« Il existe une différence fondamentale entre l’action climatique et la justice climatique. Il existe une différence fondamentale entre [un réchauffement de] 2°C qui pourrait signifier la fin, et [un réchauffement] de 1,5°C qui constitue notre unique chance ». Ce message est le cri du cœur d’une jeune activiste des îles Samoa, prononcé lors de son discours à l’ouverture de la COP26[1]. La demande pressante de rehausser l’ambition et de reconnaître le besoin croissant d’assistance aux victimes des changements climatique est partout : des salles de négociations aux événements parallèles, en passant par les rues de Glasgow, qui ont vu plus de 100.000 personnes défiler à l’occasion d’une importante manifestation organisée en marge du sommet climat. Ces demandes ne sont pas nouvelles, mais elles deviennent de plus en plus criantes de réalité. Partout dans le monde, des populations sont frappées par les conséquences du dérèglement climatique, les communautés et personnes les plus vulnérables en payant le prix fort. Pourtant, beaucoup craignent de voir encore une année s’écouler sans accord suffisamment ambitieux pour réduire drastiquement les émissions mondiales.
Première demande : une réduction drastique des émissions
En amont de toute demande de compensation et d’assistance, les pays à moyen et faible revenu exigent en priorité que les pays riches, les plus gros contributeurs à la crise climatique, réduisent drastiquement leurs émissions. De nombreuses délégations des pays du Sud, petits Etats insulaires en tête, ont pris la parole en ce sens. Les délégations de Tuvalu, Antigua et de Barbade ont fait une demande commune exigeant la mise en place d’une commission légale, qui offrirait la possibilité de réclamer des dommages et intérêts aux principaux pays pollueurs par voie judiciaire, tels que le Tribunal international du droit de la mer des Nations Unies[2]. Le Forum des pays vulnérables (Climate Vulnerable Forum, en anglais) a également adopté une importante déclaration en ouverture de la COP26 demandant, entre autres, un rehaussement annuel des ambitions climatiques afin que les Etats, les plus gros émetteurs en premier lieu, adoptent à court terme des trajectoires compatibles avec l’Accord de Paris[3].
Pertes et préjudices : de quoi parle-t-on ?
Apparu il y a plusieurs décennies comme un plaidoyer relativement méconnu de la part des petits États insulaires, le concept de pertes et préjudices[4] (loss and damages, en anglais) est désormais reconnu comme le troisième pilier de la politique climatique internationale, après l'atténuation et l'adaptation. Mais transformer ce concept en quelque chose de plus tangible pour les pays qui subissent de plein fouet les conséquences des conditions météorologiques extrêmes ou de la montée des eaux s'est avéré plus délicat. En effet, à l’heure actuelle, les communautés victimes de ces conséquences extrêmes, que ce soient des inondations, des typhons ou des sécheresses de longue durée, n’ont reçu aucun support structurel dans l’enceinte des négociations climatiques. Cette absence de soutien est considérée par beaucoup comme une injustice profonde, sachant que celles et ceux qui sont affectés le plus violemment sont les moins responsables du dérèglement climatique. S’il existe certes des mécanismes chargés de traiter ces questions (notamment le Mécanisme de Varsovie, adopté lors de la COP19, et le Réseau de Santiago, adopté lors de la COP25) ils restent encore largement insuffisants et ne sont pas assez opérationnels pour répondre aux besoins urgents du terrain. Face à ce constat d’inertie dans les négociations internationales et dans un contexte d’événements climatiques extrêmes de plus en plus en fréquents et violents, le réseau international d’ONG Climate Action Network, dont le CNCD-11.11.11 est membre, a fait des pertes et préjudices son thème prioritaire pour la COP26[5].
Un besoin urgent de financement
Une demande fondamentale et prioritaire pour de nombreux acteurs suivant les négociations climatiques à Glasgow est la demande de mise en place d’un financement additionnel pour les pertes et préjudices. Il est ainsi demandé que le soutien aux pertes et dommages soit augmenté de manière significative en plus de la réalisation des promesses adoptées dans le cadre du financement climat international. Ce soutien doit être fourni sous forme de dons afin que la prise en charge des pertes et dommages n'augmente pas le niveau d'endettement et de pauvreté des personnes, des communautés et des pays qui sont déjà simultanément aux prises avec de multiples crises.
Cette discussion est bien sûr intimement liée aux négociations en cours sur le financement climat international, plus précisément à l’enjeu d’adoption d’un nouvel objectif pour la période à partir de 2025. Les négociations à ce sujet ont débuté à la COP26 et devraient continuer (et idéalement aboutir) à la COP27 en 2022. Un point essentiel de ces négociations est le fait que le nouvel objectif financier devrait reposer sur des sous-objectifs précis en matière d’adaptation, de financement public… et de pertes et préjudices.
Malgré l’urgence de l’enjeu, de nombreux pays développés, dont l’Union européenne et les Etats-Unis, restent encore opposés à la création d’un bras financier additionnel pour les pertes et préjudices et ont tendance à vouloir intégrer la question des pertes et préjudices dans les négociations sur l’adaptation. Or, les questions d’adaptation et d’assistance aux victimes, bien que liées, sont deux sujets différents et doivent être traités séparément.
« Aucune responsabilité ni indemnisation »
Un élément important de discussion est l’existence du paragraphe 51 de la décision d’adoption de l’Accord de Paris, référant à l’article 8 de l’Accord de Paris qui porte sur la question des pertes et préjudices. Ce paragraphe spécifie que « l’article 8 de l’Accord ne peut donner lieu ni servir de fondement à aucune responsabilité ni indemnisation ». Son existence constitue un défi important pour les questions de support et de soutien financier et complique les négociations sur le sujet. C’est notamment pour cela que la judiciarisation du combat pour la justice climatique, notamment sur le volet des pertes et préjudices, constitue un levier parallèle important dans l’assistance aux victimes climatiques[6].
Quelles avancées ?
On peut constater des avancées sur le dossier à plusieurs niveaux. Tout d’abord, il est clair que la question des pertes et préjudices a clairement intégré le narratif général des négociations climatiques et est devenu particulièrement visible. On le constate tant dans l’enceinte des négociations qu’en dehors, au niveau médiatique et citoyen. Par ailleurs, la demande de reconnaître un financement additionnel pour les pertes et préjudices n’est plus une utopie : la Première ministre écossaise, Nicola Surgeon, a annoncé à l’ouverture des négociations qu’un financement additionnel d’un million de livres (1,4 million USD) serait alloué pour les pertes et préjudices[7]. Cette annonce ouvre la voie pour d’autres pays développés et prouve que des pas dans cette direction peuvent être faits. Cependant, au-delà des annonces et des engagements individuels, la demande centrale reste de pouvoir adopter un mécanisme efficace et transparent pour permettre un financement structurel et adéquat pour les pertes et préjudices.
La réalité des victimes doit passer la porte de négociations
Derrières les chiffres techniques et les discussions complexes des négociations climatiques, il est important de rappeler que des milliards de vies humaines sont en jeu. Les victimes des changements climatiques nécessitent que des ressources additionnelles et accessibles soient dégagées et qu’un soutien clair et prévisible soit mise en place. Une première étape claire serait d’inclure ces questions dans la décision finale de la COP26. Une autre étape serait de faire des pertes et préjudices un point fixe de l’agenda, permettant ainsi d’avoir des discussions annuelles sur le sujet. Ce signal fort permettrait de rétablir la confiance entre les différentes parties présentes. Cela permettrait également de reconnecter les négociations climatiques internationales avec la réalité de la crise climatique et de ses victimes.
Rebecca Thissen.
[1] https://www.youtube.com/watch?v=3HZ5xS5J9Go
[2] https://unfccc-cop26.streamworld.de/webcast/antigua-barbuda-tuvalu
[3] https://thecvf.org/our-voice/statements/dhaka-glasgow-declaration-of-the-cvf/
[4] Voir en particulier notre étude V.Rigot (2013), « Pertes et profits sur le climat. Quelle assistance aux victimes ? » : https://www.cncd.be/Pertes-profits-sur-le-climat
[5] https://climatenetwork.org/cop26/cop26-must-deliver-on-loss-and-damage-finance/
[6] Voir à ce sujet notre étude : R. Thissen (2021), « La justice au secours de la planète ? », CNCD-11.11.11.
[7] https://www.climatechangenews.com/2021/11/03/scotland-breaks-loss-damage-taboo-raising-hopes-others-will-follow/