôles, dans les exercices de regard, de concentration, de répétition du texte. Je lui expliquais les petits trucs qu'il avait appris, sans lui dire que c'étaient des trucs ; il comprenait, riait et leur enseignait. Une fois le film terminé, il m'a raconté qu'il lui a fallu deux ou trois semaines pour cesser de ressentir les émotions de Karamakaté. Je l'ai emmené boire une bière, pour parler. Le corps était resté chargé. Lorsqu'il me posait la question, je répondais que c'était normal, que cela pouvait arriver aux acteurs lorsqu'ils s'identifient vraiment aux personnages durant quelques mois pour vivre ce que nous voyons à l'écran.

L'un des derniers jours, il y a eu un beau moment de catharsis. Nous allions dans un de ces petits cocotaxis dans la jungle quand une chanson de Green Day est passée à la radio : « Good riddance (Time of your life) ». Cette chanson accompagnait le dernier épisode d'une série télévisée étasunienne que j'aimais beaucoup, Seinfeld. Dans ledit épisode, tous les personnages s'embrassent et pleurent. Je lui ai raconté cette expérience : ces personnes, après avoir travaillé neuf ans ensemble, ont mis cette chanson. Bien sûr, pour la culture des États-Unis, c'est important ; pour sa culture, cela n'a rien à voir. Mais je lui ai traduit les paroles : « il est important que les bonnes choses aussi aient une fin. Nous devons suivre un autre chemin, un autre parcours ». Il s'est mis à pleurer mais c'étaient des larmes de joie ; il ressentait la nostalgie du parcours que nous venions de terminer ensemble ; il comprenait qu'il devait toucher à sa fin. Nous avons parlé de cela, en buvant une bière et après avoir écouté Green Day au milieu de la jungle ! C'était surréaliste mais c'était beau. Cela lui a permis aussi de s'approcher de différentes choses culturelles, d'une chanson de punk étasunienne qui passait à la radio.

Nous avions déjà abordé les sentiments des chansons lors d'un exercice d'improvisation qui permettait de comprendre ce que signifiait parler avec le cœur : les acteurs fermaient les yeux, pensaient à quelqu'un qu'ils aimaient et chantaient pour cette personne. Cet exercice a aidé Theo par exemple à manger le caapi la première fois. Dans le film, Karamakaté a chanté pour sa famille tuée par l'homme blanc vingt ans auparavant et il a éprouvé un véritable sentiment. Ensuite, quand il a ouvert les yeux, il a vu les étoiles filantes et a parlé en les regardant. Un spectateur peut penser qu'il parle à un dieu. Peut-être qu'il parle à sa mère, à une autre personne, à une chose. Il y a une connexion émotionnelle. Parfois, la direction d'acteurs consiste seulement à poser les questions et à laisser répondre, parce que l'imagination est personnelle, les sentiments aussi.

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© DR

Loreleï Giraudot : Le métier de directeur d'acteurs au cinéma est contemporain et se développe de plus en plus. Comment expliques-tu cette nécessité actuelle ?

Andrés Barrientos : Je pense qu'il ne devrait pas exister. En général, le réalisateur devrait assumer cette fonction. Mais beaucoup d'entre eux comprennent qu'il y a des personnes qui peuvent les aider à tirer le meilleur des acteurs et de la mise en scène. Je sens que ce rôle fait tristement défaut. De nombreux réalisateurs ne savent pas guider les acteurs, eux-mêmes ne se sont pas formés en tant qu'acteurs. Ils sont préparés à raconter une histoire visuellement, techniquement, avec la photographie, la direction artistique, la narration, les déplacements filmiques, mais ils ne savent pas parler avec les acteurs. Avec Ciro, quand nous parlions, nous nous apercevions que nous voyions les choses de la même façon. C'était alors beaucoup plus facile de l'aider à guider les acteurs parce que je savais que je pouvais atteindre ses objectifs. Ce n'est pas facile de trouver cette entente.

J'aide de nombreux réalisateurs à faire des films et je transforme leurs idées en langage. Parfois, ils demandent à l'acteur un résultat et celui-ci doit changer l'indication en quelque chose de jouable, mais c'est un travail supplémentaire pour lui. Il doit penser et faire les choses très rapidement, parce que nous sommes en train de tourner, que le soleil se couche, qu'il n'y a plus le temps nécessaire. Cela peut générer des tensions. Je suis alors l'intermédiaire. Je transforme le mot, non en effet, mais en cause, et pour cela, je lui confie un secret ou je lui donne une raison, quelle qu'elle soit, pour qu'il joue. L'acteur est alors plus serein, plus libre et plus concentré sur le reste. C'est là mon rôle.

Cependant, il est rare. Certes, il est utilisé en Amérique latine et parfois même dans d'autres pays. Dans le film jordanien par exemple, Theeb, il y a eu un directeur d'acteurs pendant les répétitions. Elles ont duré de nombreux mois mais les financements n'étaient pas suffisants pour que le préparateur reste. Ils l'ont alors fait venir pour enseigner aux acteurs les choses élémentaires et ensuite, le réalisateur a poursuivi les exercices proposés. Le préparateur a supervisé l'entraînement et est revenu dix jours avant le tournage pour terminer la préparation intensive.

On fait surtout intervenir un préparateur d'acteurs lorsqu'il y a des acteurs non professionnels. Dans le cinéma latino-américain, il arrive souvent qu'on choisisse des personnes ordinaires qui n'ont jamais joué et qu'on le leur apprenne, qu'on résume les années de travail d'un acteur professionnel. Pour être acteur, il faut en effet travailler des années et des années. C'est alors très difficile de réussir à enseigner à quelqu'un qui n'a jamais joué pour qu'il arrive à ce niveau. La plupart du temps, cette personne n'interprète qu'elle-même et je vais lui enseigner des petites techniques filmiques, comment travailler en équipe, pour qu'elle apprenne à vivre le moment présent.

On utilise alors ce rôle de préparateur d'acteurs, ou de acting coach, ou de acting coach on set aux États-Unis. L'un recrute les acteurs personnellement ; dans le deuxième cas, la productrice recrute un acting coach pour qu'il aide les acteurs professionnels quand ils éprouvent des difficultés sur le plateau. Parfois, la scène ne fonctionne pas et le acting coach monte sur le plateau pour l'aider. Ce serait formidable que le réalisateur puisse le faire seul mais dans la majorité des cas, il n'est pas spécialisé dans le travail d'acteur. Lors d'un entretien de 1994, Brad Pitt, qui avait joué dans le film de Robert Redford, a dit que c'était merveilleux de travailler avec un réalisateur qui a été un acteur : ils parlent le même langage. C'est une question de langage, de communication : savoir quel mot utiliser ou non, comprendre comment apprendre à jouer le moment, travailler avec des situations imaginatives pour émettre différentes propositions, jouer différemment dans la scène suivante ou faire la même chose dans une autre prise.

En réalité, on m'appelle peu pour préparer les acteurs. J'occupe habituellement d'autres fonctions dans le cinéma. Je prépare les acteurs dans un ou deux films sur quatre ou cinq par an auxquels je contribue. Je pense que ce rôle manque, surtout quand on ne sait pas guider les acteurs. Mais ce n'est pas très commun.

Entretien réalisé par Loreleï Giraudot et Marie-Françoise Govin, lors de la 28e édition du festival Cinélatino à Toulouse, en mars 2016.

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