Billet de blog 7 mars 2012

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Accueillir les autistes

Alors que la Haute autorité de la santé présente, le jeudi 8 mars 2012, son rapport «Autisme: quelles interventions proposer à l'enfant et l'adolescent», Danielle Levy, psychiatre et ancienne responsable d'un hôpital de jour en région parisienne, s'interroge sur l'évolution de la prise en charge. Et regrette que «dans l’ordre des priorités, “diagnostiquer l’autisme” est venu à la place d’organiser l’accueil et les soins».

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Alors que la Haute autorité de la santé présente, le jeudi 8 mars 2012, son rapport «Autisme: quelles interventions proposer à l'enfant et l'adolescent», Danielle Levy, psychiatre et ancienne responsable d'un hôpital de jour en région parisienne, s'interroge sur l'évolution de la prise en charge. Et regrette que «dans l’ordre des priorités, “diagnostiquer l’autisme” est venu à la place d’organiser l’accueil et les soins».

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Illustration 1

Pédopsychiatre et psychanalyste, j’ai travaillé de nombreuses années dans un hôpital de jour où nous recevions des enfants souffrant de  pathologies mentales. Parmi eux, il y avait des enfants autistes. A l’heure où l’on veut priver ces derniers d’un tel accueil, je voudrais dire ce que ces structures de soin ont pu leur apporter. Au cours de ma carrière, qui a commencé à la fin des années 70, j’ai assisté à une « médicalisation » progressive du problème de l’autisme; la manière dont ces enfants et leurs parents sont pris en charge en a été transformée.

Aujourd’hui pour ces enfants, la première étape est le diagnostic : les pédiatres, les médecins scolaires ou de PMI, les psychologues scolaires, les pédopsychiatres adressent (souvent en première intention) les enfants qui, selon eux, présentent des « troubles envahissants du développement », vers des services hospitaliers, des médecins libéraux qui se sont fait une spécialité de cette pathologie. Des Centres  Ressources Autisme (CRA) ont été créés depuis 2006, qui ont pour mission d'informer, de diagnostiquer et d'orienter les familles, les formations se multiplient, et la prise en charge de cette pathologie a été élevée en 2012 au rang de "grande cause nationale".  L'inquiétude des professionnels de la petite enfance étant maintenant de "passer à côté" de ce trouble, le nombre d'enfants envoyés vers ces centres est en augmentation et les délais d'attente pour être reçus au CRA et consulter s'allongent.

Dans les centres de diagnostic, les enfants sont pris en charge par des équipes spécialisées. On leur fait passer des examens médicaux (sanguins, d’imagerie cérébrale –les IRM sont  parfois réalisés sous anesthésie du fait de l’agitation anxieuse des enfants– ) ainsi que des entretiens semi-structurés et des tests : ADI (Autism Diagnostic Interview), ADOS (Autism Diagnosis Observation Schedule), CARS (Childhood Autism Rating Scale) etc…  Ce sont des instruments standardisés de repérage et d'évaluation des symptômes et de leur sévérité,  qui permettent de présenter des résultats chiffrés. On étudie également les fonctions motrices, le langage, les facultés cognitives et  intellectuelles.

« Diagnostiquer  l’autisme » plutôt qu'organiser l’accueil

Une fois ce bilan exhaustif réalisé, le diagnostic recherché est confirmé ou non. Un temps assez long peut s'être écoulé entre le moment des premières questions angoissées sur l'état de l'enfant et ce diagnostic « officiel » (comme le définit une mère d’enfant autiste). Ce diagnostic  est très attendu, parce qu'il est présenté aux parents comme une certitude scientifiquement construite, comme un arrêt médical incontestable, comme une explication enfin trouvée à ce qui leur arrive... Il fixe l'enfant dans un état, et pour un temps il comble l'angoisse des parents, ferme leurs questions en leur donnant la voie à suivre: faire prendre en charge leur enfant dans des institutions adaptées et demander l'allocation d'éducation pour enfant handicapé, tout en faisant « valoir son droit à une scolarité ». Des mères qui se sont arrêtées de travailler pour courir avec leur enfant les consultations spécialisées, pensent que leur parcours du combattant est terminé et que ce diagnostic, comme un code secret leur ouvrira  toutes les portes. Malheureusement les places dans les lieux de soin sont en nombre insuffisant, et beaucoup  d'enfants doivent se contenter d'un accueil à temps très partiel. Le droit à la  scolarisation se transforme souvent (faute de moyens adaptés) en simple droit d’être inscrit à  école ; de plus, certains enfants autistes sont tellement perturbés que l’école seraient pour eux une épreuve insurmontable. Quant à l'argent de l'allocation, il ne remplace pas le salaire de la mère, qui doit pourtant continuer à organiser sa vie autour de la prise en charge de son enfant. 

Et l'enfant continue de s'isoler, de crier, se frapper, tourner sur lui même, répéter...
Ces symptômes que nous rencontrons quotidiennement quand nous travaillons en pédopsychiatrie, nous savons qu’ils sont parfois associés à des anomalies génétiques, des malformations cérébrales, des troubles métaboliques…  Et nous ne contestons pas la nécessité d’un bilan médical approfondi dans de nombreux cas. Le problème est celui de la place et du moment de cette intervention médicale. Peu à peu, elle est devenue centrale et, dans l’ordre des priorités, « diagnostiquer l’autisme » est venu à la place d’organiser l’accueil et les soins des enfants autistes. Or le moment où les parents sont prêts à affronter ce bilan est différent pour chaque famille et nous avions pris l’habitude, à l’hôpital de jour, dans les entretiens avec les parents de parler de ce problème avec eux, pour les aider à accepter cette épreuve et à repérer ce qu’ils en attendaient. Enfin, quels que soient les résultats de ces examens, le traitement n’est pas médical : la prise en charge de ces enfants sera d’ordre relationnelle, éducative, pédagogique, psychothérapeutique, sociale…

Il faut ajouter que nous parlons-là d’enfants repérés dans leurs difficultés vers 18 mois-2ans. Des enfants et des parents pris en charge plus tôt ont largement bénéficié des soins mis en place. C’est de ce côté-là qu’il faut améliorer le dépistage et ce n’est pas dans les centres hospitaliers qu’il se fait, mais dans les lieux dédiés à la petite enfance (PMI, CAMPS, CMP des intersecteurs de pédopsychiatrie etc…)

La question de la causalité

Un autre problème est le lien de causalité qui est fait entre les troubles neurologiques repérées par les médecins, et les problèmes de développement sensoriel, psychomoteur, affectif, intellectuel… Dans les années 70-80,  nous ne nous posions la question. Pour nous l’urgence était ailleurs, dans le travail thérapeutique. Aujourd'hui, on a beaucoup avancé dans l’étude des interactions entre cerveau et  environnement. Des chercheurs en neurosciences et des psychanalystes chacun dans leur discipline, travaillent sur ce problème.
Mais il est loin d’être résolu. Et il est révoltant d’entendre là-dessus des affirmations péremptoires. 
Je trouve,  par exemple, sur le site de l'association "EgaliTED-Autisme" cette conclusion : «...  le consensus scientifique international, auquel les chercheurs et cliniciens français se rallient également peu à peu, est que l'autisme est un trouble neurodéveloppemental. Le développement du cerveau se fait de manière anormale pendant la petite enfance. Les causes sont multifactorielles ; on pense aujourd'hui qu'il existe une forte prédisposition génétique, puis que des facteurs environnementaux déclenchent le trouble de manière plus ou moins forte. Ces facteurs environnementaux n'incluent PAS  (écrit en majuscules dans le texte) un quelconque traumatisme psychologique ou parental ; les soupçons se portent plutôt sur des facteurs comme la pollution ou des accidents pendant la grossesse ou l'accouchement.»

Et sur le site de l'institut Pasteur, ceci: «L'autisme a longtemps été assimilé à des problèmes psychologiques liés aux relations avec les parents durant la petite enfance. Mais, en 2003, grâce à votre soutien, une équipe de l'Institut Pasteur a été la première à identifier un gène à l'origine de certaines formes d'autisme. Fin 2006, un second gène, responsable de certains cas d'autisme, a été découvert par la même équipe. Le rôle clé de ce gène dans la synthèse de la mélatonine (hormone centrale de régulation des rythmes chronobiologiques) apporte de nouvelles informations sur ce trouble du développement qui atteint les jeunes enfants, et dont l'origine reste encore mystérieuse. Ces travaux sont publiés en avant-première sur le site de la revue Molecular Psychiatry. L'Institut Pasteur doit désormais relever un nouveau défi : mener à bien une étude de grande ampleur auprès d'enfants souffrant d'autisme, afin de dresser une "photo haute définition" de l'ensemble des anomalies génétiques à l'origine de l'autisme.»

Ce qui nous trouble, nous qui avons rencontré de nombreux enfants autistes, c’est cet empressement à refuser la dimension psychique du problème, qui est pourtant  manifeste : perturbation du langage et de la communication, refus ou absence de contact, fuite du regard, comportements violents agressifs ou autodestructeurs,  jeux répétitifs et stéréotypies, insomnies, troubles alimentaires et  moteurs, retard important des acquisitions…  Pourquoi cette nécessité de conclure, ce besoin impérieux de trouver une causalité unique, et uniquement génétique, à des troubles aussi variés ?  Comment peut-on espérer régler définitivement cette question à l’aide de simples photos du génome, soient-elles "haute définition"?  Réduire un être à son caryotype, ou à sa « machinerie cérébrale », ce serait ça la modernité? Triste simplification !

Quel déni aussi de la souffrance profondément humaine de l’enfant autiste. 

De tous les enfants, serait-il le seul à échapper aux influences « psychologiques ou parentales »! S'est-il élevé sans parents? N'est-il pas comme tous les enfants d’hommes et de femmes, né "prématuré" et dépendant des soins physiques et psychiques qui lui sont donnés? Pourquoi le penser comme un être à part qui se construirait hors de toute présence humanisante ?

Ces théorisations pseudo-scientifiques n'aident ni les autistes, ni les professionnels de l'enfance. Et pourtant aujourd’hui ces idéologies réductrices ont le vent en poupe.

En matière de traitement aussi, elles prétendent nous dicter la marche à suivre.

Un enfant, même "handicapé", est un sujet en puissance

Il ne s’agirait plus de soigner une personne en souffrance, mais de se contenter de la rééduquer, de l’adapter. L’ensemble du système socio-éducatif emboite le pas : depuis 2005, la CDES (Commission d’Education Spécialisée) a cédé la place à la « Maison Départementale des Personnes Handicapées » dont l’équipe a pour tâche de « procéder à l’évaluation des besoins de la personne handicapée et d’élaborer (pour elle) un plan de compensation dont le projet personnalisé de scolarisation est un élément ». Le mot « handicap » devient l’expression  politiquement correcte pour désigner l’autisme (et d’autres pathologies) : c’est ainsi qu’en 2012 on participe au déni de la maladie mentale et que le « plan de compensation » remplace l’accompagnement, le suivi, le soin et l’intégration.

Des associations de parents se fixent comme objectif de « donner aux enfants atteints d’autisme un avenir meilleur grâce à une prise en charge adaptée et scientifiquement efficace : l’ABA (Applied Behavioral  Analysis) ». C’est un « programme de stimulation précoce, structuré et intensif - 40 heures par semaine -dont la durée minimum est de 2 ans »  qui utilise le conditionnement et le « renforcement positif » (récompenses pour encourager les comportements acceptables). Au Canada, d’où nous vient cette technique, une fondation se fixe comme tâche « de fournir les fonds nécessaires pour défrayer les honoraires des éducatrices spécialisées dans l'application de la méthode ABA. Ces frais sont évalués à environ 30 000 $ par année pour chaque enfant. »

Ici en pédopsychiatrie, avec l’argent public, se sont créés de nombreux lieux de soin qui ont accueilli et continuent d’accueillir les enfants autistes. L’hôpital de jour où j’ai travaillé, s’est ouvert en 1977. Des éducateurs, des infirmiers, une institutrice, une orthophoniste, une psychomotricienne, une psychologue, une psychiatre composaient l’équipe. Notre travail s’articulait avec celui de la consultation de l’intersecteur. Nous étions tous marqués par l’apport de la psychanalyse. Elle nous donnait au moins une certitude : un  enfant, même "handicapé",  est un sujet en puissance. Un sujet humain bloqué dans son évolution et qui dépend, au-delà de ses gènes, et de l'anatomie de son cerveau, du monde imaginaire et symbolique. Comme tout bébé humain, il a été porté, nourri,  bercé, il a vu se pencher sur lui des visages, ouverts ou figés, souriants ou tristes, il a entendu des mots à lui adressés, ou échangés en sa présence, des mots qui avaient du sens pour ceux qui les prononçaient, il a été pris dans le réseau compliqué de liens affectifs, d'émotions, et chaque famille de ce point de vue-là est différente.

Quand nous recevions pour la première fois un enfant et ses parents, nous n'avions pas l'impression de rencontrer un "autiste", authentifié comme tel et déjà repéré par son taux d’invalidité, mais une personne singulière, avec laquelle il était difficile de communiquer. Notre travail était d’aborder cet enfant dans sa particularité : comment arrêter ses mouvements incontrôlés, comment l’amener à s’asseoir avec nous, à nous entendre sans se boucher les oreilles, comment amener son regard vers un objet extérieur à lui et peu à peu vers nous, comment  commencer une séance de jeu, de peinture, un entretien… et comment l’arrêter sans que nous le sentions perdu, « éclaté »,  pris dans l’angoisse de la séparation, du changement, du vide ; comment l’aider à habiter son corps, à se représenter sa bouche à lui, lorsqu’il se nourrit, suce, mord, parle (« tu veux manger », nous  dit-il en se mettant à table), comment communiquer (et pour cela nous utilisions tous les moyens à notre portée: les mots, bien sûr, mais aussi les images, les gestes, les mimiques, le mouvement, la musique, la danse…)

Nous avions aussi des objectifs éducatifs: l’amener à plus d’autonomie, le guider vers les apprentissages, mais nous savions que pour  atteindre ces buts, il fallait le rencontrer lui, dans sa différence, quotidiennement (et sans le secours des entretiens standardisés!), il fallait établir avec lui un lien de parole et d’émotion, il fallait nous « imposer » comme présence  apaisante.

Et cette prise en charge respectueuse, régulière, persévérante porte ses fruits (d’ailleurs, si les techniques comportementalistes ont aussi leur efficacité, c’est parce qu’elles sont mises en œuvre par des soignants qui s’investissent auprès des enfants avec la même intensité, et qu’ils   créent avec eux des liens humanisants).

Ecouter aussi les parents

En ce qui concerne la prise en charge des parents, on a souvent accusé les psychanalystes de les culpabiliser en les rendant responsables de la maladie de leur enfant. Il est vrai qu’un tel courant a existé, s’appuyant sur des théories erronées de la causalité psychique. Mais, au delà de ces psychanalystes qui se fourvoyaient, la culpabilisation des parents est un mode de pensée très répandu. Dans nos institutions, elle pouvait venir des éducateurs, qui prenaient inconsciemment « le parti » de l’enfant « contre » les parents. A l’école, ou dans les « cités de banlieue »  les parents sont rendus responsables des échecs ou des déviances de leurs enfants.

Il me semble, au contraire, que notre formation à la psychanalyse et à son mode d’écoute particulier (il s’agit d’accueillir la parole de l’autre sans porter de jugement) nous permet de soulager les parents de leur culpabilité. Ils souffrent d’avoir engendré un enfant anormal, exclu de la vie ordinaire, enfermé en lui même, impossible à comprendre, à éduquer, qui bouleverse leur vie…  Ils sont les premiers à se sentir en faute, ils s’interrogent sur leur responsabilité et pire que tout il se sentent impuissants à aider leur enfant. Parler de ces sentiments, des épreuves qu’ils ont traversées, leur permet de penser ce traumatisme et de le mettre à distance. Ces entretiens les aident aussi à « faire la part des choses »,  à différencier leur malaise de celui de l’enfant (par exemple, la dépression vécue par une mère à la naissance de son enfant n’est plus considérée par elle comme une faute grave, mais comme un moment douloureux lié à sa propre histoire…)

Des entretiens en présence de l’enfant permettent de créer un espace de parole commun, où des affects s’expriment, s’échangent, on sort du silence. Les parents essaient de « comprendre » les angoisses vécues par leur enfant, de décrypter ses symptômes, les cris, les gestes désordonnés, finissent par s’entendre comme un appel auquel on tente  de répondre…  Tout cela change l’image que les parents se font d’eux même, de leur fils, de leur fille, ils se sentent plus forts, plus affirmés dans leur rôle, reprennent espoir, se mettent à concevoir du nouveau, quelque chose bouge, se transforme…

Il ne s’agit pas de « vaincre l’autisme » - malheureusement personne ne détient aujourd’hui l’arme absolue -  mais d’aller à la rencontre des personnes autistes, une par une.

C’est la démarche de la psychothérapie institutionnelle et de la psychanalyse. Dans de nombreuses institutions comme la nôtre, en France, des équipes pluridisciplinaires mettent en œuvre ce mode de travail, inventent des prises en charge, quotidiennement, au cas par cas.

Jusque dans les années 60, les enfants autistes étaient considérés comme des arriérés incurables. Nous les avons fait rentrer dans la communauté des sujets qui ont droit aux soins. Ils doivent continuer d’en faire partie.

Danielle Levy, psychiatre,
ancienne responsable de l'hôpital de jour pour enfants de Suresnes
(intersecteur de Puteaux, Suresnes, Neuilly, Nanterre)

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