Monsieur Patrick Rambaud, de l'académie Goncourt, a écrit un petit livre, "Deuxième chronique du règne de Nicolas 1er", paru aux éditions Grasset, où il nous présente, en forme de divertissement, les gesticulations de "Notre Prince Fougueux", lesquelles nous rendent ordinairement l'humeur maussade, voire batailleuse. Grâce soit rendue à cet écrivain qui nous informe de la source des connaissances géopolitiques du chevalier de Guaino-qui enseigne à notre Président "la civilisation en même temps que l'art oratoire"- à savoir "les albums de Tintin auxquels il se référait sans cesse, afin d'y comprendre mieux le monde". Ceci est confirmé par notre polémiste en page 154.
Or, dans l'oeuvre de M. Hergé, "le Lotus Bleu"est parcouru du thème de la folie; on peut y lire une théorie de M. Hergé en matière de folie et des soins à apporter aux dits fous. Notre Omnipotent étant venu en un lieu de folie dire son avis sur cela, un certain 2 décembre, et donner quelques consignes bien senties à des professionnels polis, ce dont le lecteur pourra trouver traces et preuves en d'autres "contes de la folie ordinaire", il montra, de l'avis général, une ignorance à faire honte à n'importe qui d'autre. Voici quelques mots qui, telle une bouteille à la mer portée par des courants complexes, parviendront peut-être à notre Mirifique ami des banquiers, afin de tenter de l'instruire en quelques instants. Certes, l'Hyper occupé a reçu, peu de temps après ce funeste 2 décembre, quelques professionnels de la chose psy en son palais; ils sont sortis de l'audience tout éberlués: "sa Magnificence, entre deux SMS a semblé nous écouter"; c'était en effet inespéré. Mais peut-être insuffisant. Voici donc une adresse à notre Phare de la psychopathologie formatée: Monsieur le Président veuillez lire le Lotus Bleu, et en entier. Je m'explique.
Le Lotus Bleu aurait pu être sous-titré: "comment notre jeune héros, par son action résolue, a bouté hors de Chine, les impérialistes japonais, avec l'aide de sympathiques indigènes nommés "les fils du dragon"". M. Tintin, ce reporter infatigable, aux aventures invraisemblables mais époustouflantes, ressemble étrangement, dans cet album comme dans les autres, à notre héros national qui n'en finit pas de s'épater lui-même.
Entrons dans le vif de notre sujet. Dès les premières pages, un Chinois demande à rencontrer M.Tintin, et va lui parler lorsqu' il reçoit une fléchette empoisonnée- avec le-poison-qui-rend-fou, mais il a eu le temps de dire quelques mots à M.Tintin dont "Shanghaï" et "Mitsuhirato". Et que fait alors M.Tintin? Sans savoir pourquoi, il part pour Shanghaï. Comme l'illustre Enervé de l'Elysée, M.Tintin n'est pas du genre à lire "La princesse de Clèves" ni à penser à quoi que ce soit.
A Shanghaï, on tente de tuer deux fois M.Tintin (dont une fois à coup de narcotique, l'acte manqué du criminel nous surprend mais peu importe), un jeune Chinois lui sauve la vie par deux fois. Puis M.Tintin retrouve ce dévoué jeune homme lors d'un rendez-vous mystérieux; hélas, celui-ci, affecté aussi par le-poison-qui-rend-fou, veut lui couper la tête: "ensuite vous connaitrez la vérité" précise l'insensé. Comme il a perdu la tête et ignore grandement son infortune, voire s'en trouve bien aise, il veut débarasser M.Tintin de son chef afin de le libérer à son tour en un geste qu'il veut altruiste -ceci était une interprétation à la va-vite. Revenons à M.Tintin, il maitrise le fou furieux, le conduit à un policier auquel il s'adresse en ces termes: "Policeman, j'ai trouvé un fou... Pouvez-vous vous charger de lui?"
Arrêtons nous sur cette formule: "policier, occupez-vous des fous (et des tsiganes et des ouvriers immigrés et des lycéens- mais pas touche aux escrocs de la finance)", n'y retrouve-t-on pas le ton martial employé par le Mari de Carla, à tout propos, en singulièrement en un 2 décembre 2008? Il a dit alors que le fou était dangereux, que la folie était affaire de police et des collaborateurs divers de ladite police, que nulle affaire de police ne saurait être étrangère à sa compassion insatiable. C'est bien cela: l'Icône des commisariats a bien lu "le Lotus bleu". Mais il s'est arrêté à ce point de l'histoire de M. Hergé. Nous nous proposons, quant à nous, de continuer cette instructive lecture.
Cet album est titré "Le lotus bleu", du nom d'une fumerie d'opium qui s'avère être le repaire d'espions japonais qui sont aussi des trafiquants d'opium; et répétons que le poison-qui-rend-fou est un des fils rouges de l'album. Donc deux poisons qui rendent l'un peu fou et l'autre très fou. Poursuivons.
M.Tintin (page 24) est circonvenu par par le perfide espion japonais, M.Mitsuhirato, qui lui injecte, devinez quoi?, le-poison-qui-rend-fou. Mais la fiole maléfique (contenant le poison) a été subtilisée peu avant par un Chinois, membre des "Fils du dragon" et remplacée par de l'eau. Bien joué! Est ainsi mis en échec l'impérialiste japonais qui veut éliminer ses ennemis par l'assassinat, l'opium, par le-poison-qui-rend-fou ou par la propagande éhontément menteuse. Y aurait-il un côté Mitsuhurato chez le Président de La France et de France Télévision, ami attentionné des propriétaires de chaines privées?
Et puis M.Tintin qui était venu à Shanghaï sans but, qui s'apprêtait à affronter les Japonais, change maintenant de direction. Il s'adresse à la maman éplorée du jeune Chinois devenu fou: "Courage madame...demain j'irai à Shanghaï et je ferai analyser le poison qui a fait perdre la raison à votre fils. Peut-être, qui sait?, pourra-t-on le guérir." On croit entendre quelque propos de notre Président, mâchoires serrées et épaules sautillantes: "on vous va vous en débarasser, Madame, de la racaille, et au kärcher!". Affirmer pérempoirement la force magique de sa volonté en ignorant la réalité, c'est tout Sarkozy, c'est tout Tintin.
Après quelques rebondissements, voici Messieurs Dupond et Dupont, deux détectives bien connus, qui ont pour mission d'arrêter Tintin en territoire chinois. Les policiers sont ici des rouages stupides d'une machination diabolique, voila qui pourrait heurter les convictions du Grand réprimeur. Déguisés en Chinois de façon grotesque, ils arrêtent donc M.Tintin, le remettent à un commissaire de police auquel ils remettent leur ordre de mission rédigé en chinois. Surprise!, le commissaire libère M.Tintin et met les deux policiers à la porte. C'est que le facétieux M.Tchang, nouvel ami de M.Tintin depuis qu'il fut sauvé des eaux par lui, a changé la missive originelle par celle-ci: "Au cas où vous n'auriez pas remarqué que nous sommes deux fous, en voici la preuve officielle".
Là, il est difficile de trouver quelque analogie dans l'histoire récente, sauf peut-être l'équipée grotesque des services secrets français en Nouvelle Zélande où ils coulèrent le navire de Greenpeace, le Rainbow Warrior, et tuèrent un photographe portugais. Non, là il s'agissait d'assassins.
A la fin, M.Tintin a gagné sur toute la ligne: il a permis qu'un antidote au poison-qui-rend-fou soit trouvé, que le jeune Chinois retrouve le sens commun, que l'armée japonaise quitte la Chine, que le complot militariste japonais soit dévoilé au monde, que le Japon humilié quitte la SDN, que M.Tchang sauvé des eaux trouve une famille adoptive aimante.
Pour M.Hergé, parlant aux enfants de l'après-guerre , la folie est donc due à un poison; il faut trouver un contre-poison et la guérison est là.
De nos jours, héritiers de cette sympathique idée, certains psychiatres affirment que la folie est toute due à un des dérèglement au niveau neuromédiateurs, qu'il faut un médicament ad hoc qui vous règule tout ça; il n' y a plus ensuite qu'à trouver un appartement thérapeutique et voila. Conception un peu limitée mais qui est plutôt gentille.
La pensée scientifique de M.Sarkozy et de ses amis est tout autre. Il estime que la folie est affaire de déterminisme génétique qu'il faut la détecter dès la crèche, la surveiller, l'évaluer (comme il faut évaluer toute chose, il faut évaluer tout être humain-non-milliardaire),l'enfermer, le laisser enfermé pour une durée indéterminée. Décidément la pensée naïve de M. Tintin est plus élaborée que celle de M. Sarkozy. Si sous l'influence de Reine Carla, belle à milliards, ou du sieur de Guaino, notre Agité ne venait à modifier quelque peu son "idée"concernant les choses de la folie, nous serions obligés de voir en lui une réplique de M. Mitsuhirato plutôt que de M. Tintin. Ce qui serait fâcheux.
Pascal Boissel