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Billet de blog 10 septembre 2008

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Je vis avec Raymond, je meurs avec Raymond

Mon soutien à Raymond Domenech n'est pas une posture, puisque j'avais déjà exprimé ma sympathie envers le coach honni de tous à la fin de l'Euro. Je précise aussi que mon point du vue est aussi minoritaire chez les journalistes footeux de Mediapart, et qu'il est donc une invite au débat, parfois aussi provocatrice que les attitudes de not' Raymond-la-défiance...

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Illustration 1

Mon soutien à Raymond Domenech n'est pas une posture, puisque j'avais déjà exprimé ma sympathie envers le coach honni de tous à la fin de l'Euro. Je précise aussi que mon point du vue est aussi minoritaire chez les journalistes footeux de Mediapart, et qu'il est donc une invite au débat, parfois aussi provocatrice que les attitudes de not' Raymond-la-défiance...

Comme attendu, après l'échec du lobbying France 98-RMC-TF1 pour imposer Didier Deschamps à la tête du Onze de France, Raymond-la-défiance a été mis sur la sellette en même temps qu'il a été paradoxalement confirmé dans ses fonctions.

Depuis la défaite en Autriche, c'est donc l'hallali. Entendu ce mercredi matin sur France Inter : «Si Domenech ne gagne pas largement contre la Serbie...» Incroyable et malsaine personnalisation du jeu de football, le déchaînement médiatique unanime laisse pourtant de côté l'essentiel: une bataille d'Hernani pour la direction de la Fédération française de football. Les "classiques" défendent le foot amateur et la formation maison d'entraîneurs (dont Domenech est le dernier rejeton), les "modernes" prônant un rapprochement avec la Ligue professionnelle et un sélectionneur conforme aux attentes des médias et sponsors (un ancien champion du monde).

Domenech doit partir, et tous les prétextes sont bons. Même les plus grotesques. Comme il l'a justement remarqué sur RTL lundi soir, il est fort amusant de voir les mêmes qui insultaient le sélectionneur après l'Euro pour ne pas avoir retenu Mexès, transformer en victime expiatoire le même classieux défenseur romain. À la rue face aux monstres autrichiens sur coups de pied arrêtés, est-il d'un coup devenu un piètre arrière? Quant à Malouda, auparavant conspué par tous, il est devenu martyr injustement renvoyé dans les tribunes.

Perso, rien ne me dérange chez Raymond. Son attitude irascible en conférence de presse nous change tellement des phrases vides de sens («l'enjeu prime sur le jeu»). Sa demande en mariage incongrue nous a offert un peu de tendresse humaine dans un monde de brutes. Ses provocations, pour irritantes qu'elles puissent être, révèle un caractère qui me plaît, celui d'un ancien défenseur bourrin engagé à gauche, devenu théâtreux la tête dans les astres. Doit-on rappeler ce que pensaient presse et opinion de Mémé Jacquet, entre 94 et 98?

Jacquet héritait d'une équipe en reconstruction, avec laquelle il ne pouvait pas faire pire qu'avant. Domenech doit lui gérer un héritage victorieux (même si c'était il y a dix ans), et cherche sa nouvelle génération dorée, sous pression. Gourcuff pourrait être son Zidane, le droit à l'erreur en moins.

Domenech n'aurait plus aucune chance de sauver sa tête, réussissant le tour de force de réunir contre lui une presse désireuse de régler enfin ses comptes avec lui, comme l'opinion publique. Cette synthèse des mécontentements, après seulement un match d'une campagne de qualification où l'incertitude promet d'être reine (la Roumanie n'a-t-elle pas perdu à domicile contre la Lituanie?), masque le problème essentiel des Bleus.

Quel système de jeu et quels joueurs?


Poser cette question (soigneusement évitée par les critiques, obnubilées par le seul départ de Raymond) est la seule façon de ne pas donner raison à Kondratieff et sa fichue théorie. Parce que là, on n'est pas loin de replonger dans le cycle pénible des années 87/94. Époque Gérald Passi, Philippe Fargeon, Jeff Durand, Basile Boli, Frank Sauzée, Pascal Vahirua et autres souvenirs cultes à pleurer...

Illustration 2

Pas sûr que, borduré par Escalettes et secondé par Boghossian, Domenech ait les mains libres pour procéder au nécessaire aggiornamento de l'ère post-Zidane. Doit-on renouer avec un style de jeu tournant autour d'un n°10 créateur? Doit-on se passer de Thierry Henry, devenu surnuméraire en attaque, où il marche sur les pieds de toutes jeunes pousses essayant d'évoluer à ses côtés, comme l'Espagne s'est passé de Raul ou Jacquet de Cantona? Doit-on sacrifier les joueurs qui ne se battent pas sur le pré, ou espérer que la charmante indolence de la jeunesse se transforme peu à peu en collectif redoutable et efficace?

Cela supposerait de laisser du temps et de la sérénité au sélectionneur. Mais depuis que la France est entrée dans le club fermé des champions du monde, le romantisme des années Platini a laissé sa place à la déraison et à la surmédiatisation folle que l'on rencontre habituellement dans des pays comme l'Italie, l'Argentine ou le Brésil. Devenu grande puissance du ballon, l'Hexagone a logiquement hérité des mauvais réflexes des pays latins, où football rime avec opium du peuple.
Alors, quel futur pour les Bleus? Évidemment, on ne verra jamais la belle équipe de grandes gueules aux inspirations géniales dont on rêve secrètement (Savidan, Leroy, Pagis, Jurietti), qui serait naturellement entraînée par Cantona (ou Frédéric Antonetti).

Mais pourquoi pas un modèle à l'Espagnole, façon 4-6-0? Une tripotée de jeunes lutins créatifs dans l'entre-jeu (Ben Arfa, Nasri, Valbuena, Ribéry), un attaquant "à la Torres" qui part dans le dos (le Anelka des débuts), ou dont on est sûr qu'il frappe fort et plante une fois sur trois (Anelka, Cissé, Hoarau), un milieu déf' "à la Senna" qui bétonne et sait jouer vers l'avant (Bodmer, Luccin) et une défense de guerriers aux cheveux longs (façon Puyol) qui préfèreraient bouffer un rat que de prendre un but sur coup-franc (bon là, à part Givet ou Walemme, j'ai pas les noms). Pour garder les buts, Mandanda ferait un parfait Casillas.

Il est facile de tomber sur Domenech, mais il serait plus utile de s'interroger sur le devenir possible du jeu français, avec ou sans l'actuel sélectionneur.