Billet de blog 19 octobre 2011

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LES ENSEIGNEMENTS DE LA FOLIE (8) : Un feuilleton «dangereux »

Clinique de Dostoïevski : l’homme du sous-sol  l’extrême solitude Je vous disais hier qu’après avoir observé qu’une loi pour la logique n’est pas une loi pour l’humanité, le monologue se poursuit par la démonstration de l’universalité de la passion du chaos et de la destruction (ce qui Freud appellera la pulsion de mort). Dostoïevski oppose cette passion du chaos au « principe de mort », c’est-à-dire d’ériger le bien être comme but de la vie humaine. Pour penser l’homme, il n’y a pas à choisir entre le bien être et la souffrance, entre l’amour et la haine, entre la vie et la mort – il faut tout prendre. (Chapitre IX) Ensuite vient le plaidoyer que fait l’homme du sous-sol pour le fantasme : Que m’importe (que mon invention) soit inadmissible ! Que m’importe puisqu’(elle) existe dans mes désirs ou, pour mieux dire, puisqu’(elle) existe tant qu’existent mes désirs ? Et Dostoïevski, pour qu’il n’y ait pas de doutes sur le caractère universel de ce dont il parle, utilisera le pluriel : je suis persuadé que nous autres, hommes du sous-sol, nous devons être tenus en laisse. (Chapitre X)

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Clinique de Dostoïevski : l’homme du sous-sol

l’extrême solitude

Je vous disais hier qu’après avoir observé qu’une loi pour la logique n’est pas une loi pour l’humanité, le monologue se poursuit par la démonstration de l’universalité de la passion du chaos et de la destruction (ce qui Freud appellera la pulsion de mort). Dostoïevski oppose cette passion du chaos au « principe de mort », c’est-à-dire d’ériger le bien être comme but de la vie humaine. Pour penser l’homme, il n’y a pas à choisir entre le bien être et la souffrance, entre l’amour et la haine, entre la vie et la mort – il faut tout prendre. (Chapitre IX) Ensuite vient le plaidoyer que fait l’homme du sous-sol pour le fantasme : Que m’importe (que mon invention) soit inadmissible ! Que m’importe puisqu’(elle) existe dans mes désirs ou, pour mieux dire, puisqu’(elle) existe tant qu’existent mes désirs ? Et Dostoïevski, pour qu’il n’y ait pas de doutes sur le caractère universel de ce dont il parle, utilisera le pluriel : je suis persuadé que nous autres, hommes du sous-sol, nous devons être tenus en laisse. (Chapitre X)

La fin du monologue (Chapitre XI), est pleine de mouvements contradictoires. D’abord le personnage proclame qu’il préfère l’homme du sous-sol à l’homme normal. Ceci semble cohérent, à partir de tout ce que nous a été soutenu. Et pourtant non, le personnage n’arrive pas, je cite, à croire un seul mot de ce que j’écris ici. En fait, il ne peut considérer sa pensée comme une réalité. Il reprend ses ruminations du début, il se décrit comme incapable d’initiative, et, pour conclure, simplement comme un lâche. Ce revirement, après tout ce qui a été si bien soutenu, apparaît comme incompréhensible. C’est, certainement, qu’un « souvenir lointain » insiste : le meurtre de Lisa.

SI ce « souvenir lointain » peut servir d’explication « psychologique » à la fin de la première partie du livre, du strict point de vue de la logique du discours, le retour aux auto-reproches initiaux semble inévitable. La parole de l’homme du sous-sol s’enferme sur elle-même, ne s’adresse pas à un autre. Tout simplement elle prend appui sur une pensée supposée de l’autre pour poursuivre son déroulement. Certes, ce déroulement recèle un appel désespéré, mais comme le sujet n’attend jamais que sa parole soit accueillie, aucune inscription ne se fait. Si l’auditeur, ici le lecteur, peut s’étonner de l’acuité des propos tenus, ils n’arrivent pas, pour le sujet à constituer un point de vue, d’où l’irréalité de sa pensée.

L’homme du sous-sol parle, c’est vrai, comme s’il était en thérapie. À cet égard, il est une démonstration éloquente de comment une thérapie ne se réduit pas à l’association libre. Essentielle comme méthode de travail, l’association libre présuppose la présence réelle d’un autre sujet, le thérapeute (infirmier, éducateur, psychologie, psychanalyste). À celui-ci de veiller à ce que le patient fasse un bon usage de cette méthode, afin qu’elle ne devienne pas la voie à une introspection stérile. Pour cela, le patient doit se sentir accompagné, soutenu et reconnu dans l’expérience exigeante, parfois désorganisatrice, qui est la découverte de l’inconscient.

La solitude extrême de l’homme du sous-sol est, fondamentalement, ce qui caractérise tous les personnages dostoïevskiens. Ce qui n’empêche pas Dostoïevski d’être, par excellence, l’écrivain de la rencontre. Certes, de la rencontre ratée, mais ce ratage révèle puissamment son envers : l’événement psychique qui aurait eu lieu si le personnage pouvait transformer son appel désespéré en désir d’être accueilli par l’autre, si le personnage acceptait le risque de se déloger de sa solitude pour vivre l’accomplissement qui accompagne la reconnaissance de sa dette, de sa dépendance à un autre sujet.

Demain: le plus grand pêché

Historique : Le 2 décembre 2008, à l’hôpital d’Antony, Nicolas Sarkozy, Président de la République Française, désigne comme potentiellement criminelles, en tout cas potentiellement dangereuses, toutes les personnes qui présentent des signes peu ordinaires de souffrance psychique. Dans le droit fil de ce discours, au 1 août dernier une loi dite des « soins sans consentement » est entrée en vigueur.

En d’autres termes, le gouvernement érige le trauma en projet de société. Mettre l’angoisse, le désir et la pensée à l’index est une nécessité inséparable de son modèle économique: le citoyen doit être un individu sans subjectivité, sans sensibilité, simple reproducteur anonyme des conditions de fonctionnement d’un système d’échange où il n’y a plus d’échange, qui produit le vide de sens dont la machine a besoin pour se perpétuer - et la princesse de Clèves peut aller se faire foutre.

Lors de la première manifestation appelée par Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire pour répondre à l’insulte faite à notre humanité par celui qui a fonction de Président, les patients ont inventé un mot d’ordre vite repris par les manifestants : Nous sommes tous des schizophrènes dangereux. C’est en réfléchissant sur le sens de cette proposition que je me suis dit qu’il serait bienvenu d’évoquer les enseignements que nous donnent la folie et les fous. Et j’ai pensé que revisiter le grand clinicien de la folie que fut Dostoïevski pourrait être une contribution à la lutte citoyenne contre l’application de la loi des « soins sans consentement » , lutte inaugurée et soutenue par Le Collectif des 39.

Cette démarche rejoint par ailleurs notre souci à nouer, ensemble, la prise en compte de l’inconscient, une pratique politique et le sentiment du monde qui nous est donné par la littérature et l’art en général.

Mon point de départ pour ce « feuilleton » a été l’idée que chez Dostoïevski, la grandeur ou la misère des personnages fondamentaux de l’œuvre accompagne la découverte qu’ils font de l’inconscient. Que les personnages soient construits à partir du trauma de la rencontre avec l’inconscient, est certainement une des raisons principales de leur pérennité. En nous appuyant sur ces personnages nous démontrerons que leur enseignement sur le trauma, le fantasme, la perversion, la folie nous apprend la vie vivante. Mon travail se concentrera sur deux textes Notes du sous-sol et Crime et Châtiment.

Pour plus d’informations sur Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire on peut consulter :

http://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=338

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