Billet de blog 6 avril 2015

SOPHIE SIRERE

Abonné·e de Mediapart

Un licenciement symptôme à Marseille

La lettre postée du SAMSAHTout part d'une lettre, un courriel (car nous ne sommes plus au temps d'Edgar Poe), un courriel d'alerte rédigée par une équipe soucieuse de son travail et du devenir des personnes souffrant de handicaps psychiques (personnes souffrant de troubles psychiatriques) qu'elle accompagne au quotidien, un courriel d'alerte décrivant dans le détail l'état des lieux de leur travail, évoquant comment une direction impose un changement de projet de service, s'inquiétant des risques liés aux conséquences sur la santé physique et psychique des bénéficiaires, refusant la disparition de leur principal outil de travail.

SOPHIE SIRERE

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La lettre postée du SAMSAH

Tout part d'une lettre, un courriel (car nous ne sommes plus au temps d'Edgar Poe), un courriel d'alerte rédigée par une équipe soucieuse de son travail et du devenir des personnes souffrant de handicaps psychiques (personnes souffrant de troubles psychiatriques) qu'elle accompagne au quotidien, un courriel d'alerte décrivant dans le détail l'état des lieux de leur travail, évoquant comment une direction impose un changement de projet de service, s'inquiétant des risques liés aux conséquences sur la santé physique et psychique des bénéficiaires, refusant la disparition de leur principal outil de travail.

Et cette lettre ne fait que dire ce que la direction méconnait du travail accompli, ce que la direction méconnait des troubles psychiatriques sévères, ce que la direction crée comme climat d'insécurité en maintenant une incertitude sur le devenir des personnes handicapées accompagnées par le service...

Il n'y pas un responsable originaire de cette lettre, c'est l'équipe dans son entier qui pense, se positionne, écrit, signe et envoie.

A qui appartient la lettre ? A ceux qui l'écrivent ? A celui qui l'adresse ?

A celui à qui elle s'adresse ?

Alors, à ne vouloir rien savoir de ce que dit une équipe, on choisit l'élimination. Et à l'ère du management néo-libéral, même au sein des associations médico-sociales, l'élimination de ce qui fâche c'est le licenciement et la dislocation d'une équipe.

La personne dans l'équipe qui a eu la charge de diffuser ce courriel, celle qui a posté la lettre donc, a été licenciée pour diffusion d'informations confidentielles et propos diffamatoires à l'égard de sa direction.

Comment en est-on arrivé là ?

Comment une direction utilise une politique managériale d'exclusion, exclusion des personnes souffrant de pathologies psychiatriques les plus invalidantes, exclusion des salariés qui amènent la contradiction.

  • Quel devenir pour les personnes ayant besoin de prises en charge au long cours en psychiatrie et dans le médico-social ?

Les moyens de la psychiatrie se réduisent (réduction des lits dans les hôpitaux, réduction des moyens sur l'ambulatoire, « les déficits budgétaires des hôpitaux imposent des économies » nous dit-on) et se transforment (missions de soins basculées dans le médico-social, remise en cause au niveau national de la politique de secteur psychiatrique qui est une spécificité française).

Le secteur médico-social se distingue de la prise en charge sanitaire en ceci que l'accompagnement repose sur le projet de vie et peut donc s'inscrire dans une séquence très longue voire sur une vie entière.

Le parcours de soins d'une personne s'articule avec son projet de vie...

Une personne souffrant de troubles psychiatriques peut donc bénéficier sur son chemin de soins psychiatriques (hospitalisation, suivi ambulatoire... dans le champ sanitaire). Sur ce chemin, elle peut être aussi accompagnée par un SAMSAH (service d’accompagnement medico-social pour adultes handicapés).

Pour rappel, en 2005, la loi sur le Handicap reconnaît le handicap psychique, et crée les SAVS (service d’accompagnement à la vie sociale) et les SAMSAH. Ces services ont pour mission de répondre aux besoins des personnes en vue d'un accompagnement au quotidien et du maintien à domicile, difficultés engendrées par le  handicap psychique.

Les patients souffrant de troubles psychiatriques sont donc orientés par la MDPH (Maison départementale pour les personnes handicapées) vers ces services médico-sociaux qui assurent un projet de vie qui englobe la coordination du projet de soin.

Je ne détaillerai pas ici cette évolution dans la prise en charge des personnes souffrant de pathologies psychiatriques et qui se retrouvent des handicapées psychiques. Je n'insisterai pas non plus sur la difficulté des équipes du médico-social non formées aux questions de la psychiatrie, de la psychose, du rapport au monde construit de manière délirante, équipes qui sont confrontées souvent à des bénéficiaires « étranges » et ne se pliant pas aux prises en charges d'orientation uniquement « éducatives ».

Les pathologies psychiatriques rencontrées par les SAMSAH peuvent être sévères, et nécessitent un travail au long cours avec les secteurs de soins.

Aujourd’hui, l'exemple du SAMSAH La Racine à Marseille montre que le secteur médico-social se dessaisit de ce travail. La direction a pris des décisions graves et changé le projet de service, en supprimant l'outil de travail principal (le travail communautaire et collectif effectué au sein de l'immeuble dans lequel réside les personnes suivies par le SAMSAH) ; ce changement s'est effectué sans tenir compte de l’avis de l’équipe professionnelle, ni de celui des bénéficiaires. L'ambition est que le SAMSAH suive plus de personnes, sur des périodes plus courtes. On comprend bien que cela implique de “faire le tri” dans les admissions de personnes handicapées psychiques pour n’accepter de suivre que des gens relativement « autonomes ». Si le médico-social, ici l'association La Sauvegarde 13, ne souhaite plus accompagner des personnes souffrant de pathologies psychiatriques sévères, que vont alors devenir ces personnes ? Le secteur sanitaire n’a souvent que les moyens de répondre à la crise pathologique et non la possibilité d’assurer le suivi au long cours. On connait les parcours qu’engendre cet isolement… Les personnes malades errent dans la rue, y meurent parfois, mettent en œuvre des passages à l’acte transgressif et jugés délinquants et finissent en prison, ou s'enferment seuls à domicile….

  • La spécificité du SAMSAH La Racine

Le cadre réglementaire des lois sur le handicap et en particulier du SAMSAH permet des spécificités dans les dispositifs d'accompagnements mis en place. Ces spécificités en font leur richesse.

Ici, il s'agit d'utiliser la particularité d'hébergement en appartements regroupés pour entremêler accompagnement individuel (à domicile ou à l'extérieur) et accompagnement collectif (au sein de l'immeuble ou lors de sorties), prise en charge de personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères et pour certaines longtemps institutionnalisées dont c'est le premier appartement.

Le SAMSAH a plusieurs fonctions :

-      une veille sanitaire et une vigilance face aux ruptures de soins

-      un accompagnement dans les actes de la vie quotidienne afin de construire et reconstruire sans cesse des « évidences naturelles » pour des personnes dont le handicap entraine souvent une insécurité et un rapport à l'espace et au temps particulier

-      le rétablissement du lien social en utilisant la particularité du service (une salle commune et une salle d'activités dans un immeuble où chaque personne suivie par le SAMSAH est locataire de son appartement) et le travail communautaire où les temps collectifs au sein de l'immeuble de la Racine ont valeur de "point d'ancrage" rassurant pour améliorer les relations aux autres et au monde extérieur qui sont souvent vécues comme persécutoires.

-      Finalement, il s'agit pour l'équipe du SAMSAH de maintenir le lien par un travail dedans (au domicile, dans les temps collectifs dans les lieux communs dans l'immeuble) pour un travail vers le dehors dans la cité.

Ainsi, le dispositif d'appartements spécifiques pour personnes handicapées psychiques tous pris en charge par le SAMSAH avec un travail communautaire dans l'immeuble (grâce à la salle commune qui est un outil pertinent pour accompagner le vivre-ensemble et travailler l'ambiance) permet une sécurisation de l'espace avec une fonction contenante et soutient ainsi des patients psychotiques sévères dans un accès au logement et dans leur vie possible dans la cité.

Ces espaces communs sont le lieu du maillage entre les espaces privés et les espaces partagés. L’occupation du service et des personnes du même immeuble apparait comme un atout majeur et fait l’originalité de ce SAMSAH.

La dimension collective semble primordiale pour accompagner ces personnes souffrantes dans la reconstruction de ce lien social, de ce lien à l’autre brisé. Il semble capital et vital de travailler autour de cette problématique, de pouvoir imaginer et créer un collectif pour accueillir cette souffrance, la partager. Cela implique des temps réguliers et une certaine permanence de l’équipe pour se rencontrer dans des lieux communs. L’enjeu étant de mettre à disposition des espaces et des modalités de rencontre afin de créer cette possibilité, d’ouvrir des espaces physiques et psychiques pour se trouver, se retrouver, tenir debout.

Chaque matin, par exemple, l’heure, apparemment anodine de boire le café ensemble, est une raison de sortir de chez soi, d’être confronté avec l’autre, y prendre peut-être du plaisir. La répétition chaque jour de ce temps permet aux personnes les plus malades de se projeter dans une nouvelle journée à venir où il faut tout réinventer.

Cette modalité d’accompagnement est pertinente pour ce public. Il y a sur le territoire français de plus en plus de travail sur ce modèle là. Les associations marseillaises qui travaillent dans le champ de la maladie mentale cherchent des locaux adaptés pour élaborer ce type d’accompagnement.

Pourquoi la Sauvegarde 13 lâche un outil de travail si intéressant, opérationnel et adapté aux personnes souffrant de maladie psychique, alors que d’autres tentent de faire valoir le bien fondé de l’articulation entre le sanitaire, le social, la dimension privée et les espaces communs ? Cela nous semble aujourd’hui incompréhensible.

  • La réponse est-elle de licencier les aidants qui témoignent et s’inquiètent ?

Aujourd’hui, cette question se pose de manière douloureuse.

L’équipe du SAMSAH La Racine a tenté par un courriel diffusé aux partenaires d'alerter sur cette évolution aux conséquences potentiellement graves du devenir de ces personnes vulnérables.

La direction n’a pas entendu le message d'alerte et, ne voyant que la critique, a licencié pour faute grave, sans indemnités ni préavis, un membre de cette équipe.

Comment ne pas s'inquiéter de dérive du médico-social qui n’assumerait pas les missions pour lesquelles il a été créé, ici l’accompagnement au long cours de personnes en situation de handicap sévère.

Comment ne pas s'inquiéter du risque de rejet et d’exclusion de personnes ne pouvant se conformer aux normes sociétales actuelles.

Comment ne pas s'inquiéter de cette dérive managériale envahissant tous les champs, ici le médico-social, avec exclusion des personnes les plus démunies et exclusion des lanceurs d’alerte.

Dr Sophie Sirère, Psychiatre coordinateur,
SAMSAH La Racine, Association Sauvegarde 13, Marseille

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