Billet de blog 18 octobre 2011

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LES ENSEIGNEMENTS DE LA FOLIE (7) : Un feuilleton «dangereux»

Clinique de Dostoïevski : l’homme du sous-sol  l’éloge du symptôme et du désir Voici l’éloge que fait Dostoïevski du symptôme, de son importance : Oh, si je n’avais été qu’un paresseux ! Comme je me serais respecté ! Je me serais respecté précisément parce que je me serais vu capable au moins de paresse, parce que j’aurais possédé alors au moins une qualité définie dont j’aurais été certain. Question : Qui es-tu ? Réponse : un paresseux ! Cela aurait été très agréable de s’entendre appeler ainsi. Tu es donc défini d’une façon positive ; il y a donc quelque chose à dire de ta personne … « Un paresseux ! » - C’est un titre, c’est une fonction, c’est une carrière, messieurs ! »- C’est vrai, la psychopathologie ça aide. Se dire qu’on est un hystérique, un obsessionnel, ou n’importe quelle autre catégorie nosographique apaise. Pour certains, apprendre d’être atteint d’une maladie mortelle, peut être une délivrance de l’angoisse, une véritable carte d’identité. (Chapitre VI)

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Clinique de Dostoïevski : l’homme du sous-sol

l’éloge du symptôme et du désir

Voici l’éloge que fait Dostoïevski du symptôme, de son importance : Oh, si je n’avais été qu’un paresseux ! Comme je me serais respecté ! Je me serais respecté précisément parce que je me serais vu capable au moins de paresse, parce que j’aurais possédé alors au moins une qualité définie dont j’aurais été certain. Question : Qui es-tu ? Réponse : un paresseux ! Cela aurait été très agréable de s’entendre appeler ainsi. Tu es donc défini d’une façon positive ; il y a donc quelque chose à dire de ta personne … « Un paresseux ! » - C’est un titre, c’est une fonction, c’est une carrière, messieurs ! »- C’est vrai, la psychopathologie ça aide. Se dire qu’on est un hystérique, un obsessionnel, ou n’importe quelle autre catégorie nosographique apaise. Pour certains, apprendre d’être atteint d’une maladie mortelle, peut être une délivrance de l’angoisse, une véritable carte d’identité. (Chapitre VI)

En d’autres termes, le symptôme c’est le compromis qui permet à une personne de vivre socialement sa souffrance en gardant en secret le sens et la cause de cette souffrance. Parfois ce compromis devient handicapant, paralysant. Et le travail de nos équipes de soins consiste à aider ces personnes à changer de compromis, à ne pas avoir honte des raisons de leurs souffrances. À découvrir comment la souffrance actuelle s’inscrit dans toute une histoire familiale. Parce que c’est l’humain qui fait l’humain. C’est un travail qui requiert le temps de la confiance, le temps de la compréhension - et c’est cette conception qui a fait de la psychiatrie française la meilleure du monde. Pour des raisons économiques, Nicolas Sarkozy a voulu, par décret, interdire que la souffrance soit un événement de notre humanité et ne devienne qu’un accident biologique. Dans le parti socialiste il y a des conseillers de la direction qui, pour les mêmes raisons, défendent les mêmes stupidités. Il faut interroger le candidat Hollande.

Cet éloge du symptôme accompagne le constat que fait l’homme du sous-sol de la fragilité, voire de l’absence de ses défenses. Cette presque absence de défenses, absence désespérante, nous rendra plus accessible le sens de ce qui se passe lors de sa rencontre avec ses collègues d’études, puis avec Lisa.

Que direz-vous s’il se trouve un beau jour que l’intérêt humain peut, ou même doit, consister à désirer non un avantage, mais un mal ? Voici comment Dostoïevski initie sa démonstration de la prévalence de l’inconscient à l’égard de toute rationalisation, sa démonstration de l’existence du conflit psychique et du caractère indomptable du désir. Il faut noter que dans cette partie du monologue, le discours s’universalise. L’homme du sous-sol décrit le fonctionnement psychique en général, montre comment la vérité d’un sujet se situe hors des systèmes explicatifs du monde. À ce propos, il notera : « L’homme nourrit une telle passion pour les systèmes, pour les déductions abstraites, qu’il est prêt à travestir sciemment la vérité. » Puis il va même jusqu’à relever les liens qui existent entre l’ennui et la rationalité, entre l’ennui et la haine, entre l’ennui et la cruauté. (Chapitre VII)

Le segment suivant du monologue commence par une attaque ironique contre le délire scientifique qui prétend pouvoir réduire le fonctionnement désirant à la pure logique. Effrayante d’actualité, la description qu’il en donne n’est pas sans faire penser à ce que les cognitivistes et les neuroscientifiques essayent de nous faire admettre : que la sensibilité, même les rêves, peuvent être mis en équation. Le rêve scientiste qu’il présente ici peut évoquer les effets qu’a eu le structuralisme sur la pensée dans les années 70, et particulièrement sur la pensée psychanalytique. Et à la remarque célèbre faite par Sartre, à l’époque, à Michel Foucault : L’important ce n’est pas ce qu’on a fait de l’homme, mais ce qui a fait l’homme de ce qu’on a fait de lui. Morceaux choisis : « Quand tout sera expliqué et calculé sur le papier (…) alors, certainement, ce qu’on appelle désirs n’existera plus. (…) Mais puisque toutes les volontés et tous les raisonnements peuvent être calculés réellement, (…) on peut imaginer quelque chose comme un tableau (un graphe lacanien ? – HM) de sorte que nous ne pourrons désirer que d’après ce tableau. (…) Voyez-vous, messieurs, la raison est une chose excellente ; ceci est incontestable ; mais la raison n’est que la raison et satisfait seulement à la capacité humaine de raisonner, tandis que le désir est la manifestation de la totalité de la vie, c’est-à-dire de toute la vie humaine, et avec la raison et avec toutes les démangeaisons du désir (…) La raison ne sait que ce qu’elle a appris (elle ne saura jamais autre chose…) tandis que la nature humaine agit en bloc avec tout ce qui se trouve en elle de conscient et d’inconscient et, qu’elle se trompe ou non, elle vit. (…) Mais, je vous le répète, pour la centième fois, il n’y a qu’un cas, un seul, quand l’homme peut désirer exprès quelque chose de nuisible, d’insensé, de fou. C’est quand il veut avoir le droit de désirer tout ce qu’il y a de plus absurde et de ne pas être lié par le devoir de désirer seulement ce qui est raisonnable. Cette chose absurde, c’est cependant mon caprice (…) cet absurde peut être plus intéressant que tous les intérêts (…) très souvent, et même pour la plupart (le désir) est complètement et obstinément en désaccord avec la raison.»(Je souligne)

Après cette définition du désir comme toujours transgressif, s’ensuit, encore d’une façon universalisante, la description du conflit psychique en termes d’une confrontation entre la conscience et l’inconscient. Est alors affirmée la nécessité du rêve, la nécessité des rêves les plus fantastiques, et comment l’homme, pour préserver cet espace de démesure, peut choisir d’avoir recours la pulsion de mort. Je n’invente rien, je cite : Et au cas où les autres moyens lui manqueraient, il se plongerait dans la destruction, dans le chaos ; il déchainerait je ne sais quels maux, mais n’en ferait finalement qu’à sa tête. Et si cela ne suffit pas « l’homme n’aura plus qu’un moyen d’en faire à sa tête, c’est de perdre la raison et de devenir complètement fou ». Remarquable conception dostoïevskienne où la folie est le dernier recours du sujet pour préserver son humanité. Je vous rappelle que ce texte date de 1864. (Chapitre VIII)[1] (Les citations en italiques viennent de la traduction de J.W. Bienstock revue par Hélène Henry,POL, Paris, 1993.)

Demain: l’extrême solitude

Historique : Le 2 décembre 2008, à l’hôpital d’Antony, Nicolas Sarkozy, Président de la République Française, désigne comme potentiellement criminelles, en tout cas potentiellement dangereuses, toutes les personnes qui présentent des signes peu ordinaires de souffrance psychique. Dans le droit fil de ce discours, au 1 août dernier une loi dite des « soins sans consentement » est entrée en vigueur.

En d’autres termes, le gouvernement érige le trauma en projet de société. Mettre l’angoisse, le désir et la pensée à l’index est une nécessité inséparable de son modèle économique: le citoyen doit être un individu sans subjectivité, sans sensibilité, simple reproducteur anonyme des conditions de fonctionnement d’un système d’échange où il n’y a plus d’échange, qui produit le vide de sens dont la machine a besoin pour se perpétuer - et la princesse de Clèves peut aller se faire foutre.

Lors de la première manifestation appelée par Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire pour répondre à l’insulte faite à notre humanité par celui qui a fonction de Président, les patients ont inventé un mot d’ordre vite repris par les manifestants : Nous sommes tous des schizophrènes dangereux. C’est en réfléchissant sur le sens de cette proposition que je me suis dit qu’il serait bienvenu d’évoquer les enseignements que nous donnent la folie et les fous. Et j’ai pensé que revisiter le grand clinicien de la folie que fut Dostoïevski pourrait être une contribution à la lutte citoyenne contre l’application de la loi des « soins sans consentement » , lutte inaugurée et soutenue par Le Collectif des 39.

Cette démarche rejoint par ailleurs notre souci à nouer, ensemble, la prise en compte de l’inconscient, une pratique politique et le sentiment du monde qui nous est donné par la littérature et l’art en général.

Mon point de départ pour ce « feuilleton » a été l’idée que chez Dostoïevski, la grandeur ou la misère des personnages fondamentaux de l’œuvre accompagne la découverte qu’ils font de l’inconscient. Que les personnages soient construits à partir du trauma de la rencontre avec l’inconscient, est certainement une des raisons principales de leur pérennité. En nous appuyant sur ces personnages nous démontrerons que leur enseignement sur le trauma, le fantasme, la perversion, la folie nous apprend la vie vivante. Mon travail se concentrera sur deux textes Notes du sous-sol et Crime et Châtiment.

Pour plus d’informations sur Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire on peut consulter :

http://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=338


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