Billet de blog 29 mai 2011

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lucile longre

photographe et écrivain

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Peut-on parler d'une aliénation dans l'acte créateur ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans la suite de votre question, Silence, sur une aliénation thérapeutiquement utile, j'en viens à me poser la question sur l'aliénation dans l'acte créateur et s'il existe une aliénation artistiquement utile.

En effet, le modèle de l'artiste comme modèle de possesion par l'inspiration, ou comme modèle d'enthousiasme au sens propre, c'est- à -dire possédé par les dieux, est un modèle fréquent et fréquement utilisé. Mais ce n'est pas pour cela qu'il soit faux. Bien souvent, les artistes ont dit qu'ils ne s'appartenaient plus dans l'acte créateur, que cela leur inconscient soit directement sollicité, comme dans l'écriture automatique ( qui n'est pas si automatique qu'on a bien voulu le dire) pratiquée par les surréalistes, ou bien qu'il agisse de façon plus souterraine et détournée. L'artiste, lorsqu'il crée, n'est plus l'homme de tous les jours, mais au contraire quelqu'un qui sollicite la décantation de tout ce qu'il a pu vivre et penser jusqu'à maintenant, il sollicite des mécanismes particuliers de son esprit et des ressentis particuliers de son corps et de son esprit, qui ne sont pas ceux auxquels il a recours dans sa vie quotidienne.

Le surgissement créateur nécessite un état d'esprit et une disponibilité du psychisme, en même temps qu'un état du corps spécifique, l'artiste ne peut créer souvent qu'à des moments particuliers, et parfois selon un rituel précis, comme les écrivains qui sont à leur table d'écriture à des moments précis de la journée, qu'ils réussisent à écrire ou non, ou les certains peintres qui ne peignent que la nuit. Comme je le disais dans le commentaire du billet de Silence, souvent les créateurs disent éprouver le sentiment d'exister réeellement ou un sentiment d'existence décuplée au moment où ils créent. Et ce sentiment peut être , paradoxalement dû au fait que pendant ce moment, ils ne s'appartiennent pour ainsi dire plus.

En effet, ce sentiment peut résulter, comme le dit Marie- Thérèse, du souvenir de l'unité psychomatique, souvenir des relations précoces mère -bébé, que l'artiste s'efforcerait alors, inconsciemment, de retrouver.Cet état de satisfaction extrême, de sentiment d'existence décuplée, peut aussi se rapprocher de l'état de transe vécu notamment par les chamanes dans les sociétés traditionnelles. Dans ces sociétés, le chamane dans sa pratique de guérison notamment, fait appel, par l'intermédiaire de plantes psychotropes ( Amérique par exemple) ou de rituels particuliers ( comme l'usage hypnotique du tambour en Mongolie), à des capacités spéciales de leur esprit ainsi qu'à des puissances surnaturelles de leur culture. Dans cet état, les chamanes ne s'appartiennent plus mais sont le réceptacle et le messager de ces puissances surnaturelles et c'est grâce à ce qu'ils apprennent durant ce voyage intérieur qu'ils peuvent soigner, grâce à leurs visions et l'expérience intérieure qu'elles leur procurent.

L'artiste , à mon avis, peut aussi expérimenter un état de transe au moment de l'acte créateur et faire appel à des resources cachées et inconscientes dont, précisémment, il n'a pas conscience. Il expérimenterait alors une sorte de transe laïcisée, et serait alors, au sens propre, enthousiaste, c'est à dire possédé par les dieux. Il expérimenterait donc une espèce d'aliénation artistiquement utile, en ce sens, où il ne serait plus un individu ordinaire dans le cours ordinaire de savie, mais ferait appel à des ressources insoupçonnées de l'esprit humain et ferait l'expérience d'un état mental et corporel très particulier, qui plongerait ses racines aussi bien dans son histoire infantile que dans tout ce que lui ou la société à laquelle il appartient a pu vivre. IL deviendrait alors une sentinelle ou un témoin de ce que la société de son temps pense et ressent et ne serait plus limité à son individualité propre. Il deviendrait pour reprendre une expression philosophique, un symbole de l'esprit du temps, une manifestation des tensions, rêves et désirs inconscients et cachés de la société dont il est contemporain.

Peut-on dès lors vraiment qualifier d'aliénation cette expérience intérieure et ce statut de l'artiste dans la société ? La queston reste ouverte, j'attends vos commentaires. Et pour donner un peu de corps à ce que je dis, je vous mets en lien une vidéo que j'ai faite et qui montre bien, à mon avis, ce que je dis de l'expérience intérieure.

http://www.youtube.com/watch?v=YEjU-U6XcOw

Amitiés,

Lucile

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