Le projet de loi sur la réforme de la psychiatrie en discussion au parlement depuis le 15 mars, adopté en première lecture à l'Assemblée le 22 mars et bientôt en examen au Sénat, a permis l'irruption dans le débat public de la question de la place de la folie, de la représentation des maladies mentales, et surtout quelle conception des soins en psychiatrie en ce début du 21ème siècle.
Jamais auparavant les médias ne s'étaient saisis de cette façon de cette question de société. Nous sommes heureux au Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire d'y avoir contribué. Il y a quelques mois encore, la folie était traitée, notamment sur les chaînes de télévision, uniquement sous l'angle du sensationnel, du fait divers, de la dangerosité des « schizophrènes » ! Après l'immigré, les Roms, le « jeune de banlieue », c'était le tour des « schizophrènes dangereux ».
Dans cette course à la désignation des coupables désignés, des "fauteurs de troubles" en guise de projet politique, maintenant le gouvernement s'attaque au musulman. Faute d'affronter sérieusement l'insécurité sociale, la précarité, la misère, le gouvernement stimule et amplifie l'insécurité imaginaire en ayant recours aux boucs émissaires.
Sans doute l'état moral de la société française est tel que les médias sont plus sensibles à aborder la question de la folie, de la déprime, de la violence : les récents rapports officiels, celui du Médiateur de la République, de Jean Paul Delevoye sur la dégradation du lien social et des services publics, , celui du Contrôleur Général des lieux de privation de liberté, Jean Marie Delarue, opportunément publiés ces dernières semaines ont contribué aussi à apporter un éclairage inédit, authentique sur l'état moral des français, sur les entraves aux droits, sur la banalisation du mal dans les hôpitaux psychiatriques.
C'est dans ce contexte que le débat sur le projet de loi sur les soins sans consentement en psychiatrie a surgi. Le gouvernement, le rapporteur du texte ont tout fait pour banaliser ce projet de loi honteux, dangereux pour tous les citoyens et inapplicable sur le plan des pratiques soignantes.
C'est à cet aspect, bonimenteur de la communication gouvernementale que je veux ici m'attaquer.
- Masquer le projet sécuritaire, ne plus mentionner l'injonction du Président de la République. Dans tous les débats publics, le rapporteur de la loi, omet la phrase de Nicolas Sarkozy en décembre 2008, s'appuyant sur l'émotion suscitée par le drame de Grenoble : « Tous les malades mentaux sont potentiellement dangereux, potentiellement criminels ! » Qu'est- ce qu'un projet sécuritaire ? Un projet destiné à faire peur, à amplifier l'insécurité pour justifier les projets liberticides nommés sécuritaires : les caméras, les chambres d'isolement, les traitements forcés.
- Mystifier les familles : profiter du désarroi des familles, de leur solitude face à la détresse et à la souffrance de leur proche, pour leur faire croire que les soins sans consentement en ambulatoire vont améliorer les prises en charge ! Mais comment ? Avec quels moyens humains et budgétaires ? "La réponse" a été trouvée : par un « protocole de soins » qui fixera le lieu, le rythme et les modalités des soins contraints en ambulatoire et sera validé par un décret en Conseil d'Etat. Ce qui se veut rassurant ... est totalement flou ... et bureaucratique : une véritable pratique psychiatrique à la soviétique ! Bien sûr actuellement, les familles ne trouvent pas de réponse à leurs appels, à leurs demandes : outre les questions de moyens, la formation des psychiatres et des soignants, toute orientée vers le médicament est devenue indigente, et ignore la prise en compte des difficultés des familles et les approches de la complexité de la vie familiale.
- Désigner les psychiatres comme coupables : « les psychiatres ne sont pas là où ils devraient être. Ils font des psychothérapies au lieu de s'occuper des vrais malades », ne cesse d'asséner Guy Lefrand. De son côté, la secrétaire d'Etat à la santé dénonce le fait que la France a le deuxième taux de psychiatres en Europe ! « Ils sont mal répartis, entre public et privé ». Voilà un nouveau chantier qui sera certainement couronné de succès, comme la lutte réussie contre les déserts médicaux... Le gouvernement a été incapable d'envisager une façon de s'attaquer aux disparités entre les régions pour y répondre, et il envisage «d'harmoniser la répartition des psychiatres entre libéral et public ! ». Comme si le problème n'était qu'un problème de démographie des psychiatres ! On mesure là la méconnaissance, l'ignorance de ce qu'il en est de la nécessité d'un travail d'une équipe soignante pluridisciplinaire, d'une approche collective des soins institutionnels, de la fécondité et de l'efficacité des pratiques de secteur. Si le taux de psychiatres est élevé, c'est le résultat de la mise en place de la Politique de secteur psychiatrique initiée dans les années 70, de cette organisation des soins inédite en Europe. Mais le scandale c'est d'omettre de parler du numérus clausus qui a fait des ravages dans le nombre de psychiatres et dans ce qui s'annonce dans les années à venir.
- Le mépris des malades : « Les psychiatres s'occupent des petites dépressions de la femme du 16ème". Tels ont été les propos, les « arguments » avancés pour expliquer l'inadaptation de la place des psychiatres ! Comme s'il y avait des petites pathologies. Comme si la France n'avait pas le triste record de prescription d'antidépresseurs et de psychotropes. Comme si ces médicaments n'étaient pas prescrits en lieu et place de l'écoute, de la prise en compte des difficultés psychiques, du malaise dans la civilisation, des destructions psychiques provoquées par les nouvelles formes d'organisation du travail. Comme si le coût psychique généré par les prises de poids liées à certains psychotropes, ne comptait pour rien. Comme si le coût psychique des arrêts de travail prolongés, n'invalidait pas un nombre croissant d'individus !
- Mentir sur les soins actuels en psychiatrie. « Nous préférons que les malades soient soignés chez eux qu'à l'hôpital ! » Trois millions de personnes sont traités pour des troubles psychiques. 300.000 hospitalisations par an. Ignorance feinte ou réelle de la psychiatrie de secteur ? Madame Nora Berra de déclarer sérieusement : « Pour la première fois, on propose une nouvelle offre de soins avec une alternative à l'hospitalisation »[1] ! Mais depuis plus de trente ans, certes avec des disparités, la majeure partie des soins en psychiatrie se fait en ambulatoire : dans des centres ou des hôpitaux de jour, des centres d'accueil, des appartements thérapeutiques, en visites à domicile, en consultation et en pratique libérale . Et encore plus fort dans le boniment ? « Aujourd'hui avec les progrès des traitements et médicaments, nous avons changé de siècle »[2] ! Quels progrès ? Le retour en force des électrochocs, des contentions ? Les thérapies comportementales qui n'apportent que des améliorations transitoires et relèvent plus du conditionnement que de la pensée et de l'intelligence ? Les médicaments nouveaux qui n'apportent que des modifications sur les effets secondaires ?
- Silence sur la pénurie des effectifs, dans la droite ligne de l'affaiblissement des services publics. « Diminuer le nombre de fonctionnaires » est bien le mot d'ordre, l'orientation politique, depuis mai 2007, que ce soit dans l'enseignement, dans les administrations, dans la police, dans les hôpitaux.
- Silence sur l'état catastrophique de la psychiatrie et la gestion bureaucratique qui lamine les hôpitaux, qui écrase les professionnels ... et qui les fait fuir du service public, par dégoût, lassitude, épuisement. L'idéologie de l'hôpital-entreprise initiée vers 1987 et amplifiée depuis, avec son couronnement par la loi Hôpital - Patients - Santé - Territoires de 2010, transforme la mission de soins des hôpitaux en une organisation totalement bureaucratique et deshumanisante.
- Proposition ahurissante d'infaisabilité, et totalement démagogique : « Cette loi va permettre enfin, de prendre en charge les 30 à 60.000 personnes atteintes de troubles mentaux qui sont dans la rue, les Sans Domicile Fixe. Car n'ayant plus de familles, abandonnés, personne ne pouvaient jusqu'à présent les hospitaliser ». Mais où les hospitaliser ? 100.000 lits ont été supprimés en psychiatrie ? Et les soins sans consentement en ambulatoire ? Combien d'équipes spécialisées dans le soutien aux personnes précaires et à la rue ? Faire des visites sous les tentes, leur demander de respecter les rendez-vous de consultation ?
- Enfin, les promesses : LE plan de santé mentale ! Annoncé pour le printemps 2009 par Roselyne Bachelot après le discours de Nicolas Sarkozy ; prétexte, pour faire passer le projet de loi ; annoncé pour l'automne 2011 par Nora Berra pour tenter de répondre à l'ampleur du rejet par les professionnels ; enfin évoqué par le rapporteur de la loi Guy Lefrand, comme « devant être inscrit dans le programme de l'UMP pour la présidentielle ».... .
Pour faire barrage à ce projet de loi, venez participer le samedi 9 avril de 14h à 18h au meeting politique et poétique que le Collectif des 39 organise, « Un pour tous, Tous contraints ! », devant l'entrée de la Salpétrière, bd de l'Hôpital à Paris.
Paul Machto
Psychiatre et Psychanalyste
Membre du Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire.
[1] Libération du 23 mars 2011.
[2] Idem.