Billet de blog 5 décembre 2011

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LES ENSEIGNEMENTS DE LA FOLIE (31) : Un feuilleton «dangereux»

ATTENTION : communiqué important du collectif des 39. Consulter ici :http://blogs.mediapart.fr/edition/contes-de-la-folie-ordinaire/article/041211/psychiatries-quelle-hospitalite-pour-la-fol  Clinique de Dostoïevski : Crime et châtiment (16/20) un amour nommé Sonia Après avoir quitté Svidrigaïlov, Raskolnikov a « erré longtemps près de la Neva. (…) Je voulais en finir, mais je n’ai pu m’y décider » - dira-t-il à sœur. (page 345).C’est entre six et sept heures du soir qu’il se rend chez sa mère. Il a pris la décision de se rendre à la police et il vient lui dire adieu. La mère est en train de lire pour la troisième fois son article sur les hommes ordinaires et extraordinaires. Je mentionne cela parce que je pense que Dostoïevski donne ce renseignement pour nous rappeler le cadre de pensée où se déroule la réflexion de Raskolnikov. D’ailleurs, lors de la rencontre avec sa sœur, qui suit immédiatement celle avec sa mère, il dira :

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Clinique de Dostoïevski : Crime et châtiment (16/20)

un amour nommé Sonia

Après avoir quitté Svidrigaïlov, Raskolnikov a « erré longtemps près de la Neva. (…) Je voulais en finir, mais je n’ai pu m’y décider » - dira-t-il à sœur. (page 345).C’est entre six et sept heures du soir qu’il se rend chez sa mère. Il a pris la décision de se rendre à la police et il vient lui dire adieu. La mère est en train de lire pour la troisième fois son article sur les hommes ordinaires et extraordinaires. Je mentionne cela parce que je pense que Dostoïevski donne ce renseignement pour nous rappeler le cadre de pensée où se déroule la réflexion de Raskolnikov. D’ailleurs, lors de la rencontre avec sa sœur, qui suit immédiatement celle avec sa mère, il dira :

- Mon crime ? Quel crime ? s’écria-t-il dans un accès de fureur subite. Celui d’avoir tué une affreuse vermine malfaisante, une vieille usurière nuisible à tout le monde, un vampire qui suçait le sang des malheureux ? Je n’y pense pas et ne songe nullement à le racheter. Et qu’a-t-on à me crier de tous côtés : tu as commis un crime . (page 347. Je souligne)

Donc Raskolnikov ne pense aucunement, comme l’imagine sa sœur, à expier ou à racheter quoi que ce soit.

Le sang, tout le monde le verse, poursuivit-il avec une violence croissante. Le sang il a toujours coulé à flot sur la terre. Les gens qui le répandent comme du champagne montent ensuite au Capitole et sont traités comme bienfaiteurs de l’humanité. Examine un peu les choses avant de juger. Moi j’ai souhaité le bien pour l’humanité et des centaines de milliers de bonnes actions eussent amplement racheté cette unique sottise, ou plutôt cette maladresse, car l’idée n’était pas si sotte qu’elle le paraît maintenant. Quand ils n’ont pas réussi, les meilleurs projets paraissent stupides.(…) J’ai échoué depuis le début. C’est pourquoi je suis un misérable. Si j’avais réussi on me tresserait des couronnes et maintenant je ne suis plus bon qu’à jeter aux chiens. (…) (page 347 et 348. Je souligne)

On peut remarquer qu’il n’y a aucune différence entre ce qu’il dit maintenant, quelques instants avant de se rendre au Commissariat pour se constituer prisonnier, et ce qu’il se disait avant le meurtre de la vieille usurière. Il ajoute même un commentaire, terrible commentaire, avec lequel on ne peut qu’être d’accord :

« Ah, je ne me suis pas conformé à l’esthétique, mais je ne comprends décidément pas pourquoi il est plus glorieux de bombarder de projectiles une ville assiégée que d’assassiner quelqu’un à coup de hache (…) Et encore : Le respect de l’esthétique est le premier signe d’impuissance. Je ne l’ai jamais mieux senti qu’à présent : je ne peux toujours pas comprendre, je comprends de moins en moins, quel est mon crime …» (page 348)

S’il ne se considère pas un criminel, s’il ne croit pas à l’expiation, s’il ne croit pas non plus à Dieu - Je n’y crois pas, mais, tout à l’heure, j’ai été chez notre mère et nous avons pleuré ensemble - alors, pourquoi va-t-il se constituer prisonnier ?

Ce n’est que maintenant que je me rends compte de toute mon absurdité, de ma lâche absurdité, maintenant que je me suis décidé à affronter le vain déshonneur. C’est par lâcheté et par faiblesse que je me résous à cette démarche, ou peut-être par intérêt, comme me le conseillait Porphyre. (page 347. Je souligne)

Dostoïevski exclut donc l’hypothèse d’une pure jouissance masochiste puisqu’il parle du vain déshonneur de cette démarche. Bref, le sens de la décision de Raskolnikov est ailleurs. Pour l’instant, les mots à retenir sont absurdité et faiblesse. Il se rend parce qu’il se considère un «faible», un homme ordinaire. Et puisqu’il n’est pas un homme extraordinaire tout ce qu’il a fait devient « absurde ». Et si tout devient absurde il faut admettre qu’il y a de la folie dans ce qui s’est passé. Donc Raskolnikov va à la rencontre de sa folie. Mais, en allant à la Police, que fait-il au juste ?

En allant à la Police il s’engage dans une voie dont il ne connaît pas la fin. Il le fait parce que Sonia, répondant à sa demande, lui indique le chemin. On a donc a répondre à une double interrogation : d’abord pourquoi, après avoir fait de Sonia la dépositaire de son secret, Raskolnikov lui demande, à elle précisément, quoi faire de son échec ? Puis, quelle représentation Raskolnikov a-t-il de ce en quoi il s’engage en suivant les indications de Sonia ?

Il oscille entre deux possibilités. Parfois il s’interroge d’une façon très intime: « Suis-je préparé à subir les conséquences de l’acte que je vais commettre ? On prétend que cette épreuve m’est nécessaire.» (page 349). Et parfois il se laisse aller aux représentations plus généralistes : le bagne, le temps de captivité, être un homme brisé à la sortie … La dernière rencontre avec Sonia avant qu’il ne se rende au Commissariat, rencontre qui suit celle avec sa sœur Dounia, ne tranche pas cette oscillation, mais nous offre des indications précieuses.

En route vers Sonia, où il arrivera à la tombée de la nuit, il indique clairement que, s’il accepte cette épreuve – dont nous essayons de définir le sens - c’est qu’il reconnaît être aimé : « Mais pourquoi m’aiment-elles si profondément du moment que je ne le mérite point ? Oh ! si j’avais pu être seul, seul, sans aucune affection, et moi-même n’aimant personne. Tout se serait passé autrement. » (page 350. Dostoïevski et moi soulignons) En effet, s’il était seul, sans aucune affection c’est la haine qui aurait tout dominé et la «la solution Svidrigaïlov» aurait prévalu. Donc, après la disqualification de cette solution, c’est l’amour qu’on a pour lui, spécialement celui de Sonia, qui lui fera prendre la décision d’aller à la Police pour se déclarer l’auteur du double assassinat. Mais de quoi est-il fait, cet amour ?

Nous n’en aurons pas beaucoup d’indices lors de cette dernière rencontre avant son emprisonnement. Raskolnikov demande à Sonia de lui donner ses croix en disant : C’est toi-même qui m’as envoyé me confesser publiquement au carrefour. D’où vient que tu as peur maintenant ? Sonia avait en effet pâlit en observant attentivement le visage du jeune homme, mais elle comprit au bout d’un instant que le ton et les paroles-elles mêmes étaient feints. (pages 354 et 355. Je souligne)

Il est exact que Raskolnikov va prendre une croix, et fera, comme lui demande Sonia, plusieurs fois les signes de contrition. Et il ira au carrefour de la Place des Halles, se mettra à genoux et embrassera la terre – parce que Sonia lui avait dit de procéder ainsi. Puis il ira se constituer prisonnier. Il agira de la sorte pour que le désir de Sonia soit accompli. (page 353) Mais, fondamentalement, ce qui le préoccupe et le rend furieux c’est la pensée que, dans un instant, ces brutes vont m’entourer, braquer leurs yeux sur moi et me poser toutes ces questions stupides auxquels il faudra répondre. (page 354) Mais, pourquoi réalise-t-il alors toutes les recommandations de Sonia ?

Raskolnikov suit les orientations de Sonia comme un nouveau venu suit les rituels qui l’inscrivent dans l’ordre symbolique de la communauté qui l’accueille. Comme, en Afrique, aller se présenter aux vieux de la cité. Comme le juif qui, pour devenir juif, doit accomplir les mitzvot – l’ensemble des prescriptions contenues dans la Torah.

Ce qui me paraît fondamental de retenir c’est qu’en suivant les orientations de Sonia, Raskolnikov accepte de rentrer dans un ordre symbolique. Il sait que « Sonia lui appartiendrait pour toujours et qu’elle le suivrait partout ». (page 359). Mais où le mène-t-elle ? Certainement pas en Sibérie. La Sibérie est la sanction pénale – qui pour Raskolnikov reste au niveau anecdotique. Quel est donc ce chemin que Sonia lui indique et dans lequel il s’engage sans avoir une représentation précise de son aboutissement. Et pourquoi Sonia ? Et, d’abord, qui est Sonia ?

On sait très peu de choses sur Sonia. Elle nous est présentée par Marmeladov dans sa dimension sacrificielle : elle fait la putain pour entretenir la maison et, surtout, les souleries de son père. Si l’hypothèse masochiste effleure, elle est vite écartée dès que le personnage apparaît dans la scène du roman en interaction avec d’autres.

Raskolnikov remarquera immédiatement sa candeur, sa bonté, son visage enfantin – j’y reviendrai.

Dounia après sa première rencontre avec Sonia dit à sa mère qu’elle est « sûre qu’elle est très noble et que tous ces racontars sont des sottises. » (page 428) En sortant de sa deuxième rencontre, Dounia considérait Sonia avec une sorte de vénération (…) (Elle) emporta la conviction queson frère ne serait pas seul. (Sonia) le suivrait en quelque lieu que la destinée l’envoyât … (Dounia) n’avait point questionné la jeune file, mais elle savait qu’il en serait ainsi. Depuis sa visite à Raskolnikov, l’image de la charmante jeune fille qui l’avait si gracieusement saluée s’était imprimée en son âme comme une des visions les plus belles et les plus pures qui lui eussent été données de sa vie. (pages 352 et 353. Je souligne) La grâce, la beauté la pureté. Et, sans qu’elle ne dise un mot, on est sûr de sa présence, de sa fidélité, on la vénère même. Pourquoi ?

Au bagne, Raskolnikov ne comprend pas pourquoi tous aimaient tant Sonia. Elle ne cherchait pas à gagner leurs bonnes grâces ; ils la voyaient rarement. (…) La jeune fille ne leur donnait pas d’argent, elle ne leur rendait guère de services. (…) Lorsqu’elle venait voir Raskolnikov en train de travailler parmi ses compagnons ou qu’elle rencontrait un groupe de prisonniers se rendant à l’ouvrage, tous ôtaient leurs bonnets et la saluaient. « Chère Sonia Simionovna, tu es notre mère douce et secourable », disaient ces galériens, ces êtres grossiers et endurcis, à la frêle petite créature. Elle souriait en leur rendant leur salut à tous, ils aimaient ce sourire. Ils aimaient même sa démarche et se retournaient pour la suivre des yeux lorsqu’elle s’en allait, en célébrant ses louanges. Ils louaient jusqu’à sa petite taille ; ils ne savaient plus quels éloges lui adresser. Ils allaient même la consulter pour leurs maladies. (page 384. Je souligne)

(Pour les citations se référer à Crime et Châtiment, Volume IIFOLIO, traduction de D. Ergaz, Paris, 1991)

demain: être une poussière

Historique : Le 2 décembre 2008, à l’hôpital d’Antony, Nicolas Sarkozy, Président de la République Française, désigne comme potentiellement criminelles, en tout cas potentiellement dangereuses, toutes les personnes qui présentent des signes peu ordinaires de souffrance psychique. Dans le droit fil de ce discours, au 1 août dernier une loi dite des « soins sans consentement » est entrée en vigueur.

En d’autres termes, le gouvernement érige le trauma en projet de société. Mettre l’angoisse, le désir et la pensée à l’index est une nécessité inséparable de son modèle économique: le citoyen doit être un individu sans subjectivité, sans sensibilité, simple reproducteur anonyme des conditions de fonctionnement d’un système d’échange où il n’y a plus d’échange, qui produit le vide de sens dont la machine a besoin pour se perpétuer - et la princesse de Clèves peut aller se faire foutre.

Lors de la première manifestation appelée par Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire pour répondre à l’insulte faite à notre humanité par celui qui a fonction de Président, les patients ont inventé un mot d’ordre vite repris par les manifestants : Nous sommes tous des schizophrènes dangereux. C’est en réfléchissant sur le sens de cette proposition que je me suis dit qu’il serait bienvenu d’évoquer les enseignements que nous donnent la folie et les fous. Et j’ai pensé que revisiter le grand clinicien de la folie que fut Dostoïevski pourrait être une contribution à la lutte citoyenne contre l’application de la loi des « soins sans consentement » , lutte inaugurée et soutenue par Le Collectif des 39.

Cette démarche rejoint par ailleurs notre souci à nouer, ensemble, la prise en compte de l’inconscient, une pratique politique et le sentiment du monde qui nous est donné par la littérature et l’art en général.

Mon point de départ pour ce « feuilleton » a été l’idée que chez Dostoïevski, la grandeur ou la misère des personnages fondamentaux de l’œuvre accompagne la découverte qu’ils font de l’inconscient. Que les personnages soient construits à partir du trauma de la rencontre avec l’inconscient, est certainement une des raisons principales de leur pérennité. En nous appuyant sur ces personnages nous démontrerons que leur enseignement sur le trauma, le fantasme, la perversion, la folie nous apprend la vie vivante. Mon travail se concentrera sur deux textes Les Notes du sous-sol et Crime et Châtiment.

Pour plus d’informations sur Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire on peut consulter :

http://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=338

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