Charles LLOYD, une des dernières légendes vivantes du jazz, le saxophoniste, flûtiste et compositeur, sera en concert vendredi 12 août à 21 heures, au Chapiteau de Jazz In Marciac avec Jason Moran au piano, Harish Raghavan, à la basse, et Eric Harland aux drums.
La cuvée 2016 de JIM s’est jusqu’à présent hissée à la hauteur des plus belles années gersoises du festival. La présence militaire, les blocs de béton jalonnant les rues, les accès au chapiteau ou à la place où fleurit le Festival Bis, n’a pas entamé la bonne humeur, la fréquentation et la chaleur de l’accueil. Ahmad Jamal, Avishaï Cohen, et Roberto Fonséca, pour les quelques jours que j’y ai passé, ont enthousiasmé chacun dans leur style, le Chapiteau jusqu’à pas d’heure. Auparavant, j’ai pu recueillir des avis passionnés pour les prestations de Jason Herman, venu avec M., Snarky Puppy, Ibrahim Maalouf, John Scoffield et John Mac Laughlin, et surtout Lisa Simone et Cyrille Aimée.
L’après midi organisée le 4 août par le Collectif des 39, pour la sixième année consécutive, a donné lieu à de belles discussions. D’abord autour du film de Cécile Philippin, « Vivre en ville », dans lequel les paroles de patients psychiatrisés transmettent toute l’humanité dont la folie est porteuse, et l’importance de l’accueil, de l’écoute et le respect que ces personnes attendent, et l’évidence effacée par le poids du diagnostic, asséné sans discernement, et écrase trop souvent : « Vous savez, on n’est pas malade pour tout » ! énonce une des protagonistes du film. Puis ce fut une discussion animée par Mireille Nathan-Murat, psychanalyste venue nous présenter son récent livre « Couleurs de transferts », une PsyFiction qui nous fait pénétrer dans le huis–clos de quelques psychothérapies, et psychanalyses, avec des allers retours au politique et le désastre de la psychiatrie actuelle.
En prélude au concert du soir, ce vendredi 12 août, à 16h, un documentaire à ne pas manquer sera projeté au Cinéma de Marciac : « Le moine et la sirène – Le chant de Charles Lloyd » 2009 (60 min.) Film coréalisé par Fara C. et Giuseppe de Vecchi, écrit par Fara C.
Cette projection au CinéJim 32, salle Emir Kusturica, Place du Chevalier d'Antras à Marciac, sera suivie d’une discussion avec l’auteure du film, Fara C.
Si ce musicien exceptionnel, né en 1938, discret, sait nous faire voyager, il porte une histoire complexe, il a traversé des turpitudes existentielles qui l’ont amené à partir s’isoler, pour tenter d’apaiser ses douleurs et sa quête identitaire.
© Giuseppe de Vecchi
« Dès mon enfance, j’ai eu envie de planer. Ma mère ne m’a pas désiré (…)Elle était très belle, mais n’arrivait pas à trouver sa voie. J’en ai souffert (…) J’ai réalisé que, si personne ne voulait de moi, il me fallait construire mon propre monde » Charles Lloyd à Fara C. et à Alex Dutilh, dans le mensuel « Jazzman », septembre 2000
Le film repose sur la rencontre entre Charles Lloyd et Fara C.[1], journaliste et membre de l’Académie du Jazz.
Une des dernières légendes vivantes du jazz, le saxophoniste, flûtiste et compositeur américain Charles LLOYD fut l’un des premiers à vendre un disque de jazz à plus d’un million d’exemplaires (« Forest Flower », 1966). Pour Fara C., « Charles LLOYD est l’un des artistes les plus énigmatiques de l’histoire du jazz ».
En 1966, il créa l’événement lors du prestigieux festival de jazz d’Antibes/Juan-les-Pins, avec un quartet historique, avec le batteur Jack De Johnette, le bassiste Cecil Mc Bee et un jeune pianiste… Keith Jarrett.
Pourquoi, en 1969, alors qu’il était au sommet de la gloire, interrompit-il l’activité de ce quartet et se retira-t-il de la scène internationale ? Refusant les pressions de l’industrie musicale et constatant que sa musique était impuissante à changer le monde, Lloyd se retire durant dix ans, pour mener une réflexion sur son art, mais aussi et peut être surtout dans un repli sur lui-même. Longue période introspective, existence quasi monastique, ponctuée de concerts triés sur le volet, notamment dans des écoles, des universités.
- Pourquoi cette incessante recherche de sa place dans le monde ?
- Comment a-t-il fait de la musique sa terre d’exil ?
- Sa quête identitaire va passer par son rapport à son instrument et sa quête du son.
Ainsi, le « moine » poursuit sa quête… avec le soutien de Dorothy, sa « sirène ».
« Peut-être n’ai-je pas de place dans le monde, mais dans le son j’ai un chez-moi. », confie-t-il dans le film.
« La musique m’a toujours apporté inspiration et consolation. Je veux partager ça avec les autres »
En 1981, Charles Lloyd vit débarquer, dans sa résidence retirée de Big Sur, le pianiste français Michel Petrucciani. Bouleversé dès qu’il l’entendit jouer, il revint à la scène avec lui, en duo, puis en quartet. Des deux années de tournée, résultèrent deux disques ‘live’.
S’il existe nombre d’archives sur Lloyd en concert, « Le moine et la sirène – Le chant de Charles Lloyd » est le premier documentairequi cherche à percer le mystère d’une personnalité aussi étonnante qu’émouvante.
Fara C. nous précise son projet : « Mon parti-pris n'a pas été de faire un film esthétisant, mais plutôt dans un esprit "street", avec souvent la caméra à l'épaule (grâce à Giuseppe de Vecchi à la caméra), afin d’établir une proximité avec Lloyd, homme plutôt secret, qui a l'émotion à fleur de peau, afin qu'il nous puisse nous livrer les secrets de cette blessure tapie en lui. A travers cet artiste, j’ai souhaité faire sentir, humer, ressentir, au spectateur, le parfum, l'esprit du jazz et de ses acteurs, ainsi que des fragments de l'histoire du jazz. ».
Il y a eu dans cette rencontre, une authentique « résonnance » entre l’auteure et l’artiste : placée en famille d’accueil dès l’âge de 2 ans et demi, Fara C. a pu reconnaître, percevoir de façon intime, la difficulté de Charles Lloyd à trouver sa légitimité et, donc, la quête existentielle qu’il mène sans répit.
Se dégageant de la chronologie biographique, le documentaire privilégie un regard subjectif de Charles Lloyd à la première personneet une réflexion sur les thèmes fondamentaux de son investigation artistique et philosophique.
« Quand j’écoute Charles Lloyd, je sens, au-delà des notes les plus paisibles, les secrets sacrés de la souffrance. Charles et moi nous nous comprenons instinctivement. »Michel Petrucciani, en décembre 1998, trois semaines avant sa disparition, à Fara C. pour « L’Humanité »
[1] Fara C. Initiatrice, en 1986, de la page jazz, black music & world music pour le journal quotidien l’Humanité, collaboratrice des mensuels Jazz Magazine, Jazzman et d’autres publications spécialisées (le magazine World, le site Internet grioo.com…), Fara C. officie sur les divers champs des musiques actuelles. Elle estmembre de divers jurys (Django d’Or, Victoires du Jazz), elle est une des rares femmes journalistes professionnelles à avoir été admises à la prestigieuse Académie du Jazz.