Billet de blog 26 octobre 2011

Heitor O'Dwyer de Macedo (avatar)

Heitor O'Dwyer de Macedo

Abonné·e de Mediapart

LES ENSEIGNEMENTS DE LA FOLIE (13) : Un feuilleton «dangereux"

Clinique de Dostoïevski : l’homme du sous-sol  l’expérience du meurtre Lorsqu’il arrive au bordel, l’homme du sous-sol est dans une scène de meurtre. Tuer ou être tué, le duel, les vêtements trempés de neige, l’agitation extrême, le visage répugnant. C’est comme cela qu’il rencontre Lisa, qui fait la prostituée, dans la pièce même où il pensait régler leur compte à ses anciens condisciples.

Heitor O'Dwyer de Macedo (avatar)

Heitor O'Dwyer de Macedo

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Clinique de Dostoïevski : l’homme du sous-sol

l’expérience du meurtre

Lorsqu’il arrive au bordel, l’homme du sous-sol est dans une scène de meurtre. Tuer ou être tué, le duel, les vêtements trempés de neige, l’agitation extrême, le visage répugnant. C’est comme cela qu’il rencontre Lisa, qui fait la prostituée, dans la pièce même où il pensait régler leur compte à ses anciens condisciples.

Deux heures après, pendant lesquelles il n’avait pas échangé un seul mot avec la femme qui est dans son lit, c’est-à-dire Lisa, il sort de sa torpeur. Il voit « clairement combien absurde et dégoûtante comme une araignée est l’idée de la débauche, qui commence brutalement, sans amour et sans pudeur, par ce qui couronne le véritable amour. » Il a la désagréable sensation de pénétrer « un sous-sol humide et moisi. »

Nous retrouvons ici le dégoût qu’éprouve Dostoïevski pour la sexualité, très précisément du sexe de la femme, et il remarquable qu’à ce dégoût soit associé ce par quoi il se définira 20 ans plus tard : le sous-sol. Notons aussi que Stravoguine, dans Les démons, voit une araignée au moment où la petite fille va se suicider.

Au moment où commence son dialogue avec Lisa, s’éteint la bougie qui illumine faiblement la chambre. Ils sont donc dans le noir. Dans le noir d’un sous-sol ? Plutôt dans le noir d’un tombeau, d’où l’homme du sous-sol parle du cadavre auquel il veut que Lisa s’identifie, le cadavre d’une prostituée. Pour cela, il fera bien les choses, il commencera par se présenter comme semblable à Lisa, je suis peut-être bien pis que toi, lui dit-il, afin d’obtenir son adhésion à ce qu’il lui dit. En fait, il essaye de toucher la corde sensible, il veut son secret et, pour cela, il a recours à la vérité. La vérité, ici, ce n’est pas un pont vers la rencontre. Ici la vérité n’est qu’un ingrédient d’une démarche de séduction pour asservir, pour, comme il dit, avoir raison d’une si jeune âme.

Mais pourquoi tout ce manège, pourquoi le déploiement de tant d’énergie ? Parce que à vingt quatre ans, celui qui deviendra plus tard l’homme du sous-sol n’est pas encore englouti dans la haine. Toujours capable d’ennui et d’angoisse, qui l’envahissent, pour s’en débarrasser il doit les déposer chez l’autre, Lisa en l’occurrence.

Voilà le trait qui signe la démarche perverse : faire porter par l’autre son angoisse. L’effort pour rendre l’autre fou, c’est l’acharnement que met le pervers pour noyer son proche dans le désespoir qu’il dénie et rejette. Le psychotique est le réservoir d’une telle déjection.

Les défenses de Lisa ne sont pas trop solides. Très vite une demande émerge : quelle jeune fille suis-je donc, susurre-t-elle. L’homme du sous-sol constate son avantage – il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’une conduite d’encerclement en vue d’une emprise sur l’autre. Pour étendre cet avantage il fera appel à l’identification, il racontera son enfance d’enfant abandonné. Il faut convenir que le marché proposé est alléchant : remplacer l’identification au cadavre par celle d’une enfant abandonnée. Pour cela il propose une passerelle, époustouflante d’intelligence et de finesse clinique : ce que, depuis Freud, nous connaissons comme l’ Œdipe féminin. Or, en faisant la description d’un père aimant il se propose, évidemment, à cette place. Et Lisa, émue, abandonne son secret : elle a été vendue par son père.» (Toutes les citations viennent de l’édition POL 1993, dans la traduction de J.W. Bienstock revue par Hélène Henry)

Demain, l’avant dernier épisode de l’homme du sous-sol : le pervers et son discours

Historique : Le 2 décembre 2008, à l’hôpital d’Antony, Nicolas Sarkozy, Président de la République Française, désigne comme potentiellement criminelles, en tout cas potentiellement dangereuses, toutes les personnes qui présentent des signes peu ordinaires de souffrance psychique. Dans le droit fil de ce discours, au 1 août dernier une loi dite des « soins sans consentement » est entrée en vigueur.

En d’autres termes, le gouvernement érige le trauma en projet de société. Mettre l’angoisse, le désir et la pensée à l’index est une nécessité inséparable de son modèle économique: le citoyen doit être un individu sans subjectivité, sans sensibilité, simple reproducteur anonyme des conditions de fonctionnement d’un système d’échange où il n’y a plus d’échange, qui produit le vide de sens dont la machine a besoin pour se perpétuer - et la princesse de Clèves peut aller se faire foutre.

Lors de la première manifestation appelée par Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire pour répondre à l’insulte faite à notre humanité par celui qui a fonction de Président, les patients ont inventé un mot d’ordre vite repris par les manifestants : Nous sommes tous des schizophrènes dangereux. C’est en réfléchissant sur le sens de cette proposition que je me suis dit qu’il serait bienvenu d’évoquer les enseignements que nous donnent la folie et les fous. Et j’ai pensé que revisiter le grand clinicien de la folie que fut Dostoïevski pourrait être une contribution à la lutte citoyenne contre l’application de la loi des « soins sans consentement » , lutte inaugurée et soutenue par Le Collectif des 39.

Cette démarche rejoint par ailleurs notre souci à nouer, ensemble, la prise en compte de l’inconscient, une pratique politique et le sentiment du monde qui nous est donné par la littérature et l’art en général.

Mon point de départ pour ce « feuilleton » a été l’idée que chez Dostoïevski, la grandeur ou la misère des personnages fondamentaux de l’œuvre accompagne la découverte qu’ils font de l’inconscient. Que les personnages soient construits à partir du trauma de la rencontre avec l’inconscient, est certainement une des raisons principales de leur pérennité. En nous appuyant sur ces personnages nous démontrerons que leur enseignement sur le trauma, le fantasme, la perversion, la folie nous apprend la vie vivante. Mon travail se concentrera sur deux textes Les Notes du sous-sol et Crime et Châtiment.

Pour plus d’informations sur Le Collectif des 39 contre La Nuit Sécuritaire on peut consulter :

http://www.collectifpsychiatrie.fr/?p=338

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.