Dans leur aveuglement idéologique, le gouvernement et des technocrates du ministère de la santé organisent le renforcement de la stigmatisation, l’amplification de la peur des malades mentaux, en mettant en avant une fois encore la dangerosité, les faits divers.
Un double objectif idéologique : la politique de la peur, un nouvel enfermement et la destructuration du service public et de la politique des soins organisée dans le cadre du secteur psychiatrique.
Un rapport de l’I.G.A.S. venant compléter opportunément le projet de loi sécuritaire sur les « soins » sans consentement a été rendu public le jour du vote solennel à l’Assemblée Nationale de ce texte. Paniqué par l’ampleur du refus de ce texte par toutes les associations de patients, par tous les professionnels, ce document officiel ajoute la bêtise à l’absurdité d’une démarche gouvernementale obstinée. Il propose des mesures pour un grand renfermement et ouvre la voie à la destruction de la psychiatrie et à une entreprise de démoralisation des personnels soignants.
Le Collectif des 39 contre la Nuit Sécuritaire a dénoncé vigoureusement dès sa création en décembre 2008, la dérive des pratiques psychiatriques depuis une quinzaine d’années. Il a parfois suscité des oppositions virulentes de certains psychiatres.
En mettant en causece rapport, il ne s’agit certainement pas de défendre LA psychiatrie à partir d’une position corporatiste : il existe DES psychiatries, et celle que les 39 soutiennent et défendent est une psychiatrie humaine, digne et respectueuse des personnes en souffrance psychique.
Ce qui pourrait apparaître comme une révélation publique salutaire des dérives insupportables dans les établissements à l’encontre des malades et des entraves au respect des droits élémentaires des patients, devient un outil de communication démagogique lorsque l’on examine l’ensemble du rapport.
On pourrait tout à fait se féliciter de la dénonciation enfin officielle des « maltraitances physiques faites aux malades », et des « usages hospitaliers qui ne respectent pas la vie privée et les droits des malades ». C’est là l’insupportable de la violence des établissements d’enfermement dont Erving Goffmann avait fait en 1968 son ouvrage majeur[1], qui avait conduit nombre d’entre nous à la contestation des pratiques psychiatriques dès les années 1970. C’est par la prise de conscience de « zone de non-droit, des phénomènes totalitaires, de l’inhumanité » des asiles que la politique de secteur, les alternatives et la créativité institutionnelle des années 80 se sont développées et ont permis les améliorations et les progrès de la psychiatrie française. Mais l’oubli, l’occultation de l’Histoire est intégré depuis quelques années dans un vaste projet politique général de falsification et de révision pour organiser la pire politique régressive et conservatrice.
Au fil des pages, nous sommes frappés par le degré zéro de la pensée, la méconnaissance hallucinante des pratiques de soins, et le parti-pris idéologique de ce document. Le summum de l’absurde étant atteint avec la proposition d’ajouter des « entraînements physiques réguliers » dans la formation pour faire face à l’agressivité des patients ! Le retour aux gardiens d’asile costauds et forts en bras ! La répression physique des malades agités, après avoir dénoncé les maltraitances dont sont victimes parfois les malades…L’incohérence le dispute à l’absence de réflexion et d’analyse des situations.
L’énoncé dès les premières lignes du rapport donne le ton : les chiffres viennent tenter de donner corps à la réalité du danger : les homicides et les fugues ! Il nous est asséné la dénonciation habituelle de la complaisance et de l’angélisme par rapport à la dangerosité qui surgit dans certaines situations pathologiques. Pour ensuite faire état d’un chiffre curieux « entre 8 et 14.000 fugues » ! Quelle précision statistique !
Qu’en est il de ces « fugueurs », de ce qui peut amener un patient à vouloir partir de l’hôpital ? Rien ne nous est apporté comme esquisse d’une ébauche d’une hypothèse ! Nos inspectrices de l’I.G.A.S. ignorent – elles que parfois certaines personnes souhaitent être hospitalisées et que devant l’absence de lit disponible, les psychiatres n’ont que la solution de les hospitaliser sous contrainte pour obliger les hôpitaux à les accueillir. Ignorent-elles l’ambiance souvent morbide de nombreux lieux d’hospitalisation ? Ignorent-elles les entraves administratives et tatillonnes qui brisent les initiatives thérapeutiques?
La dénonciation du« mélange » des pathologies exposée dans le rapport, rappelle que certains membres de l’U.M.P., prompts à dénoncer les errements de mai 68, le sénateur Alain Milon par exemple dans son rapport de mai 2010, prônent le retour de la psychiatrie dans la neurologie. Bien évidemment avec la dérive scientiste en vogue, la recherche, le salut pour les malades mentaux ne peut venir que de la génétique, de l’imagerie médicale, des thérapeutiques médicamenteuses. La recherche en sciences humaines, les progrès apportées par l’immensité des travaux psychanalytiques, la multitude des séminaires, des groupes de travail et de recherche en analyse institutionnelle, dans les associations psychanalytiques, les travaux sur les psychoses ? Tout ceci n’a aucune valeur aux yeux de certains politiques de droite comme de gauche d’ailleurs, face à LAscience ! La politique de secteur en œuvre depuis plus de quarante ans, l’immense travail thérapeutique et de socialisation et les multiples réalisations et progrès ? Occultés par les faits divers, le sécuritaire. L’orientation politique actuelle veut le déconstruire, la fin du secteur est explicitement proposée dans ce rapport.
La loi HPST, les rapports Cléry-Melin-Pascal, Roelandt, Couty, Milon, et aujourd’hui le rapport de l’IGAS sur la sécurité, voilà une belle architecture pour détruire une certaine conception de la psychiatrie.
Des éléments moraux, des jugements à l’emporte –pièce, l’obsession du tabac, sans une once d’analyse et de réflexion sur le vide, l’angoisse majeure psychotique,l’apragmatisme[2],l’isolement, pour attaquer ouvertement les soignants « Le personnel - fortement fumeur - revendique l’usage du tabac comme le seul plaisir pour les malades » ! et « la dénonciation de l’absentéisme ». Sur les effectifs, on ne peut qu’être sidéré par la méconnaissance du fonctionnement quotidien de la psychiatrie publique : on peut lire « Contrairement à une idée répandue, ce ne sont pas les effectifs de personnels qui font défaut », « si le nombre d’infirmiers a diminué, il l’a fait dans des proportions moindres que la baisse du nombre de lits », oubliant au passage le développement des suivis et soutiens en ambulatoire. La critique des 35 h est appelée à la rescousse : « les accords de réduction du temps de travail ont été négociés dans certains établissements de façon anormalement libérale et réduisent un temps de travail que viennent grignoter les trop nombreuses pauses des fumeurs ». Le tabac encore !
On charge les soignants pour ménager les directeurs et les médecins !!! Quelle merveilleuse entreprise d’amplification de la démoralisation des personnels, soumis à une bureaucratie folle, à l’application abêtissante des protocoles, à la multiplication des tâches stupides pour rendre impossible le merveilleux de ce métier : la rencontre, le soutien thérapeutique par la relation, les capacités d’inventivité et d’initiatives pour « injecter du désir » à des patients abattus, ayant perdu tout désir d’agir, envahis par des phénomènes délirants et hallucinatoires qui les plongent dans des terreurs extrêmes. L’attention, la disponibilité, le temps à « être avec » sont rendus impossible par le règne de la bureaucratie de l’idéologie managériale, l’individualisation de « l’évaluation » et de l’hôpital-entreprise, aggravé par la loi Hôpital-Patients-Santé-Territoire. Mais pire, toute perspective de travail collectif, d’équipe pluridisciplinaire est mise à mal : le clivage, le cloisonnement statutaire, quand ce n’est pas l’individualisation des taches sont encouragés.
Au nom de quoi, sur quels présupposés théoriques, analytiques s’appuient les auteurs pour asséner une affirmation aussi stupide en ce qui concerne« le mélange » des pathologies : « De tels regroupements (de malades) facilitent les agressions et les homicides ». Uniquement sur une considération de café du commerce ? Quelle ignorance de ce qu’il en est de la fécondité des relations entre patients, de l’entraide et de l’attention à l’autre, des effets de transfert à l’œuvre, ce que Jean Oury et François Tosquelles ont conceptualisé sous le terme de « transfert multi-référentiel, » lorsqu’un service travaille en référence à la psychothérapie institutionnelle. Mais surtout quelle atmosphère épouvantable dans ces lieux où étaient concentrés des personnes selon leur situation, leur itinéraire psychiatrique, leur évolution.
Ainsi sont proposées des « unités d’hébergement de longue durée ». Au19ème siècle et au cours de la première moitié du 20ème siècle, on appelait ça « quartier de chroniques », « pavillon dit de« défectologie », ou « pavillon des gâteux » ! Ils jouxtaient le « Pavillon des entrants » et le « Quartier d’Agités »…En avant pour la modernité psychiatrique, le retour à l’asile d’antan et le carcéral déjà engagé par la circulaire de janvier 2009 voulue par le Président de la République !
Il est vrai que ceci est déjà organisé dans certains hôpitaux. Il s’agit résolument de s’y opposer.
Les propositions énoncées sont d’une pauvreté idéique qui donne envie de pleurer !
- des sas d’entrée,
- des badges électroniques,
- filtrer les sortants,
-des dispositifs de protection de travailleur isolé,
-Des « moyens de distraction » !!!
« Distraction » ! Quelle insulte ! Quelle ignorance ! Quand les soignants développent des trésors d’imagination, s’engagent activement parfois dans des sessions de formation pour proposer et soutenir des ateliers d’activité, de créativité, de création artistique, dont les apports thérapeutiques sont indéniables. Distraction !
Tout ce verbiage pour masquer un vide de la pensée.
Mais que l’on ne s’étonne pas : le degré zéro de la pensée politique est à l’œuvre dans tout le champ du politique, du social. Lorsque les affaires de mœurs prennent le devant de la scène médiatique, le sordide le dispute à l’innommable, la haine de l’autre, de l’étranger, distillée par le pouvoir en place qui rivalise de formules avec le Front national, que l’on ne s’étonne pas de la pauvreté idéique des solutions simplistes des technocrates.
-Oui la question de la sûreté pour tous, patients et personnels soignants, se pose dans les hôpitaux psychiatriques.
-Oui il y a de la maltraitance morale et physique et des agressions insupportables commises à l’encontre des malades.
-Oui la bureaucratie, la démoralisation des personnels, l’indigence d’une formation psychiatrique diversifiée, les problèmes d’effectifs, les restrictions budgétaires renforcent dramatiquement « l’apragmatisme » des malades, l’abrasion de tout désir et de toute envie.
Mais une des façons de transformer « l’ambiance » dans les services, lui donner un caractère authentiquement thérapeutique, consiste à mettre en œuvre des thérapies institutionnelles, des activités thérapeutiques qu’elles soient du côté de la création, ou du côté d’un engagement des patients à participer à la vie quotidienne dans un pavillon.
En 1926, un psychiatre allemand, Hermann Simon avait mis en œuvre les bases de ce qui s’appellera plus tard la psychothérapie institutionnelle, grâce à François Tosquelles. Il avait instauré cette pratique à partir de cet énoncé :« soigner d’abord l’hôpital, pour soigner les patients ».
Et l’hôpital, en 2011 est bien malade, la psychiatrie française est en voie de destruction par la folie bureaucratique et organisationnelle qui sévit depuis près de vingt ans, et par les velléités d’un retour à l’ordre médical du champ psychiatrique.
Avec les « groupes homogènes de malades » proposés dans ce rapport de l’I.G.A.S., nous y allons tout droit. L’idéologie,l’idéologie en guise de pauvreté d’analyse.
[1]Erving Goffmann, « Asiles » – Ed. Minuit - 1968
[2]« absence d’initiative, d’envie, de désir, d’agir » provoquée par la psychose et d’autres pathologies mentales.