Pour Alain Abelhauser, psychanalyste et professeur de psychopathologie clinique, le décret sur les conditions d'usage du titre de psychothérapeute qui vient d'être publié «vient encore accentuer la mise à sac d'une certaine politique de prise en charge de la souffrance psychique».
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La tâche du législateur paraissait, dès lors, simple: poser ce préalable de la formation en psychopathologie clinique à l'exercice psychothérapique, définir cette formation, et rappeler qu'elle existe et fonctionne tout compte fait assez bien en France.
C'est effectivement ce qu'énonce, grosso modo, le décret, disant que peuvent se prévaloir du titre de psychothérapeute les médecins, psychologues et psychanalystes (et psychothérapeutes actuellement en activité) justifiant de cette formation –qu'ils l'acquièrent à présent en s'y inscrivant, ou qu'ils s'en voient reconnaître la possession pour l'avoir acquise précédemment, au cours de leurs études ordinaires.
Les psychologues déqualifiés?
Or, et c'est là toute la question, si une annexe au décret reconnaît aux psychiatres cette formation en totalité, il ne la reconnaît aux psychanalystes et à ceux qu'il nomme « psychologues cliniciens » que de façon très partielle. (« Psychologue clinicien », si c'est un intitulé couramment employé, n'est en revanche pas un titre officiel comme tel. Il y a juste des psychologues qui s'orientent en psychopathologie clinique et obtiennent un master présentant cet intitulé.)
Ne parlons que de ces derniers. L'annexe du décret prévoit de ne les dispenser que d'une partie de la formation demandée en psychopathologie clinique (250 heures d'enseignement sur 400 et trois mois de stage sur cinq). Pourquoi seulement d'une partie ? Pendant deux ans, ils ne sont formés qu'à cela, avec un volume d'enseignement et de stages bien supérieur à celui exigé comme pré-requis à l'exercice psychothérapeutique. Alors ? Serait-ce qu'on juge mauvaise, insuffisante, ou inadaptée, leur formation ? Ou qu'on veuille profiter de l'occasion offerte pour y ajouter, mine de rien, une supplémentaire ? Avec de surcroît la possibilité de contrôler l'orientation de celle-ci, et de façon plus efficace, et plus sournoise, que par le biais habituel des habilitations de diplômes universitaires ?
Que représente, en d'autres termes, cette exigence faite aux titulaires d'une formation en psychopathologie clinique de se former, s'ils veulent user du titre de psychothérapeute, à nouveau en psychopathologie clinique ? Est-ce un désaveu de leur formation actuelle ? Si tel était le cas, il importerait d'en énoncer les raisons et d'en décliner les critères. Ou est-ce une déqualification ? Si tel était le cas, il importerait de le dire clairement. Ou, pire encore, est-ce une façon –éminemment sournoise, je l'ai dit– de revenir sur telle ou telle orientation de la formation actuelle et de tenter d'y substituer une autre ? Si tel était le cas, il importerait de dénoncer vigoureusement une telle manœuvre. Mais bien sûr, pareille supposition n'est que pur fantasme et n'a pas lieu d'être.
Reste ce décret –et son annexe, plus que contestable. Fait unique, les principaux syndicats de psychologues –le Syndicat national des psychologues (SNP), bien sûr, la Fédération française des psychologues et de psychologie (FFPP) et l'association des universitaires spécialisés dans le champ de la psychopathologie clinique: le Séminaire inter-universitaire européen d'enseignement et de recherche en psychopathologie et psychanalyse (SIUEERPP)– ont fait front unis devant ce texte et émis un communiqué commun dénonçant tant son esprit que ses conséquences malsaines.
Seront-ils entendus ?
Une audience a d'ores et déjà été demandée aux ministres concernés.
Reste aussi –ce qui est peut-être le plus important de toute l'affaire– ce que ce décret, en venant s'ajouter au cortège de mesures prises, et de menaces exercées en ce domaine, représente, symptômatise, et vient encore accentuer la mise à sac d'une certaine politique de prise en charge de la souffrance psychique, la mise à sac d'une certaine préservation du lien social et, partant, la mise à sac d'une certaine conception de l'humain, tout simplement.
Face à cela, craignons qu'il n'est guère d'audience susceptible de porter remède à pareil processus.
Alain Abelhauser, psychanalyste, professeur des universités en psychopathologie clinique, président du Séminaire inter-universitaire européen d'enseignement et de recherche en psychopathologie et psychanalyse (SIUEERPP).