Un hôpital est en principe peuplé de patients.
En principe.
Un hôpital psychiatrique qui devrait ériger en principe fondamental la liberté de circulation.
À Trieste, en Italie, dans l’hôpital psychiatrique travaillé par Franco Basaglia, puis par Franco Rotelli, j’avais admiré en 1978 sur un mur d’un pavillon abandonné, déserté par les malades et les soignants « La Liberta e térapeutica ».
Oui la liberté est thérapeutique !
Mais c’était dans un siècle aujourd’hui lointain.
En 2022, c’est un tout autre monde, un tout autre programme.
En juin 2022, à l’issue d’une journée de colloque organisée par de jeunes soignants à Ville – Évrard en Seine Saint Denis, « Enfermer pour soigner ? », je m’étais baladé dans cet hôpital dans lequel j’ai effectué la totalité de ma carrière de psychiatre.
J’avais toujours aimé ce lieu, chargé d’histoire. Des personnages illustres y avaient été enfermés. Antonin Artaud, Camille Claudel, pour les plus emblématiques.
Cet hôpital où dans les années 48-50, un psychiatre renommé, Paul Sivadon, y avait créé le Centre de Traitement et de Réadaptation Sociale. Un des premiers actes posé avait été de proposer aux malades enfermés là, pour certains depuis des années, d’œuvrer à abattre les murs, à combler les sauts de loup. Tout un travail de terrassement avait été mis en œuvre dans un certain enthousiasme. Un des pavillons avait été nommé La terrasse justement en référence à ces malades qui s’étaient transformés en terrassiers.
Cet hôpital qui avait abrité un réseau de résistance. Lucien Bonnafé avait dû s’en échapper pour rejoindre Saint Alban en Lozère où oeuvrait Francecq Tosquelles, et où il avait jeté les bases du désaliénisme et de la politique de secteur psychiatrique.
J’avais connu cet hôpital vivant.
Les malades y circulaient dans le parc, entre tous ces bâtiments en pierre de taille qui constituent désormais un authentique patrimoine architectural. Ils aimaient se réunir à la cafétéria en face du bâtiment de la Direction où arrivait au début du 20ème siècle un tramway arrivant de Paris pour rejoindre Neuilly sur Marne. Le tram avait été depuis remplacé par le bus qui s’arrête désormais à l’entrée de l’hôpital. Les malades fréquentaient aussi le salon de coiffure qui jouxtait la cafétéria. Certains se rendaient dans les bâtiments d’ergothérapie.
C’était une véritable petite ville vivante.
J’y croisais des patients que j’aimais saluer et qui me le rendaient bien.
Il y avait de la vie.
La ferme fonctionnait pendant des décennies, avec son troupeau de vaches qui passait chaque matin et chaque soir devant la Direction, les cochons qui se répandaient dans le terrain vague en face des pavillons Alyzé ou Tramontane encore jusque dans les années 80, les sillons maraîchers qui auraient pu empêcher la famine qui décimait les malades pendant la guerre…
En ce mois de juin 2022, lors de ma balade, je fus pris par une angoisse sourde. Ce fut au bout d’un moment que je compris qu’elle n’était pas dû au temps pluvieux de cette fin d’après-midi.
Je finis par comprendre que la cause de cette angoisse était liée au silence et à l’absence total d’êtres vivants.
Aucun malade ne circulait.
Tous les pavillons encore occupés étaient fermés.
Personne.
Pas un chat.
Même ces chats – une association de sauvegarde des chats avait été même créée- qui se baladaient dans l’hôpital avaient disparu.
Un silence de mort. Plus de vie.
Lorsque je suis revenu ce 17 septembre 2022 à l’occasion de la Journée du Patrimoine le soleil était radieux.
Mais … toujours personne. Pas un chat.
Dans les jardins de chaque pavillon, ceinturés par de nouvelles grilles neuves, personne. Plus de vie.
Pourtant dans ces pavillons de nombreux malades y sont hospitalisés en … hospitalisation libre ! Ils devraient avoir le loisir de se promener, d’échapper à la promiscuité des couloirs et des salles où une télévision certainement tourne en boucle pour créer un simulacre d’occupation.
J’avais connu une époque où les chambres d’isolement n’étaient pas occupées, ou seulement pour quelques heures.
Cette époque me semble remonter à un siècle, à l’asile créé en 1868. Il n’y a pourtant qu’une ou deux décennies.
N’ont-ils pas honte ces psychiatres actuels ? Dorment-ils tranquilles ?
Les pavillons sont désormais bouclés.
De l’extérieur on aurait l’impression d’errer dans une ville désertée.
Sinistre sous le soleil.
Ainsi va la psychiatrie française en 2022.
Le grand renfermement prôné par Nicolas Sarkozy en décembre 2008 est accompli au-delà de ses espérances.

Agrandissement : Illustration 1


Agrandissement : Illustration 2


Agrandissement : Illustration 3
