Billet de blog 8 mars 2010

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L'intégration économique plutôt que l'assimilation

«Pour rayonner à l'international, la France doit s'appuyer sur ceux dont les origines leurs permettent de mieux comprendre les cultures différentes auxquelles, nécessairement, elle se confronte», défendent Fatine Layt, banquière,et Mohed Altrad, entrepreneur.

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«Pour rayonner à l'international, la France doit s'appuyer sur ceux dont les origines leurs permettent de mieux comprendre les cultures différentes auxquelles, nécessairement, elle se confronte», défendent Fatine Layt, banquière,et Mohed Altrad, entrepreneur.

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Le débat sur l'identité nationale toucherait à sa fin. Lancé par Eric Besson, de façon hâtive et maladroite, il s'achève sur deux ou trois décisions qu'on ne peut qualifier que d'insignifiantes par rapport aux enjeux, et la vague promesse qu'il se poursuivra, avec, cette fois, nous dit-on, la participation des historiens, des sociologues, etc., qu'inexplicablement, on avait jusqu'à présent omis de consulter. Nous ne savons pas encore ce que valent ces promesses. Mais nous soutenons que, pour dangereux qu'il soit devenu ces derniers temps car bien trop théorique, le débat sur l'identité nationale ne doit pas être enterré.


Au vrai, ce débat nous semblait dès le début très mal engagé, reposant sur un a priori tacite et trompeur : la capacité des immigrés à assimiler un passé qui caractériserait la France, un passé avec un grand P naturellement, héroïque et schématique, tel que Jeanne d'Arc et les Croisés en seraient des figures emblématiques dont il faudrait assumer les choix, ou plutôt dont le fait d'assumer les choix ferait l'être français. Bien sûr nous ne nions pas que l'on se définisse par un passé ; mais soutenons que l'on ne peut vivre qu'en se projetant dans le futur. Et insistons : ce qui est proposé aujourd'hui est essentiellement une assimilation du passé et au passé, sans aucun projet d'avenir.


Pour nous, le point de départ c'est que la France et les Français ont changé. Mais tout semble indiquer que la transformation s'est accomplie sans que la France et les Français en aient, sinon conscience, du moins maîtrisé les données ; si bien qu'au lieu d'être accueillie positivement, elle a fini par être perçue négativement, suscitant notamment un intérêt « malsain » pointant tout ce qui « ne marche pas ».
Parce que c'est un fait, « on vit mal ensemble ». Seulement, est-ce parce que le changement de société a détruit la belle harmonie qui régnait autrefois ou, plus simplement, parce que chacun est affronté à ses contradictions qu'il doit résoudre ?

Les Français issus de l'immigration veulent s'« assimiler » mais aussi que l'on respecte leurs particularités culturelles, religieuses. Et, pour autant qu'elles s'intègrent dans le cadre social du vivre ensemble en France, cela nous semble une évidence, un respect mutuel nécessaire et évident. Les Français « de souche », eux, ont changé et évolué aussi ; ils aspirent à la mondialisation, consomment et pensent mondial... ils ont pourtant les pires difficultés à accepter ces mêmes réalités.


Alors comment se débarrasser des idées reçues ? Et renoncer à vouloir régler la question au niveau des idées, des principes, pour s'en tenir à la réalité concrète bien autrement complexe. Ce n'est pas simplement le fait d'être musulman, ou émigré, ou noir ou jaune, qui engendre le mal-être... c'est que l'émigré est devenu un « problème » politique, une catégorie du discours et de la représentation politique. Et que rejet, mépris, et exclusion entraînent, ou risquent d'entrainer, communautarisme, refus d'assimilation, violence, etc. « Y a-t-il de la place pour tout le monde?». C'est ça le vrai sujet qu'il faut résoudre, et qui est un problème politique.
Mesures politiques, nouvelle sémantique... Seule l'intégration économique permettra à notre société d'évoluer


Oui, il faut faire évoluer le discours politique : au lieu de stigmatiser l'étranger, comme problème à expulser ou à intégrer, il faudrait reconnaître l'avantage que peut tirer la France de sa diversité. C'est, en effet, l'un des outils majeurs de la mondialisation et de la globalisation. Pour rayonner à l'international, la France doit s'appuyer sur ceux dont les origines leur permettent de mieux comprendre les cultures différentes auxquelles, nécessairement, elle se confronte, de mieux s'adapter aux coutumes et modes de fonctionnement, en un mot de pouvoir réussir, et faire bénéficier le pays de cette réussite.


Et quand bien même le mouvement s'est-il enclenché faudrait-il qu'il y ait une véritable représentativité politique de cette diversité : au gouvernement, dans les cabinets ministériels, dans les entreprises publiques, etc. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, en dépit des « efforts » déployés, et c'est malheureux ; on gâche une possibilité majeure d'« intégration sociale ». Le travail est une colonne vertébrale pour chacun, et ses effets induits sur la famille et l'environnement proche sont énormes.


Oui il faut changer de sémantique : ne plus parler d'intégration, dont on voit bien les limites, mais trouver d'autres expressions, plus justes et plus valorisantes : inclusion par exemple. Celui qui est inclus n'est pas exclu... Alors oui, lançons un débat sur les « bonnes pratiques » d'inclusion afin d'apporter ou d'inspirer des solutions concrètes à des situations concrètes, qui ne deviennent idéologiques que si on les traite sur le plan des idées. Une campagne nationale pour l'inclusion, dans chacun de nos petits gestes quotidiens, ça vaut bien la sécurité routière ou « un fruit et légume par jour » !


Mais surtout, il est urgent de s'intéresser à l'aspect matériel de cette exclusion, à la nécessité de « désenclavement économique ». Pour que l'argent soit à la portée des exclus, la seule solution se trouve dans une offre bancaire et de conseil adaptée. Offrir aux cadres, aux jeunes, aux entrepreneurs l'accueil et les services qu'ils ne trouvent pas ou auxquels ils n'ont pas accès. Un moyen aussi de lutter contre le surendettement... La Banque de ceux que les autres banques ne « comprennent pas »... non pas du micro crédit, merci, une Vraie Banque Adaptée, qui donnerait les moyens financiers de vivre normalement : accès au logement pour pouvoir s'établir ailleurs et déghettoïser, accès aux biens de consommation mais sans être étouffé par le surendettement, accès au financement pour développer les entreprises, développer l'épargne...

Encourager les stratégies de ciblage affinitaire dans tous les grands établissements financiers français, voilà qui serait bien plus efficaces socialement et politiquement que de taxer les bonus. Tous y pensent, mais que faire dans un environnement aussi délétère que celui instauré par le fameux débat qui a occupé les médias jusqu'à aujourd'hui ? La peur d'agiter un chiffon rouge supplémentaire auprès d'une opinion publique « de souche » déjà lassée par la crise, et autres excès, et qui a peur pour elle-même et son futur.


Faire confiance, donner accès au financement ... et remettre les idées et la pensée à l'endroit : remettre l'époque actuelle dans le fil de l'Histoire, rappeler les conquêtes, dans les deux sens, les mélanges permanents, les transformations culturelles qui en ont résulté ; donner la parole aux sachants, chacun dans son domaine de savoir : philosophes, historiens, sociologues, etc., et faire en sorte que les medias traitent ces sujets de façon simple et récurrente, pédagogique, sans y mêler les passions ; remettre l'argent à sa place, qu'il ne soit plus l'unique ressort de la société ; repenser l'entraide, le collectif...


Repenser le lien du citoyen dans la cité, sa responsabilité, son engagement... naïf direz-vous ? Oui, mais non. Un moyen aussi de remettre la pensée à l'endroit.
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Entre la France et le Maroc, Fatine Layt travaille à Paris où elle dirige Oddo Corporate Finance, une banque d'investissement et de gestion de patrimoine. Elle a participé à la Commission du grand emprunt installée par Nicolas Sarkozy.

Mohed Altrad, d'origine syrienne, vit en France depuis de nombreuses années. Il est président du groupe Altrad et romancier («Badawi» et «L'hypothèse de Dieu» aux éditions Actes Sud).

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