Billet de blog 9 décembre 2011

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Les enseignements de la folie (35) : Fin feuilleton «dangereux»

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Clinique de Dostoïevski : Crime et châtiment (20/20)

Nous voici donc arrivés au dernier billet de ce « feuilleton dangereux » qui a duré sept semaines. Je voulais faire deux remarques. La première est que MEDIAPART est l’unique journal capable d’accueillir une pareille aventure. À ce propos que soient remerciés Sophie Dufau et Yves Gigou pour la confiance qu’ils nous ont accordée.

La deuxième remarque concerne ces êtres d’exception que sont l’homme du sous-sol, Raskolnikov, Porphyre, Svidrigaïlov, Marmeladov, et Sonia. Ils sont tous hors-norme, ils ont tous une intimité avec la folie, ils nous enseignent tous sur les extrêmes possibles de notre humanité. 0r, selon l’opinion de Nicolas Sarkozy, ils devraient tous être soit en prison, soit dans un service psychiatrique fermé. Donc, selon les vœux de Nicolas Sarkozy, ces vies extraordinaires ne devraient pas exister.

Malheureusement les dernières déclarations des responsables de la campagne de François Hollande vont aussi dans le sens de criminaliser la folie, c’est-à-dire, nous mutiler, au nom de la norme, de nos zones d’ombre.

ATTENTION : communiqué important du collectif des 39. Consulter ici :

http://blogs.mediapart.fr/edition/contes-de-la-folie-ordinaire/article/041211/psychiatries-quelle-hospitalite-pour-la-fol

Pour le meeting du 17 mars 2012 à Montreuil les inscriptions sont ouvertes sur le site : http://www.collectifpsychiatrie.fr/phpPetitions/index.php?petition=9

épilogue et fin du feuilleton : traverser la folie, quitter la douleur, rencontrer l’autre

On a souvent critiqué la brièveté de l’épilogue de Crime et Châtiment. Or, sur le bagne, Dostoïevski avait déjà écrit le livre Souvenirs de la Maison des Morts.

Dostoïevski a vingt et huit ans lorsqu’il est arrêté, un matin d’avril à quatre heures, par la police du tzar. Pour avoir lu à haute voix et à deux reprises une lettre ouverte adressée à Gogol après son ralliement à l’autocratie tsariste, lettre écrite par un intellectuel russe influent, la justice le condamnera «à la dégradation, à la confiscation de tous ses biens et à la peine capitale ». Il faut préciser que cette condamnation à mort concerne une lettre lue à un groupe restreint de quelques jeunes intellectuels progressistes qui se réunissait régulièrement pour discuter des livres interdits par la censure, groupe qu’un mouchard transformera en dangereux conspirateurs d’un complot inexistant.

Pendant l’instruction Dostoïevski reconnaîtra les faits et plaidera non-coupable : il dira que la lettre de Bielinski est un monument littéraire, que la littérature implique la liberté de la presse, et que la presse à imprimer qui l’a acheté avec d’autres n’aurait eu d’autre objet que de nous permettre d’imprimer, fût-ce à un petit nombre d’exemplaires, nos œuvres littéraires. (Cité par Claude Roy dans sa préface à Souvenirs de la maison des morts, Folio, Paris, 1977)

Trois jours après le verdict le tribunal militaire qui l’a jugé commue la peine à huit ans de travaux forcés. Deux jours plus tard c’est le tsar lui même qui transforme l’arrêt en quatre ans et décide d’une mise-en-scène macabre : les condamnés, tout le groupe a été arrêté, devraient jusqu’à la dernière minute croire qu’ils allaient être fusillés. Ce qui a été fait : ils ont été amenés devant le peloton d’exécution, ont eu des yeux bandés, ont entendu l’ordre de mise en joue … et c’est seulement alors qu’on leur a communiqué la grâce du Tsar et lu les sentences. – Un des codétenus est devenu fou.

Sur cette expérience, Dostoïevski écrira dans L’Idiot, dix ans après : C’est la plus atroce torture ; il n’y en a pas de plus cruelle au monde ; Peut-être y a-t-il de part le monde un homme auquel on a lu sa condamnation à mort, qu’on a laissé souffrir cette torture et puis a qui on a dit : « Va, tu es gracié. » Cet homme-là pourrait dire ce qu’il a éprouvé. C’est de cette douleur et cette horreur que le Christ a parlé. Non, on n’a le droit d’agir ainsi avec un être humain. (Ibidem)

Souvenirs de la maison des morts, dont la traduction littérale serait Souvenirs de la maison morte, raconte les quatre ans vécus au bagne. Le livre veut transmettre, fondamentalement, deux enseignements : que l’homme est un animal résistant qui s’habitue à tout, qu’il est très difficile de connaître un homme, même après de longues années de vie commune. (page 145 de traduction d’Henri Mongault et Louise Desormonts Folio Paris, 1977) Ce deuxième enseignement implique un troisième : qu’il nous faut une certaine dose d’amoralisme si l’on veut vraiment apprendre ce qu’un homme est capable de ressentir, de fantasmer et de faire, si l’on veut réellement apprendre jusqu’où l’inhumain fait partie de l’humain.

Le bagne était en Sibérie. Il accueillait des crimes civils et des crimes militaires. Il y avait 250 détenus. La moitié des d’entre eux au moins savaient lire et écrire. (…) On reconnaissait les sections aux habits. Dans l’une la moitié de la veste était brun foncé et l’autre grise, tandis que le pantalon avait une jambe grise et l’autre brun foncé (…) On rasait aussi les têtes différemment : chez les uns la moitié du crâne tondu allait de haut en bas, chez les autres en travers (…) La plupart étaient épouvantablement pervertis (…) La terreur des villes et de villages entiers (…), en regardant autour de lui, remarquait bientôt qu’il n’était pas tombé au bon endroit pour provoquer la surprise, et il ne tardait pas à prendre le ton commun. Ce ton se manifestait par une dignité étrange et très spéciale qu’aucun des habitants du bagne ne devait abandonner. On eût dit que l’état de forçat constituait un titre, et même un titre honorable ! Pas la moindre trace de repentir (…) La calomnie, l’intrigue, les ragots, la jalousie, la haine occupaient le premier plan de cette vie damnée (…) (Jamais) un indice quelconque de souffrance, de désespoir (…) Le bagne, les travaux forcés ne relèvent pas le criminel ; ils le punissent tout bonnement (…) (Le système cellulaire) suce la sève vitale de l’individu, l’énerve dans son âme, l’affaibli, l’effraie, puis il vous présente comme un modèle de redressement, de repentir, une momie moralement desséchée et à demi folle (…) C’est seulement au bagne que j’ai entendu raconter avec un rire enfantin, irrésistiblement joyeux, les actions les plus épouvantables, les plus dénaturées, les forfaits les plus monstrueux, les plus infâmes. Un certain parricide, en particulier, ne me sortira jamais de la mémoire (…) De temps à autre, par désœuvrement, un détenu confiait quelque secret à un voisin, qui l’écoutait froidement, les traits froncés (…) Un jour un brigand éméché se mit à raconter comment il avait assassiné un garçon de cinq ans ; il l’avait tenté avec un joujou, puis emporté dans un hangar et ensuite égorgé (…) Si le travail personnel n’était pas interdit, on prohibait les outils (…) Alors on travaillait en cachette (…) Beaucoup de détenus arrivaient au bagne sans rien savoir faire, mais ils apprenaient avec les autres, et quand il sonnait l’heure de la libération, ils s’en allaient pourvus d’un bon métier. Il y avait là des bottiers, des cordonniers, des tailleurs, des menuisiers, des charpentiers, des graveurs, des doreurs (…) Des commandes arrivaient de la ville (…) Je n’aurais jamais pu concevoir le tourment effroyable de ne pouvoir rester seul, ne fût-ce qu’une minute, au long des (…) années que dura ma détention. (Souvenirs de la maison des morts, Chapitre I, première partie)

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Dans le bagne Raskolnikov était honteux. Mais sa honte n’était causée ni par sa tête rasée ni par ses fers. Sa fierté avait été cruellement blessée et il était malade de cette blessure. (…) Sa conscience endurcie ne trouvait aucune faute particulièrement grave dans son passé. Il ne se reprochait que d’avoir échoué, chose qui pouvait arriver à tout le monde. Ce qui l’humiliait c’était de (…) se résigner à l’ »absurdité » de ce jugement sans appel s’il voulait trouver un semblant de calme. (…) En quoi, pensait-il, non, mais en quoi mon idée était-elle plus bête que les idées et les théories qui errent et se livrent bataille dans le monde depuis que le monde existe ? Il suffit d’envisager la chose d’une façon large, indépendante, de se dégager de ses préjugés, et alors mon plan ne paraitra plus aussi… bizarre. (…) Oui, pourquoi mon acte leur a-t-il semblé monstrueux ? Parce que c’est un crime ? Que veut dire ce mot « crime »? Ma conscience est tranquille. Sans doute j’ai commis un acte illicite ; j’ai violé la loi et versé du sang. (…) Dans ce cas, de nombreux bienfaiteurs de l’humanité, qui s’emparèrent du pouvoir au lieu d’en hériter dès le début de leur carrière, auraient dû être livrés au supplice, mais ces hommes ont réalisé leurs projets ; ils sont allés jusqu’au bout de leur chemin et leur réussite justifie leurs actes, tandis que moi, je n’avais pas su poursuivre le mien, ce qui prouve que je n’avais pas le droit de m’y engager. (pages 379, 380,381. Crime et Châtiment, Volume II, Folio, traduction de D. Ergaz, Paris, 1991. C’est moi puis Dostoïevski qui soulignons.)

On constate que pour Raskolnikov, au début de sa peine, l’idée que son crime n’en est pas un et qu’il avait raison de parachever son projet reste inchangée. Mais, maintenant, ces convictions n’ont plus le même statut qu’elles avaient avant qu’il n’accepte, par amour pour Sonia, de se dénoncer - amour contre lequel il résiste encore. Avant de se constituer prisonnier ces convictions faisaient de lui un fondateur d’un nouvel ensemble symbolique, fondateur d’un nouvel ordre et pourfendeur de l’ancien. Ayant franchi le pas par lequel il accepte d’être jugé, il peut mépriser sans retenue les magistrats, mais il reste toujours dans l’impossibilité de nier l’existence du monde qui qualifie son acte.

Dans cette nouvelle constellation, ses anciennes convictions deviennent des rationalisations délirantes. Et Raskolnikov va tomber malade, effroyablement malade. Il fuyait tout le monde, ses compagnons de bagne ne l’aimaient point, bref il passait des journées entières sans dire un mot et devenait très pâle. (Ibidem page 378. Je souligne)

Comme l’homme du sous-sol, il ne regrette rien. L’insensibilité qu’il souhaitait tant est installée, comme chez l’homme du sous-sol. Il constate l’absence de tout sentiment : Encore si la destinée lui avait envoyé le repentir, le repentir poignant qui brise le cœur, chasse le sommeil, un repentir dont les affres font rêver d’un nœud coulant, d’eau profonde… Oh, il l’aurait accueilli avec bonheur. Souffrir et pleurer, c’est encore vivre. Mais il n’éprouvait aucun repentir de son crime. (Ibidem page 380. Je souligne)

Les autres détenus ne l’aimaient pas, tous l’évitaient. On finit même par le haïr. (…) Un jour, sans qu’il sût lui-même à quel propos, une querelle éclata entre lui et ses codétenus. Tous l’assaillirent avec rage. – Tu es un athée. Tu ne crois pas en Dieu, lui criaient-ils. Il faut te tuer. » Jamais il ne leur avait parlé de Dieu ni de religion, et pourtant ils voulaient le tuer comme mécréant. Il ne leur répondit rien. (Ibidem page 383.)

Il était un spectre. Dostoïevski, dans les brouillons de Crime et châtiment nota ce qu’il fera dire à son personnage dans la deuxième rencontre avec Sonia: Ai-je tué la vieille ? Je me suis tué, pas la vieille. Là, d’un coup, je me suis frappé, pour toujours… (Ibidem. Appendices. Notes et brouillons page 405.)

Comme tout spectre, un mort-vivant, un zombi, il est indifférent non seulement à la vie, mais aussi à la mort : Un prisonnier, au comble de l’exaspération s’élançait déjà sur lui. Raskolnikov, calme et silencieux, l’attendit sans sourciller, sans qu’un muscle de son visage tressaillît. Un garde-chiourme s’interposa à temps : un instant de plus et le sang coulait. (Ibidem page 383.)

Raskolnikov tombe physiquement malade et il est transporté à l’hôpital du bagne. Il pourra, enfin, plonger dans les affres (qui) font rêver d’un nœud coulant, d’eau profonde… (Ibidem page 380. Je souligne)

Son amour pour Sonia – il a aimé Sonia avant qu’elle ne l’aime – avait un prix : qu’il accepte de considérer son acte comme un meurtre, qu’il reconnaisse qu’en tuant l’usurière et Elisabeth il portait en lui deux morts, ce qui faisait de lui un cadavre psychique. (Rappel : Ai-je tué la vieille ? Je me suis tué, pas la vieille.). Mais une telle acceptation impliquait nécessairement un changement de cadre de pensée. Or, son acte s’inscrivait, vous vous rappelez, dans un mouvement qui devait instituer un ensemble de nouvelles prémisses pour une nouvelle appréhension du monde. Reconnaître son échec était douloureux. Mais convenir qu’une vie était possible après cet échec, c’était, à la fois, disqualifier son acte et postuler (encore !) la création d’un nouveau cadre de pensée. Travail psychique herculéen, celui de se défaire de toute conviction, d’accepter la perte de toute référence, de tout appui. Travail psychique gigantesque qu’accompagne la blessure de considérer que ces convictions anciennes s’étaient transformées en certitudes délirantes.

C’est la puissance de l’amour de Sonia, Sonia la poussière, Sonia pur sujet, pur lieu d’accueil à l’autre, qui permet à Raskolnikov de s’engager dans cette « maladie » qui est la régression psychotique. « Maladie » ici comprise comme l’abandon de tout idéal, de toute emblématique moïque. Pendant sa « maladie » les cauchemars sont les outils thérapeutiques de la traversée de la psychose. Ils figurent la fragmentation du Moi, le meurtre, les pulsions cannibaliques.

Ici se confirme la thèse de D.W.Winnicott, psychanalyste anglais et remarquable clinicien, qui avait compris que la psychose est plus proche de la santé psychique que ne le sont les idéaux de la normalité. Je fais remarquer au passage que la conception dostoïevskienne de la folie est la même que celle de Freud et de Winnicott. Dostoïevski avait déjà compris l’indistinction entre le normal et le pathologique. Il l’énonce par l’intermédiaire du jeune docteur qui soigne Raskolnikov, le docteur Zossimov, qui dira, en commentant une observation de Dounia : « La remarque est assez juste. Nous sommes tous, sous ce rapport, et assez souvent, pareils à des aliénés, avec cette seule différence que les vrais malades le sont un peu plus que nous. (…) Quant à des hommes parfaitement sains, harmonieux si vous voulez, il est vrai qu’il n’en existe presque pas et qu’on n’en peut trouver plus d’un sur des centaines de milliers d’individus, et encore celui-ci est-il d’un modèle assez imparfait. » (Ibidem pages 404 et 405. Je souligne)

Mais revenons à la « maladie » de Raskolnikov. Dans ce contexte, les cauchemars font partie du processus d’assomption d’un nouveau cadre de pensée. Mais, pour cela, ils doivent d’abord figurer la fragmentation du Moi et élaborer une critique des anciennes convictions concernant le meurtre de la vieille. Ils doivent aussi s’occuper des deux cadavres que Raskolnikov porte en lui.

Reprenons le texte du cauchemar. En ce qui concerne la critique de la théorie des hommes extraordinaires : «Toutefois, chose étrange, jamais les hommes ne s’étaient crus aussi sages, aussi sûrs de posséder la vérité. Jamais ils n’avaient eu pareille confiance en l’infaillibilité de leurs jugements, de leurs théories scientifiques, de leurs principes moraux.» Sur l’émiettement du Moi : «Tous étaient en proie à l’angoisse et hors d’état de se comprendre les uns les autres. Chacun cependant croyait être le seul à posséder la vérité et se désolait en considérant ses semblables.» (Ibidem page 385. Je souligne)

Le travail psychique engendré par les cauchemars aura comme aboutissement l’arrêt de l’érotisation de la pensée. (Par érotisation de la pensée il faut comprendre l’immense tension qui accompagne tout scénario imaginaire, tension qui appelle une décharge motrice : entre la pensée et l’action le circuit est court, très court.) La fin de l’érotisation de la pensée donne accès à la rêverie ; Raskolnikov rêve de Sonia, songe à Sonia, pense à Sonia. Aimer c’est penser, dit Fernando Pessoa. À la fin de sa « maladie », le psychisme se loge dans le soma ; il n’est plus un spectre : il lui avait même semblé que tous les détenus, ses anciens ennemis, le regardaient d’un autre œil. Il leur avait adressé la parole et tous lui avaient répondu amicalement. (...)Il était, du reste, ce soir-là, incapable de réfléchir longuement, et de concentrer sa pensée. Il ne pouvait que sentir. Au raisonnement s’était substituée la vie ; son esprit devrait être régénéré de même. (Ibidem page 389. Je souligne)

Dostoïevski considère la sortie de Raskolnikov de la psychose comme une résurrection. C’est aussi le point de vue de Sonia. Raskolnikov s’échappe du monde des morts et de son adhésivité aux cadavres de la vieille et d’Elisabeth, et cela est, certes, un aspect fondamental. Mais, je pense que le plus important à souligner est que, pour la première fois de son existence, Raskolnikov désire le désir de l’autre. Et c’est pour cela qu’il pense tout le temps à son aimée, qu’il rêve d’elle tout le temps. Bref, Sonia a gagné son pari.

L’ensemble qui constitue chez Raskolnikov les changements d’humeur, les mouvements affectifs, la pluralité de positions subjectives ; les résistances à entendre, à dépendre de l’autre ; puis la reconnaissance du lien et ses conséquences : régression et nouvelle organisation du désir – cet ensemble s’appelle la catastrophe de l’amour. Lorsque cela a lieu dans une cure analytique cela s’appelle… le travail du transfert.

Laissons Dostoïevski conclure :

Mais ici commence une autre histoire, celle de la lente rénovation d’un homme, de sa régénération progressive, de son passage graduel d’un monde à un autre, de sa connaissance progressive d’une réalité ignorée jusque-là. (Ibidem page 390. Je souligne)

FIN DU FUEILLETON "DANGEREUX"

Historique : Le 2 décembre 2008, à l’hôpital d’Antony, Nicolas Sarkozy, Président de la République Française, désigne comme potentiellement criminelles, en tout cas potentiellement dangereuses, toutes les personnes qui présentent des signes peu ordinaires de souffrance psychique. Dans le droit fil de ce discours, au 1 août dernier une loi dite des « soins sans consentement » est entrée en vigueur.

En d’autres termes, le gouvernement érige le trauma en projet de société. Mettre l’angoisse, le désir et la pensée à l’index est une nécessité inséparable de son modèle économique: le citoyen doit être un individu sans subjectivité, sans sensibilité, simple reproducteur anonyme des conditions de fonctionnement d’un système d’échange où il n’y a plus d’échange, qui produit le vide de sens dont la machine a besoin pour se perpétuer - et la princesse de Clèves peut aller se faire foutre.

Dans ces circonstances, toute solidarité est résistance, toute fidélité aux nuances est résistance. Toute pratique d’amitié est résistance. Devant l’attaque systématique de tout lien social, nous sommes convoqués, en respectant nos fragilités et nos angoisses, nos rêves et nos désirs, à être des professionnels de la vie vivante, professionnels de la merveilleuse folie de la vie vivante. Nous sommes convoqués, dans nos domaines de pratique de pensée, à célébrer l’énigme et la liberté, la complexité et l’inédit de toute rencontre avec le monde. Devant la brutalité qui envahit notre quotidien nous essayerons, comme les poètes, de nous ressourcer dans l’éphémère de chaque instant. En même temps, nous serons déterminés et, si nécessaire, dans la colère, contre le mensonge et le cynisme, contre la simplification et la vulgarité - attitudes qu’on nous propose à la place du lien, attitudes avec lesquelles on espère transformer en banalité la tristesse du ne-pas-être-ensemble.

Lors de la première manifestation appelée par Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire pour répondre à l’insulte faite à notre humanité par celui qui a fonction de Président, les patients ont inventé un mot d’ordre vite repris par les manifestants : Nous sommes tous des schizophrènes dangereux. C’est en réfléchissant sur le sens de cette proposition que je me suis dit qu’il serait bienvenu d’évoquer les enseignements que nous donnent la folie et les fous. Et j’ai pensé que revisiter le grand clinicien de la folie que fut Dostoïevski pourrait être une contribution à la lutte citoyenne contre l’application de la loi des « soins sans consentement » , lutte inaugurée et soutenue par Le Collectif des 39.

Cette démarche rejoint par ailleurs notre souci à nouer, ensemble, la prise en compte de l’inconscient, une pratique politique et le sentiment du monde qui nous est donné par la littérature et l’art en général.

Mon point de départ pour ce « feuilleton » a été l’idée que chez Dostoïevski, la grandeur ou la misère des personnages fondamentaux de l’œuvre accompagne la découverte qu’ils font de l’inconscient. Que les personnages soient construits à partir du trauma de la rencontre avec l’inconscient, est certainement une des raisons principales de leur pérennité. En nous appuyant sur ces personnages nous démontrerons que leur enseignement sur le trauma, le fantasme, la perversion, la folie nous apprend la vie vivante. Mon travail se concentrera sur deux textes Les Notes du sous-sol et Crime et Châtiment.

Pour plus d’informations sur Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire on peut consulter :

http://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=338

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