À l’approche de la COP26, je m’y attends.
Les entendre à nouveau. Les chiffres. Les courbes.
Les activistes qui interrompent le énième sommet pour demander une énième fois : mais avez-vous vu ces chiffres ? Avez-vous vu ces courbes ?
Les médias qui dépeignent un tableau plein d’antagonismes : la science, et en face, les inconscients, les irresponsables.
Peut-être une tribune signée par des scientifiques, qui diront que tout s’aggrave. Leurs voix qui éclatent sans résonnance : elles reviendront l’année prochaine dire encore.
Une boucle sans fin, dans ce monde qui chérit une écologie purement rationnelle, une vision du monde dans laquelle règne la raison de la science et dans laquelle pêchent celles et ceux qui ont un rapport sensible aux choses, qui n’entendent pas gagner des batailles avec des arguments techniques, qui pensent que ressentir est l’important.
Une écologie qui barbe et ennuie la moitié d’une génération qu’on dit « engagée ».
Une écologie qui permet de réserver les discussions à une élite d’experts, de renvoyer le peuple à son ignorance de toujours. De réunir des COP et des congrès, de se lamenter qu’il ne s’y passe rien. De vulgariser les effondrements, les drames, les chutes. De raconter le futur, les enfants, l’avenir des autres.
Sans jamais parler de nos vies. Du présent. De nous.
Nos mots, nos désirs, nos rêves. Comment ils peuvent s’encastrer dans une lutte contre la destruction. Comment nous pouvons faire autrement qu’avec des lois ou des mesures. Comment changer le reste qui paraît si loin de ça et qui ne l’est pas : apprendre à se parler, à ne plus dépendre, à tisser du commun.
Mais l’écologie, c’est la science. Il y a quelques temps, alors que je discutais, un homme m’a dit : « mais tu te renseignes ? Parce que c’est sérieux ce sujet ! C’est technique. »
Non monsieur. Je vis. J’espère. J’ai peur. Et comme bien d’autres, je sens bien, que nous pouvons faire mieux.
L’écologie n’est pas une science. Elle n’est que ce qu’on s’approprie d’elle, ce qu’on décide d’en faire. D’abord dans nos têtes, chacune, chacun, puis collectivement. Collectivement, ça ne veut pas dire tous ensemble. Il s’agit de choix. Et il est temps de faire le deuil des choix univoques, des cœurs qui battent à l’unisson dans la même direction. Certain·es choisiront un chemin, d’autres. À quoi bon s’acharner à convaincre à tout prix ceux qui n’ont pas les mêmes moyens de locomotion vers l’idéal, ceux qui ne pourront pas emprunter notre voie, ceux qui la détruiront s’ils la suivent avec nous ?
Laisser les gens faire le choix. S’émanciper. Permettre aux bons outils de se répandre : l’éducation populaire, la solidarité, l’écoute. L’empathie.
Car forcer la voie sera contradictoire avec nos désirs et nos espoirs. Embarquer sous pression, entraîner avec la force. Qu’est-ce que l’on gagne, si les corps suivent mais pas les têtes ? Un devoir de surveillance constant ? L’infantilisation ? Le risque de perdre notre fin dans les moyens ?
Faire les choix, c’est d’abord les montrer au grand jour. Ça veut dire, ne pas retirer la substance politique de ce choix. Trop souvent, les choses sont assénées, même au sein de nos rangs écologistes, comme s’il y avait une vérité et des torts. C’est vrai pour une partie : la science ne ment pas. Mais la science occulte qu’il y a des intérêts divergents. Des bases de raisonnement différentes, des choix de traiter des sujets ou de les laisser s’oublier. Comme le formule si bien le collectif Désobéissance Ecolo Paris « ce qui devrait être un choix de vie collectif devient une empoignade sur des chiffres ». Des chiffres que l’on récite presque dans notre sommeil à trop les entendre martelés.
La question d’après est fondamentale : qu’en fait-on ? Comment s’en saisit-on, et qu’est-ce qu’ils brandissent au-delà d’eux-mêmes ?
Présenter un tableau de raison et de torts, c’est dépolitiser le choix. Résumer la chose au bien et au mal, c’est empêcher d’appréhender la complexité de cet enchevêtrement de volontés, de dominations, de possibles. C’est encore dire qu’il est question de prise de conscience et d’ignorance. C’est clore une discussion sur notre prise sur le réel.
Dire que l’écologie se résume à une réduction d’émission carbone, c’est la laisser à un groupe techniciste, pragmatique, fondamentalement opposé à un sensible qui sauve, lui, plus qu’il ne détruit. C’est laisser le monopole des questions à poser, le monopole du déroulement de l’histoire à une seule paire de lunettes.
Il n’y a que des idéologies. Il n’y a qu’un choix des priorités. Ne pas le reconnaître, c’est occulter des rapports de force et des intérêts divergents. C’est se faire plus bête qu’on ne l’est.
Il n’y a que des idées, des choix, des courants qui nous entraînent. Des décisions qui impliquent des changements comme dans une chaîne de dominos ou l’arbitrage qui permet de fermer les yeux et s’endormir comme hier. Un enchaînement que l’on accepte pour un sursit d’opulence ou des ailes, qui peuvent nous envoler là où l’on n’a pas encore pensé. Là où tout reste à imaginer.
Il ne s’agit pas de prise de conscience. Il s’agit de choisir ce qu’on fait de notre propre vérité, et comment se le permettre. Il s’agit du comment mais surtout du pourquoi. Du pour qui.
L’écologie comme une matrice. Pas comme un thème. Pas comme une couleur. Pas comme des peurs.
Comme une manière de se réapproprier nos destins communs.