Billet de blog 18 avril 2008

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Le Nucléaire et les OGM, c'est risqué, Docteur ?

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Bien sûr que c’est risqué, comme toutes les techniques qui ont marqué les étapes de la civilisation. A commencer par la première : la domestication du feu. Malgré le risque accru par la sédentarisation dans des maisons en bois et en torchis, le foyer est au coeur de la famille, le forgeron au cœur de la cité. Sans jamais l’oublier ni le nier, on a appris à gérer le risque d’incendie en informant enfants et adultes (il ne faut pas jouer avec le feu), en prescrivant des normes de construction et des plans d’évacuation des bâtiments publics, en entretenant un corps de pompiers sauveteurs, etc..

Au 19ème et 20ème siècle, les innovations techniques de l’industrie et des transports ont apporté de nouveaux risques, souvent sous-évalués et gérés a minima (la gestion correcte d’un risque évalué rigoureusement coûte cher et diminue d’autant le profit de l’exploitant). Il ne faut pas chercher ailleurs la cause des grandes catastrophes de l’industrie chimique (Bhopal, Seveso), des nombreuses marées noires et des accidents nucléaires majeurs (Windscale1957, Tchernobyl 1986), tous préjudiciables à l’environnement.

Démocratie et gestion du risque

Il importe de distinguer l’évaluation du risque d’une technique (ce qui est du domaine du technicien) de la gestion de ce risque (ce qui est du domaine du politique).

En démocratie, régime où le peuple exerce la souveraineté, c’est aux représentants élus du peuple et à eux seuls qu’il incombe de réglementer l’usage des nouvelles techniques et la gestion des risques associés.

Ils peuvent se trouver dans l’impossibilité morale d’autoriser l’usage d’une technique dont le risque est insuffisamment évalué. Dans ce cas la Charte de l’environnement du 1er Mars 2004, annexée à la Constitution, leur permet de suspendre leur décision. En particulier par son

Article 5 -Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution, à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d’éviter la réalisation d’un dommage ainsi qu’à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques encourus.

Sans pouvoir interdire une technique à tout jamais, l’autorité publique peut et doit donc demander aux promoteurs de cette technique de préciser l’évaluation et le plan de gestion du risque associé si elle l’estime nécessaire pour en autoriser l’usage.

Passons à la pratique. L’utilisation pacifique de l’énergie nucléaire et la culture des plantes transgéniques ont le but louable de satisfaire aux besoins en énergie et en denrées alimentaires d’une humanité en croissance continue. Toutes deux sont promues par de grands groupes dont l’objectif principal est leur mainmise sur le marché mondial. Ces groupes ont des moyens puissants qu’ils emploient à célébrer les avantages et à sous évaluer les risques des nouvelles techniques. Ils s’efforcent, souvent avec succès, de faire porter le coût de la gestion du risque par les finances publiques en vertu du vieux principe « Privatiser les profits, socialiser les pertes ».Le principe de précaution, si opportunément remis en question par le rapport Attali, est ainsi à leurs yeux un obstacle à la croissance de l’économie, qu’ils assimilent sans vergogne à la croissance de leurs parts de marché.

D’autre part, les fondamentalistes anti-OGM ont repris, en plus bucolique, les méthodes des anti-nucléaires. A savoir : condamner sans appel une technique nouvelle, se fixer comme but l’interdiction de son usage et récuser toute évaluation du risque qui contredirait leurs visions apocalyptiques. Tout cela n’a pas grand’chose à voir avec la démocratie. Comme les manifestations anti-nucléaires et anti-OGM attirent de moins en moins l’attention des médias, hors campagne électorale, il y a fort à parier que le destin de ces écologistes profonds est de rejoindre les opposants au chemin de fer et à la vaccination dans les oubliettes de l’histoire.

Les grands et les petits secrets du nucléaire en France

Ceux qui ont travaillé dans les laboratoires du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA) vers 1960 se souviennent du culte du secret imposé par la hiérarchie. C’était dans l’air du temps de la guerre froide. Dans les films de cette époque, on pouvait voir Lino Ventura, tantôt gorille, tantôt chercheur patriote, combattre les services secrets d’une puissance étrangère rarement nommée mais parfaitement identifiable.

La prévention du risque nucléaire était alors assurée par un service ad-hoc du CEA, le Service de Protection Contre les Rayonnements Ionisants (SPCRI). Ce service interne, juge et partie dans un certain sens, usait et abusait du secret confidentiel-défense, même à l’encontre des chercheurs indépendants qui commençaient à s’inquiéter des rejets et des contaminations au voisinage des installations nucléaires. Cette politique injustifiée du secret peut expliquer pourquoi les antinucléaires, privés à leur corps défendant d’informations certifiées n’ont jamais vraiment eu confiance dans les évaluations du risque nucléaire quand elles venaient de scientifiques du CEA pourtant seuls compétents en la matière.

Le SPCRI a donné la mesure de son incapacité à gérer un risque extérieur en mai 1986, avec les déclarations du Prof. Pellerin sur le nuage de Tchernobyl, contredites depuis par les faits. Néanmoins, il aura fallu attendre le 13 Juin 2006 pour qu’une loi dite de transparence instaure une Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) statutairement indépendante du CEA. Pour mémoire, le gouvernement des Etats-Unis dispose d’une ASN depuis1975.

L’ASN est chargée entre autres du contrôle technique des installations nucléaires sur le territoire national, à savoir les centres de recherche, de fabrication et de retraitement des combustibles et le parc électronucléaire d’EDF. Chacune des centrales EDF doit subir en plus des contrôle inopinés (plusieurs par an) une visite décennale approfondie à l’issue de laquelle l’ASN donne l’autorisation de redémarrer la production, sauf découverte d’une cause d’insécurité rédhibitoire. N’en déplaise aux fondamentalistes anti-nucléaires, ce n’est pas aujourd’hui que la gestion du risque nucléaire qui pose problème. Le parc électronucléaire d’EDF est actuellement le plus jeune et le mieux surveillé du monde, si bien que demander à la France de renoncer à son industrie nucléaire n’a pas plus de sens que de demander à la Suisse de renoncer à son industrie horlogère et à la fabrication du chocolat aux noisettes.

Cependant, comme ces réacteurs de 2ème génération ont une durée de vie estimée à quarante ans, la question de leur arrêt et de leur démantèlement risque de se poser bientôt (à partir de 2018 pour Fessenheim par exemple). Question du remplacement de cette source d’énergie, sauf si les économies d’énergie permettent de s’en passer. Question financière surtout, car le démantèlement coûte cher, comme on s’en aperçoit dès maintenant sur le site de Brennilis.

En théorie ce ne devrait pas être un problème, car EDF a accumulé des provisions,- estimées à 80 milliards d’Euros -, pour financer l’entretien du parc. En pratique, ça pourrait devenir un problème, car on a omis de confier ces provisions à un fonds dédié à l’entretien du parc, comme c’est le cas au Royaume Uni. Ce n’est pas un secret, mais peu de gens savent que depuis son entrée en Bourse, EDF se sert de ces provisions pour entrer dans le capital des électriciens étrangers et accroître ainsi sa position dominante sur le marché européen. Avec un peu de malchance à ce jeu de Monopoly, le groupe EDF risque de devoir faire appel aux finances publiques pour le démantèlement des centrales. On ferait ainsi payer au contribuable de demain ce que le consommateur d’hier avait déjà payé.

En tout cas, l’usage qu’EDF privatisée fait de ce « trésor de guerre » prouve qu’elle suit une politique privilégiant la rentabilité financière au dépens de la mission de service public héritée elle aussi, comme les infrastructures et la clientèle captive, d’EDF entreprise publique.

Ce n’est pas de bon augure pour la poursuite d’une politique de gestion du risque qui était exemplaire jusqu’à maintenant.

Les OGM sont ils solubles dans la démocratie ?

En France, il est pratiquement impossible d’avoir un débat démocratique et apaisé sur les OGM. Certains agriculteurs voudraient bien optimiser le rendement de leur exploitation mais leurs produits ont de fortes chances de se retrouver dans notre chaîne alimentaire. Or le bien manger est partie intégrante de notre art de vivre national, et les cultures transgéniques sont perçues à tort ou à raison comme une menace pour l’environnement en général et pour les cultures dites traditionnelles en particulier.

La problématique des OGM en Europe a étéprésentée sans passion par Philippe Vasseur , ancien ministre de l’agriculture, ,président du Forum mondial de l'économie responsable, dans une tribune du Monde dont j’extrais les lignes suivantes :

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Pour en juger, quatre questions doivent être prises en considération : les OGM mettent-ils en danger la santé des personnes ? Constituent-ils une menace pour l'environnement et la biodiversité ? Peuvent-ils faire dépendre l'agriculture mondiale de quelques multinationales ? Sont-ils, au-delà d'intérêts particuliers, réellement utiles à l'espèce humaine ?

Ces questions sont évidemment cruciales. Aucun risque, bien sûr, ne doit être pris au détriment de la santé et de l'environnement. L'application élémentaire du principe de précaution s'impose donc. Mais dans un monde où les OGM continuent à proliférer (la surface qu'ils occupent pourrait doubler à l'horizon 2015), leur dangerosité ou leur innocuité ne peut être établie que par des recherches impartiales. Or, en France, le contexte général a provoqué un recul de la recherche sur les biotechnologies.……………..

Les efforts de recherche sont d'autant plus nécessaires que des voies nouvelles s'ouvrent pour répondre à la quatrième question : l'utilité des OGM pour toute l'humanité. Actuellement, la plupart des OGM commercialisés sont destinés à résister aux herbicides et aux insectes. Ils ne concernent donc que la production agricole. Mais les chercheurs ne cessent de montrer que, par différentes méthodes, ils peuvent créer des plantes capables de résister à la sécheresse ou à la salinité des sols, réclamant moins d'énergie et de traitements chimiques, dotées de meilleures propriétés nutritionnelles et sanitaires, ou permettant de lutter contre des maladies.

Sur un sujet aussi complexe, il est donc difficile de se contenter d'une critique globale et définitive. Dans une tribune (Le Monde du 17 janvier), Nicolas Hulot aborde le sujet avec une remarquable franchise : " Le profane que je suis n'a pas d'avis tranché sur l'avenir des OGM, et il se garde bien de fermer la porte aux biotechnologies. " Il ajoute " qu'il n'y a pas les OGM, mais des OGM, et qu'il est impératif de les étudier au cas par cas ". Je partage ce point de vue sans réserve. Il traduit la conception d'une " écologie responsable ".

(Fin de citation) Que Messieurs Vasseur et Hulot me pardonnent cet emprunt, mais le profane que je suis aussi n’aurait pas fait plus précis et plus court.

Cependant la tournure des débats parlementaires actuels m’amène à me demander si les principes démocratiques y sont bien respectés par un gouvernement qui légifère à marche forcée au niveau national après un simulacre d'écoute et de concertation.

Le risque environnemental des plantations transgéniques en plein champ n’est certainement pas évaluable uniformément et indépendamment de la variété d’OGM et du contexte cultural. Pour cette évaluation complexe le projet SIGMEA lancé en 2004 par un réseau de 44 laboratoires européens, dont 5 de l’INRA a rassemblé plus d’une centaine de jeux de données expérimentales dans un programme d’aide à la décision , présenté à Séville fin 2007.

SIGMEA permet ainsi de répondre à la question : Que se passerait-il, en terme de dispersion de gènes, si on introduisait tel OGM dans telle région européenne ? ou plus précisément encore : Comment organiser les cultures pour maintenir dans les limites des seuils légaux la présence fortuite d’OGM dans les cultures conventionnelles ?

On peut s’étonner de ce que l’existence d’un outil d’évaluation puissant et différencié comme SIGMEA , fruit de la collaboration des laboratoires européens, semble ignoré par nos parlementaires nationaux. Peut- être n’attendent il rien d’autre des institutions européennes que des directives et des subventions. Il se peut aussi que ceux qui connaissent cet outil aient pressenti que son utilisation était bien mieux adaptée à la gestion du risque au niveau régional ou local qu’au niveau national, comme la loi en discussion prétend le faire. Il est d’ailleurs symptomatique à cet égard que les amendements Giscard puis Chassaigne, dont l’adoption, puis le retrait sous la pression impérieuse du gouvernement Fillon a divisé la majorité, portaient sur la préservation des écosystèmes régionaux et locaux.

On peut aussi s’étonner de ce que la gestion du risque environnemental lié aux OGM ne soit pas dévolue aux autorités locales, comme on le fait pour le Plan d’Occupation des Sols. Elles sont à même de le faire en s’aidant des outils d’aide à la décision comme SIGMEA mis à leur disposition par le réseau des centres de recherche européens.

Claude BASTIAN, alias clbast37

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