Billet de blog 29 novembre 2021

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Covid et Politique : la stigmatisation de la critique

Dans un article écrit un ans après le début de syndémie de covid, Jean-Pierre Boudine, dans un texte que nous reproduisons ici, soulève les problématiques que pose la stigmatisation récurrente des discours critiques des politiques covidiennes officielles comme "d'extrême-droite". Nous prolongeons son texte de quelques remarques supplémentaires invitant à l'approfondissement de ces questions.

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Nous reproduisons ici le texte de l'article original Covid et Politique, publié le 7 mars 2021 par Jean-Pierre Boudine sur le club de Médiapart. Nous prolongeons son texte de quelques réflexions invitant à l'approfondissement de ces questions, qui nous semble essentielles.

Jean-Pierre Boudine :

La guerre, c'est la paix, l'ignorance, c'est la force, le bon sens c'est l'extrême-droite.

Il semble qu’en première et très grossière approximation, la surenchère en faveur des mesures contraignantes, fermeture des bars et des restaurants, des centres culturels, des universités, des salles de sport, le fait d’envisager des obligations de vaccination, le dénigrement méprisant des efforts de traitement, soient des opinions de gauche.

L’attitude opposée est d’extrême-droite. Ainsi, lorsqu’ une dépêche AFP évoque des manifestants qui, en Autriche, soutiennent que : Lorsque les mesures qui sont prises ont pour conséquence de mettre près d’un million de personnes au chômage ou en congé, cela détruit les gens sur le plan économique, ce qui aura évidemment des conséquences à long terme pour les familles et pour les enfants qui y vivent, c’est sans doute sous l’influence des néo-nazis.

Gauche, extrême droite ? Où sont passées les opinions de centre droit et de droite ? Il suffit de demander aux amis de Macron, ou à ceux de Xavier Bertrant, d’Eric Ciotti : ils sont avec la gauche, pour davantage de mesures « protectrices ».

Il y a des voix discordantes, qui n’intéressent qu’une minorité de désaxés. Je me penche ici sur une personnalité que j’ai eu le bonheur de fréquenter à l’occasion des rencontres « jeunes, sciences et citoyens » au futuroscope de Poitiers lorsque nous préparions[1] cet évènement annuel, sous la direction d’Edgar Morin, je veux parler d’Hervé Le Bras, historien et démographe.

Il a publié dans le journal « Le Monde » du 9 février une tribune assez « savante », à laquelle sans aucun doute la plupart des commentateurs n’ont rien compris. En voici quelques extraits :

En 2020, le nombre des décès a augmenté de 7,3 % en France. Les personnes les plus âgées ont été particulièrement frappées par l’épidémie de Covid-19. Selon l’Insee, au cours de la deuxième vague, la mortalité a augmenté de 19 % entre septembre 2020 et janvier 2021, pour celles qui sont âgées de plus de 75 ans.

Selon Santé publique France, le site officiel du ministère, de la mi-mars 2020 à la mi-janvier 2021, 59 % des personnes décédées pour cause de Covid-19 étaient âgées de plus de 80 ans alors que cette classe d’âge ne représente que 6 % de la population totale. Ces données ont pesé dans les décisions prises par le gouvernement pour combattre l’épidémie.(…). Comment 7,3% de décès supplémentaires entraînent-ils seulement 0.7% de baisse d’espérance de vie (0,55 ans sur 82,5 ans) ? Cela est dû au niveau élevé des risques annuels de décès des personnes âgées[2] auxquelles il reste donc peu d’années à vivre (…).

Le risque de décès d’une personne âgée de 75 ans est devenu le même que celui d’une personne de 75,6 ans quand le Covid-19 ne sévissait pas (…). Dans le détail cela signifie que les risques de mortalité ont à peine varié jusqu’à 65 ans. (…) Le risque de décès courru par une personne de 82 ans en 2020 a donc été le même que celui d’une personne de 82,7 ans en l’absence de Covid 19(…).

Ces calculs nuancent la gravité de l’épidémie, ils aboutissent à un paradoxe : la crainte engendrée par le virus semble en relation inverse de sa létalité »

Cette dernière phrase prouve à l’évidence qu’Hervé Le Bras est un complotiste d’extrême-droite.

Et moi aussi. C’est comme ça ! Je dois regarder la réalité en face !

Vouloir que les étudiants retournent à l’Université, que les amoureux se marient, qu’on visite les vieux dans les EPHAD, que les sportifs, les danseurs, les musiciens, puissent pratiquer, qu’on puisse boire une bière (et aller pisser) dans un bar, bouffer dans un restau, travailler avec ses collègues (et pas seulement à la maison) c’est être d’extrême-droite, complotiste, rassuriste, révisionniste …

On est chez Big Brother : la guerre, c’est la paix, l’ignorance, c’est la force, le bon sens, c’est l’extrême-droite.

Avec de tels cadeaux faits à l’extrême-droite, qui croyez-vous qui gagnera l’an prochain ?

Ut pictura philosophia :

En effet, qui gagnera l'an prochain? La question n'est pas seulement celle, particulière, de l'élection présidentielle prochaine, mais de l'avenir des orientations politiques de la base sociale historique de "la gauche". Cette base sociale, populaire, la gauche ne cesse de la perdre. Seuls les Insoumis essaient d'en garder un certain contact, mais malheureusement, sa direction semble tiraillée et surtout faible dans ses résolutions, si bien qu'elle se retrouve souvent à porter un discours ambigu et tiède.

D'un autre côté, ne devrions-nous pas nous habituer, si nous voulons évoluer vers la démocratie, à ce que les lignes de fractures politiques au sein de la société soit mouvantes selon les questions considérées ? Pourquoi devrait-on chercher la construction de blocs politiques homogènes et monolithiques ? Ne peut-on pas être d'accord, sur certains sujets, avec des forces politiques par ailleurs "ennemies" sur d'autres questions ? Pourquoi cherche-t-on à construire cet Autre résolument maléfique, altérité repoussoir qu'il faudrait rejeter au plus loin tel la peste et avec laquelle toute discussion serait ignominie ? Cette construction de l'Autre maléfique n'est-elle pas un moyen de solidifier une identité monolithique et figée de soi ?

À propos des politiques covidiennes, le rejet dans discours critiques dans l'extrême-droite apparaît difficilement fondée en raison ; il ne repose sur aucune argumentation rationnelle et agit au contraire comme un procédé rhétorique de disqualification a priori de l'adversaire afin de délégitimer avec lui tout dialogue. On retrouve le même procédé avec l'accusation de "complotisme". N'y-a-t-il pas là non seulement un procédé frauduleux mais aussi dangereux ? Dangereux parce qu'il empêche la critique raisonnée de politiques covidiennes s'enfermant dès lors dans leur dogmatisme, dangereux parce que mensonger et calomnieux, excluant à tord des personnes pourtant authentiquement "de gauche" de ce champ politique, au niveau public et médiatique, dangereux parce qu'il pourrait alimenter l'extrême-droite en poussant vers elle une partie de la population et notamment les milieux populaires encore une fois snobés par les "bobos parisiens de gauche" ? Ce procédé n'est-il pas le réel "confusionnisme" qui brouille non pas les "frontières" avec l'Autre maléfique qu'il faudrait sauvegarder à tout prix dans l'esprit de certaines personnes, mais la pensée même, la rationalité conceptuelle des raisonnements ?

À force de rejeter toute discordance à une pensée monolithique et totalisante qui se veut la seule "bonne" et/ou "vraie", ne déconstruisons-nous pas non seulement la capacité de dialogue au sein de la société, la critique et l'échange et donc la diversité et l'hétérogénéité de la pensée de gauche ? La pensée peut-être être droite et juste dans de telles conditions ? N'était-elle pas au contraire asséchée, se condamnant elle-même à l'errement en l'absence d'altérité critique pouvant la questionner et lui apporter une pluralité de perspectives ? Une pensée qui se replie sur elle-même, dans un monologue orgueilleux, n'est-elle pas condamnée au dogmatisme, à la sclérose et à l'erreur ?

Là encore, il semblerait que certaines personnes ne regardent pas l'ensemble des conséquences de leurs choix politiques...

[1] J’y représentais, durant trois sessions, les mathématiques.

[2] Je me permet de noter ici qu’Hervé Le Bras étant né en 1942, il est lui-même une « personne âgée », tout comme moi, né trois ans après lui.

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