Mon titre peut paraître un peu étrange, car du même que nous ne pouvons cesser de respirer sans mourir, ne nous pouvons cesser d’avoir une vie psychique envers et contre tout.
Certains nous assènent à longueur de média et de livres que nous serions qu’un assemblage de cellules, dénuées ou presque d’intériorité, pour d’autres, nos comportements seraient tous susceptibles d’être « rééduqués » via une thérapie comportementale ou corrigés par des médicaments.
Or, il faut le rappeler bien fort, nous avons TOUS une vie psychique et une intériorité, quand bien même on nierait farouchement le fait. Et ce n’est pas toutes les « preuves » scientifiques que l’on voudra bien nous donner du fondement uniquement biologique de telle ou telle maladie, qui nous pourra nous assurer du contraire, il n’est besoin que de se rappeler de la falsifiabilité de Popper, pour voir qu’un argument scientifique n’est jamais valable ad vitam aeternam. La science, comme la vie psychique, est en perpétuelle évolution et révolution.
Concernant la vie psychique, donc, elle imprègne chaque moment de notre vie, chaque instant de notre existence. Ainsi, quand nous souffrons dans notre corps, nous éprouvons également la souffrance dans notre psychisme et tout le monde peut témoigner que si cette souffrance, réelle, que nous éprouvons peut être entendu par quelqu’un, nous ressentons déjà un mieux- être, réel lui aussi.
Et que dire de la souffrance psychique et de nos émotions ? Eprouver une émotion, positive ou négative, c’est déjà se sentir en vie psychiquement. Les grands traumatisés psychiques se plaignent souvent de plus rien éprouver, car leur psyché, soumis à une trop grande sollicitation, semble ne plus être capable de traiter quelques émotions que ce soit. La vie psychique chez ces personnes parait parfois bien inerte, mais de même que leurs neurones, de par la plasticité cérébrale, ont des capacités de se réparer eux – mêmes, le psychisme de ces grands traumatisés peut revenir à la vie, pour peu que ces personnes rencontrent des soignants croyant au sujet et à son intériorité, et aux capacités auto-réparatrices du psychisme.
Il en est de même pour les diagnostics des maladies mentales. Si un diagnostic peut permettre de souffler un moment et de mettre un mot sur une souffrance, il faudrait s’interroger sur cette très nette tendance du monde contemporain à vouloir absolument psychiatriser tous les affects humains, et sur la nécessité pour un certain nombre de personnes à vouloir absolument recevoir une étiquette pour que leur mal –être soit jugé légitime.
En effet, dans le DSM V, mais aussi dans toute une mouvance de la psychiatrie contemporaine, on relève une très nette tendance à vouloir affubler d’un diagnostic médical, avec médicaments afférents, toutes les émotions ordinaires de l’existence. Bientôt, on ne va plus avoir le droit d’être triste après un décès ou une séparation, mais bien dépressif, quand ce n’est pas maniaco-dépressif (il faut se rappeler l’inflation de diagnostics de cette pathologie qui sévit depuis déjà un certain temps, avec un spectre de plus en plus élargi et de plus en plus de formes diverses qu’on se demande si tout le monde n’est pas peu ou prou « bipolaire »).
Et l’inflation également des diagnostics d’autisme, et particulièrement d’Asperger, est là aussi pour en témoigner. Il est presque « in » et « à la mode » dans certains milieux, comme chez les adultes surdoués, de se dire Asperger, comme si pour exister, avec leurs souffrances et leurs différences, ces adultes- là avaient absolument besoin d’une étiquette médicale pour exister et pour que leur mal – être soit reconnu et jugé légitime.
Qu’on me comprenne bien, il n’est absolument pas question pour moi de remettre en question l’existence de la douance chez ces personnes, ni de remettre en cause leur souffrance, ce que je critique c’est les solutions qu’ils semblent leur apporter.
Un diagnostic devant une maladie physique ou bien une difficulté de l’existence est souvent une étape nécessaire, et même parfois obligatoire. Mais ce n’est qu’une première étape et jamais un diagnostic, aussi assuré soit-il, n’a suffi à définir une personne dans son ensemble. J’ai souvent du mal avec des personnes qui se présentent aux yeux du monde, avant tout autre chose, comme, pour reprendre mes deux exemples, « bipolaire » ou Asperger. Pour quiconque s’intéresse au sujet et à l’intériorité des individus, la présence, avérée ou non d’une maladie, ne dit pas l’alpha et l’oméga d’une personne, la vie psychique est riche d’une multiplicité de facettes, qui dépasse souvent le cadre stricte de la maladie.
D’autant qu’un diagnostic n’est pas forcément valable pour toute la vie et que s’enfermer dans une identité prescrite de l’extérieur, c’est souvent se couper de toute possibilité d’évoluer ultérieurement. Il existe à présent un certain nombre d’ouvrages écrit notamment par des personnes autistes, bipolaires ou schizophrènes, où ceux-ci, sans nécessairement remettre en cause le diagnostic premier porté sur eux, ont décidé que leur vie ne s’arrêtait pas à ce diagnostic, qu’il ne résumait pas l’entiereté de leur être, et ont décidé d’aller de l’avant et de vivre malgré tout. Et pour certains, ils arrivent, après un long travail intérieur, à mener une vie à peu près normale, en tout cas où leurs troubles se sont stabilisés.
Et c’est cette étape-là, se pencher sur son intériorité et admettre que l’on a une vie psychique, qu’ignorent ou que veulent ignorer les personnes qui s’enferment dans un diagnostic, voire qui le brandissent comme un titre de gloire.
Assurément, admettre que notre comportement a, pour une grande part, des raisons qui échappent à notre conscient, peut heurter et froisser notre susceptibilité d’être pensant et rationnel. Ce n’est pas chose facile de mettre des mots sur ce qui nous fait souffrir ou de se rappeler des choses douloureuses. Mais cette mise en mots est une étape indispensable et obligatoire pour que, une fois toutes ces émotions exprimées, digérées et métabolisées (et non plus figées et enkystées dans le psychisme, bloquant toute possibilité d’évolution), la vie psychique se remette en route, ouvrant la voie à une vie où la maladie ne serait plus le tout de l’existence, mais où le sujet pourrait faire et assumer ses propres choix.
Un diagnostic de bipolarité ou d’Asperger, est d’une certaine façon, rassurant, la personne n’a plus à assumer la responsabilité de ses choix, faits et dires : ce n’est pas lui, c’est la maladie qui dit ou veut ça. Si on souffre, si l’on se sent bizarre ou différent, point n’est besoin de chercher à mettre cette singularité en mots, point n’est besoin de chercher ce qui fonde notre singularité de sujet, c’est-à-dire de personne unique, la réponse est toute trouvée : on EST Asperger ou bipolaire.
Ainsi donc, face à ce rétrécissement plus au moins volontaire de notre identité, face à cette négation et cette psychiatrisation de notre existence, mon plaidoyer pour une vie psychique, pour la reconnaissance de notre singularité en tant que sujet et individu unique, se voit tout à fait justifié. Mais ce n’est pas le chemin pris, semble-t-il, par notre société actuelle.