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Billet de blog 5 mai 2012

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Quelques heures de la vie d’un homme

Le « pari romanesque » initial se double désormais d’un défi graphique avec cette adaptation en bande dessinée du roman éponyme de Laurent Seksik. Les derniers jours de Stefan Zweig sous les pinceaux de Guillaume Sorel chez Casterman met en images la fin tragique et romancée de l’homme de lettres autrichien qui s’est donné la mort le 22 février 1942 à Pétropolis au Brésil.

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Illustration 1

Le « pari romanesque » initial se double désormais d’un défi graphique avec cette adaptation en bande dessinée du roman éponyme de Laurent Seksik. Les derniers jours de Stefan Zweig sous les pinceaux de Guillaume Sorel chez Casterman met en images la fin tragique et romancée de l’homme de lettres autrichien qui s’est donné la mort le 22 février 1942 à Pétropolis au Brésil.

Illustration 2

Laurent Seksik a adapté son propre texte, s'associant au dessinateur d’Algernon Woodcock (Delcourt) et de L’île des morts (Vents d'Ouest) pour recomposer les dernières heures de la vie de Zweig et de son épouse en bande dessinée. L’album revisite de manière flamboyante le crépuscule de l'homme et de sa seconde épouse qui l'accompagna durant sept années et jusque dans la mort. 

Août 1941, l’album s’ouvre sur une vision, celle de New York qui s’éloigne à mesure que le paquebot fait route vers le Brésil que l’auteur du Joueur d’échecs, de Vingt-quatre heures de la vie d’une femme, de La Confusion des sentiments et du Voyage dans le passé rallie pour la seconde fois. Le Brésil, nouvelle terre d’accueil, énième terre d’exil. L’écrivain est fatigué, l’homme est abattu, en proie à une bile noire indéfectible. Il met la touche finale à son Monde d’hier, avant de mettre un terme à ses jours. Le manuscrit, tapé par son épouse Lotte, est posté à son éditeur la veille de leur suicide. 

Illustration 3

« J’aurai tout vu du monde. Je n’ai plus rien à voir », justification du geste fatak, raison ultime qui le pousse à ne plus vouloir supporter errance, calomnie et désespoir. Le monde s’écroule, Stefan Zweig en est convaincu. Le nazisme, la guerre et l’horreur ont eu raison de son monde, de sa vie, de sa judéité. De son humanisme. 

Illustration 4

La force des Derniers jours de Stefan Zweig réside bien évidemment dans la qualité de l’exercice : faire entendre des voix d’outre-tombe, d’outre-monde même puisqu’il s’agit bien de peindre ce qui n’est plus et dépeindre ce qui ne sera plus. Et la focalisation choisie par les auteurs, cette mise en miroir de Stefan et Lotte (le désespoir de l’homme, la maladie et la jalousie destructrice de la femme), la place centrale qui est donnée à l’épouse (contrepoint parfait qui vient se superposer à l’histoire dont on connaît déjà la fin), permettent de combiner relation de faits avérés et interprétation romanesque. Stefan Zweig a-t-il seulement dit sur la piste de danse à Lotte qu’il l’aimait ? Lotte n’a-t-elle pas souhaité échapper à son destin ? 

Le travail de reconstitution historique est également au centre du livre : le Brésil des années 40, les lieux de vie du couple, le bateau (l’Uruguay), les amis (Ernst Feder, Abrahao Koogan), sont autant de repères formels et d’invitations à se laisser porter par l’imaginaire de Laurent Seksik. Les dialogues, emprunts de mélancolie sourde, les références historique et intertextuelles (« Vous jouez ? » demande un inconnu à Zweig alors que ce dernier regarde deux joueurs d’échecs sur le pont du bateau), confèrent au livre un spleen baudelairien et une langueur avec lesquels s’accorde parfaitement le dessin réaliste de Guillaume Sorel. L’illustrateur utilise la peinture, l’aquarelle, alterne les clairs-obscurs et les teintes saturées, jouant avec les contre-jours et les ombres. Pour mieux faire éclater la lumière, cette « immense clarté » dans les ténèbres qui s’approchent et vient enfin délivrer Zweig. 

© Mediapart
Illustration 6
  • Les derniers jours de Stefan Zweig, de Guillaume Sorel et Laurent Seksik, Casterman, 16€
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