Billet de blog 17 octobre 2011

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LES ENSEIGNEMENTS DE LA FOLIE (6) : un feuilleton « dangereux »

Clinique de Dostoïevski : l’homme du sous-sol  l’universalité du personnage Une relecture plus attentive de la première partie de la nouvelle de Dostoïevski nous réserve des surprises. La difficulté de reconnaître la magnitude de la haine du personnage n’est pas si fortuite. Il se dit malade, méchant, un insecte, moins qu’un insecte d’ailleurs, coupable. Mais le génie de Dostoïevski présente ces qualificatifs comme le résultat d’une exploration faite par le personnage de son inconscient.

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Clinique de Dostoïevski : l’homme du sous-sol

l’universalité du personnage

Une relecture plus attentive de la première partie de la nouvelle de Dostoïevski nous réserve des surprises. La difficulté de reconnaître la magnitude de la haine du personnage n’est pas si fortuite. Il se dit malade, méchant, un insecte, moins qu’un insecte d’ailleurs, coupable. Mais le génie de Dostoïevski présente ces qualificatifs comme le résultat d’une exploration faite par le personnage de son inconscient.

L’homme du sous-sol dit : « Je ne croyais pas que les autres puissent être dans le même cas et toute ma vie durant je cachais cette particularité comme un secret. »(Chapitre II de la première partie, traduction de Boris de Schlœzer Folio). La haine n’est pas présentée comme d’un seul bloc, mais faisant partie, je cite, « d’un grand nombre d’éléments divers qui s’y opposaient toujours violemment (dans la sensibilité du personnage) » (Chapitre I de la première partie, Folio). Parmi ces éléments, il y a aussi l’impérieuse réalité du désir, réalité impérieuse que l’homme du sous-sol défend d’une manière indiscutable. En d’autres termes, qui ne s’est jamais senti comme étant le dernier des misérables ? C’est cette universalité de ce qui passe dans la réalité psychique de l’homme du sous-sol qui permet notre identification – de la même manière que le lecteur s’identifie à chacun des cas cliniques des Cinq psychanalyses de Freud.

Ces considérations permettent de nuancer ce que je disais l’autre jour sur notre accueil de la présentation ignoble que l’homme du sous-sol fait de lui même. Ce n’est peut être pas la naïveté qui nous rend tolérant devant cette présentation, mais notre conviction que la palette des fantasmes est infinie. On peut tout fantasmer, tout penser, tout désirer. Mais on ne peut tout faire.

À la première lecture de l’homme du sous-sol, nous considérons le début du récit comme une collection des fantasmes qui organisent une autoreprésentation du sujet marquée par une exigence dévastatrice. C’est sur le compte de cette exigence dévastatrice – que Freud appelait le Surmoi cruel – que nous mettrons l’épisode avec le militaire, avec son cortège d’obsessions. Mais l’événement Lisa change la donne, réinterprète le tout. Un acte n’annule pas le registre fantasmatique, mais une telle perméabilité entre les deux modifie notre façon d’appréhender le fantasme dans l’ensemble du fonctionnement psychique : un crime est un crime.

Leslie Kaplan, dans l’essai pointu qu’elle dédie à cette œuvre, prend, à juste titre, le parti de considérer l’ensemble du monologue à la lumière de l’événement avec Lisa, événement qu’elle nommera l’expérience du meurtre. Nous y reviendrons, mais, pour l’instant, reprenons le récit depuis le commencement.

Dès l’ouverture, le lecteur est balloté par des considérations les plus contradictoires. Après s’être présenté comme essentiellement malade, méchant, après s’être décrit mesquin et tyrannique dans son travail, le personnage parle de son intelligence, de son horreur de la médiocrité. Pour, tout de suite après, se dire un imbécile qui a le tort de vivre au-delà de quarante ans. (Chapitre I)

Il s’ensuit une incroyable description sur l’équivalence des contraires.Ici encore nous retrouvons – avec étonnement - ce que Freud dira, plusieurs décennies après, sur l’absence des contraires dans l’inconscient : l’inconscient ne connaît pas la négation. En d’autres termes, le fonctionnement psychique du personnage dostoïevskien est régi par les processus que Freud reconnaîtra et décrira comme étant propres à l’inconscient : les processus primaires. Je vous cite un exemple de cette équivalence de contraires : Plus claire était ma conscience du bien et de toutes les choses ‘belles et sublimes’, plus profondément je m’enfonçais dans la boue. (Dans la traduction de J.W. Bienstock revue par Hélène Henry,POL, Paris, 1993.) Il s’attardera, alors, sur la jouissance que produit pour lui cet état des choses, jouissance qui rend toute action inutile et à laquelle se mêle le désespoir. (Chapitre II)

Cette impossibilité d’agir est la conséquence d’une économie très particulière de l’agressivité, qui rend celle-ci incapable de se manifester, de se tourner vers l’extérieur. Tournée contre soi, l’agressivité viendra nourrir la haine dans laquelle se noie l’homme du sous-sol. Ne pas pouvoir diriger son agressivité vers l’extérieur, empêche (ou compromet sérieusement) toute action sur la réalité du monde. Ce nœud de désirs insatisfaits et rentrés, finit par nous éloigner du monde, par le rendre irréel et persécuteur. Cet éloignement du monde exacerbe l’attention sur son propre fonctionnement psychique, et engendre une susceptibilité qui nous fera sentir responsables de tout ce qui nous arrive. C’est aussi cette susceptibilité qui viendra toujours colorer de persécution la rencontre avec l’autre. (Chapitre III)

Celui qui se connaît peut-il s’estimer, ne fût-ce qu’un peu ? - écrit Dostoïevski à la fin du IV Chapitre de la première partie. Cette phrase fait penser à Freud pour qui la reconnaissance de l’inconscient était une blessure à l’amour propre de l’homme. L’homme du sous-sol, décrira remarquablement comment la rencontre avec l’inconscient lui fait perdre tout pouvoir sur (lui)-même, le plonge dans un doute permanent, doute qui engendre l’ennui, ennui qui engendre, à son tour, l’impossibilité d’agir et une rêvasserie qui remplace l’investissement du monde. Après avoir considéré son sentiment écrasant de culpabilité, l’homme du sous-sol aborde son impossibilité à se laisser aller à la rage et, plus généralement, à être agressif. Il remarque que, pour poser un acte, il faut pouvoir s’abandonner à son sentiment. Or, pouvoir s’abandonner à son sentiment, présuppose de l’agressivité - dont il est incapable. L’homme du sous-sol conclut : Et c’est pourquoi de toute ma vie je n’ai jamais rien pu commencer ou finir. (Chapitre V). Remarquons la grande finesse de Dostoïevski lorsqu’il reconnaît que l’abandon à un sentiment présuppose de l’agressivité. En effet, dire : je suis triste, implique, à la fois, un choix parmi une infinité de sentiments possibles et l’affirmation de ce choix - et donc de notre différence - dans la scène du monde. Demain nous verrons comment, à partir de cette compréhension, Dostoïevski nous apprend le respect du symptôme.

Demain: l’éloge du symptôme et du désir

Historique : Le 2 décembre 2008, à l’hôpital d’Antony, Nicolas Sarkozy, Président de la République Française, désigne comme potentiellement criminelles, en tout cas potentiellement dangereuses, toutes les personnes qui présentent des signes peu ordinaires de souffrance psychique. Dans le droit fil de ce discours, au 1 août dernier une loi dite des « soins sans consentement » est entrée en vigueur.

Lors de la première manifestation appelée par Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire pour répondre à l’insulte faite à notre humanité par celui qui a fonction de Président, les patients ont inventé un mot d’ordre vite repris par les manifestants : Nous sommes tous des schizophrènes dangereux. C’est en réfléchissant sur le sens de cette proposition que je me suis dit qu’il serait bienvenu d’évoquer les enseignements que nous donnent la folie et les fous. Et j’ai pensé que revisiter le grand clinicien de la folie que fut Dostoïevski pourrait être une contribution à la lutte citoyenne contre l’application de la loi des « soins sans consentement » , lutte inaugurée et soutenue par Le Collectif des 39.

Cette démarche rejoint par ailleurs notre souci à nouer, ensemble, la prise en compte de l’inconscient, une pratique politique et le sentiment du monde qui nous est donné par la littérature, et l’art en général.

Pour plus d’informations sur Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire on peut consulter :

http://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=338

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