Entre le 12 et le 15 août de cette année, s’est déroulée, dans différents quartiers populaires de la ville de Santiago du Chili, la 15eme édition du Festival de Cinéma social et antisocial, FECISO, organisé par le collectif du même nom.
Depuis sa création en 2007, le FECISO est conçu comme un espace alternatif aux festivals nationaux traditionnels, favorisant le quartier comme espace de projection et ses habitants comme spectateurs/acteurs du festival. Le collectif s'est consacré, presque comme s’il s’agissait d’une vocation, à rapprocher le cinéma des gens, libéré de la panoplie médiatique des grandes sorties en salles. Les films projetés lors du festival, réalisés tant par de réalisateurs connus que par des novices, répondent ainsi à une recherche qui reste en marge des circuits officiels du cinéma dit « dominant ».
Le FECISO s’érige comme un objet étrange et coloré, qui aspire à donner de nouvelles significations aux fictions du cinéma et à rendre, au passage, le protagonisme aux citoyennes et aux citoyens à travers la réappropriation des espaces artistiques.
À l’occasion de cette nouvelle édition du Festival de Cinéma Social et Antisocial, Cinelatino s'est entretenu avec le collectif.
Qu’est-ce qu’est le collectif FECISO, quand et comment est-il est né ?
F: Le collectif FECISO est né en 2006, dans la commune de « La Pintana »⃰, qui est un des secteurs le plus pauvres de la région métropolitaine de Santiago. L’objectif principal, depuis le début, a été de porter le cinéma dans la rue, de générer un carnaval autour des films et d'échanger avec les habitants du quartier par rapport aux images et aux contenus des films. Le FECISO est né comme une réponse à l’absence d'initiatives concrètes et réelles dans le secteur où il s’est déroulé la première fois. Généralement, le cinéma est associé au glamour, tapis rouges et beaucoup d’argent, ce qui est une réalité complètement opposée à nos origines prolétaires. A vrai dire, nous étions fatigués de devoir aller dans les quartiers aisés pour regarder de films qui parlent de pures conneries.
Pourquoi “festival” et pas “rencontre” ou “ panorama” ?
F: On se posait la même question il n’y a pas très longtemps. Pourquoi un “festival” ? Peut-être qu'inconsciemment, nous nous sommes laissés envahir par le côté classique et dominant du concept. Mais finalement, cela n’a pas trop d’importance. Cette idée de “festival” est liée à l'idée de fête, de carnaval (au Chili, l’idée de carnaval, sans réminiscence chrétienne, commence tout juste à émerger), une jouissance inclusive grâce à laquelle nous fêtons notre récupération des images.
Quels sont les films que vous mettez en avant ? Comment se déroule le processus de sélection ?
F: Les films que nous privilégions sont ceux qui cherchent à aller au-delà des questions esthétiques ou picturales. Ce qui nous intéresse, dans les films montrés au FECISO, c’est leur capacité à établir un dialogue avec le spectateur, de le mettre mal à l’aise. Nous privilégions les propositions qui prennent un risque, sans se soucier de l’échec. Quant à la sélection, il s’agit d’un processus collectif mené entre l’équipe du FECISO et la Escuela Popular de Cine (Ecole populaire du cinéma, située à Santiago du Chili). Nous nous réunissons pour visionner les films avec quelques bières et discutons afin de décomposer chaque œuvre.
Comment choisissez-vous les endroits où a lieu le Festival?
F: Les endroits où nous travaillons sont généralement des espaces où se développent déjà des ateliers audiovisuels avec les habitants du quartier. L’objectif est de réaliser des courts-métrages qui seront ensuite présentés au FECISO lui-même. Il s’agit, à vrai dire, d’une expérience épiphanique qui suscite des forums de discussion à propos de thématiques actuelles. Et, pourquoi pas ne pas le dire, on s’amuse et on rigole beaucoup. Il s’agit d’une expérience pleine de joie et d’affection, car les espaces où s’installe le Festival sont des territoires où n'arrivent, avec un peu de chance, que l'église évangélique ou la Mairie.
Quelles autres activités réalise le Festival?
F: Actuellement, le FECISO est un mélange de diverses disciplines artistiques : musique, poésie, théâtre, arts visuels (comme par exemple, des ateliers de sérigraphie), muralisme, forums en plein air, expositions photographiques, break-dance, football dans les quartiers, etc. Il y a aussi d’autres genres de travaux qui ne sont pas forcément audiovisuels, mais qui cherchent à établir un dialogue avec le spectateur. Il serait pédant d’exclure cette diversité de langages que nous devons- nous insistons - récupérer. Tout cela a été un grand apport pour toutes les éditions du FECISO.
Quelle a été l’évolution du festival?
F: D’un festival consacré uniquement au cinéma, il s'est transformé en carnaval. Nous estimons que le travail effectué par la Escuela Popular de Cine a été fondamental. De fait, quand il est invité en région, le FECISO peut s'offrir le luxe de présenter ses propres productions. Peu de festivals de cinéma ont cette possibilité.
Comme définissez-vous le cinéma "social" ?
F: Le cinéma social est une conversation avec le spectateur. Il cherche une réponse, une réaction et pas la complaisance et la passivité. Il s’agit de montrer des réalités ainsi que les possibilités de l'expérience humaine. Il n’est pas seulement question de faire un supposé « cinéma communautaire » en utilisant les mêmes thématiques que le cinéma commercial ou la télévision ; il s’agit d’aller plus loin. Il ne suffit plus de dresser un portrait de la réalité sans essayer d’intervenir sur elle et sur les personnes. Réinventer la vie dans le cinéma, c’est ce que nous entendons comme cinéma social.
Comment définissez-vous le concept d'antisocial ?
F: Au Chili, le concept d’antisocial est utilisé par les medias pour stigmatiser des attitudes et des pratiques qui nuisent au bon fonctionnement de l'ordre bourgeois et capitaliste. Les graffeurs qui dessinent sur les wagons du métro, les étudiants qui barricadent une rue, les vols dans les boutiques des quartiers aisés… Nous estimons quant à nous que toutes ces attitudes sont légitimes face à un ordre social qui est lui-même structurellement antisocial, aliénant et hiérarchisé.
Au Chili, les seuls antisociaux sont les fils de pute qui, réunis dans quelques familles, sous la protection d’une Constitution pinochetiste⃰⃰ et d’un système économique qui ne les protège qu’eux, condamnent une grande masse de la population à la survie.
Comment le festival s’inscrit-il dans la réalité actuelle et le contexte sociopolitique du pays ?
F: Nous nous installons dans la rue, bloquons le traffic des avenues. Nous y hissons un rudimentaire rideau de scène où l'on projette les films une fois le soir tombé. Mais, avant, des pièces de théâtre se jouent, de la poésie combattive se déclame, des groupes et des chanteurs locaux se produisent… C’est tout un corps artistique et tout un travail des organisations de base où s’exposent les problématiques qui nous concernent en tant que citoyens et leurs possibles solutions. Plutôt que de délivrer un discours tout fait, nous cherchons à approcher la création des habitants du quartier, à leur montrer que les outils de travail sont aussi proches que les réalités qu'ils vivent eux-mêmes. Nous voulons qu'ils sachent qu'ils peuvent être des sujets actifs, capables d'influencer le contexte sociopolitique de leur pays, plutôt que de simples consommateurs de produits culturels.
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Vous faîtes partie de la Nueva Red Latinoamericana de Grupos Populares de Cine (Nouveau réseau latino-américain de groupes populaires de cinéma). En quoi consiste cette participation ?
F: La Red latinoamericana de cine comunitario regroupe plusieurs collectifs au niveau du Continent, qui font un travail semblable à celui que mène le FECISO. Le groupe Chaski au Pérou ou Ojo al Sancocho en Colombie, entre autres, dont l’objectif est de distribuer les films qui se réalisent. L’idée est d'en finir avec le nationalisme qui divise nos peuples et de nous souder dans un seul front de lutte.
Perspectives pour l’avenir ?
F: Continuer à se battre... Le travail pour changer la situation actuelle, pas seulement en ce qui concerne le cinéma, mais aussi l’art et la société chilienne et latino-américaine, est rude et en apparence infini, mais nous continuerons d'être présents. Il n’y a pas d’excuses pour ne pas poursuivre notre travail. Le plus important, c’est de savoir que nous le faisons par amour. Il s'agit d’une lutte permanente pour dérober des espaces à la mort, notre principale ennemie.
Entretien au collectif FECISO réalisé par Paula OROSTICA, septembre 2015.
Remerciements spéciaux à Juan CARREÑO
http://escuelapopulardecine.cl/
⃰ « La Pintana » est une commune située dans le secteur sud de Santiago du Chili.
⃰ Constitution Politique de la République du Chile de 1980, faite pendant la dictature d’Augusto Pinochet. Il s’agit de la carte fondamentale chilienne, qu’actuellement continue en vigueur.