
Une saison en enfer pourrait faire penser à une période difficile qu’aurait vécue Arthur Rimbaud. Le temps narratif est visité au passé avec un discours fragile : « jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s'ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient ». Se souvient-il bien de ce festin ? Pourtant, un soir, le jeune Arthur a vu la beauté amère, a demandé justice, et a confié son trésor aux sorcières, loin de l’espérance humaine. Dans un printemps au rire idiot, il cherche la clef du festin ancien : « La charité est cette clef. - Cette inspiration prouve que j'ai rêvé ! ». Il concède pourtant qu’il a rêvé un conte qu’il retranscrit sur son carnet de damné.
Le poète « au mauvais sang » se voit en héritier gaulois : « D'eux, j'ai : l'idolâtrie et l'amour du sacrilège; -oh ! tous les vices, colère, luxure, - magnifique, la luxure; -surtout mensonge et paresse ». Mais cet héritage familial le situe dans une paysannerie ignoble, alors qu’il a une main à plume qui écrit : « J'entends des familles comme la mienne, qui tiennent tout de la déclaration des Droits de l'Homme ».
Arthur Rimbaud, dans la race inférieure, n’a de souvenir antérieur, à l’histoire de France, qu’en fille aînée de l’Églisse : « le culte de Marie, l'attendrissement sur le Crucifié s'éveillent en moi parmi mille féeries profanes ».
Seul comme un lépreux animiste, parmi les orties, il danse le sabbat ne sachant plus dans quelle langue il parle : « Je n'en finirais pas de me revoir dans ce passé. Mais toujours seul ; sans famille ; même, quelle langue parlais-je ? Je ne me vois jamais dans les conseils du Christ ; ni dans les conseils des Seigneurs, - représentants du Christ ».
C’est donc la science qui prend la place du souvenir pour le corps et pour l’âme: « La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ? ». Rimbaud marche beaucoup, il quitte l’Europe et va dans les climats perdus. Tel un devin, il prédit ce qui vient à lui : « Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l'œil furieux : sur mon masque, on me jugera d'une race forte. J'aurai de l'or : je serai oisif et brutal ».
Quand on connaît le dénouement de sa vie, c’est impressionnant. S’il est bien revenu avec de l’or, il porte aussi à sa jambe un néoplasme (cancer) et sera amputé à Marseille en 1891, trois mois avant de mourir. Je ne terminerais pas ici l’accompagnement de ce sublime texte poétique, car je ne veux pas lire à votre place, et on n’est jamais si bon lecteur que par soi-même. C’est à vous maintenant de rêver chaque ligne, comme je l’ai fait jusqu’ici.
Avec ce billet d’édition, j’espère vous avoir mis en appétit pour lire ou relire « Une saison en enfer » un texte qui est dans ma mémoire depuis 1982, quand je le jouais dans un petit théâtre de la rue Saint-Honoré (aujourd’hui disparu).
Je pense que Rimbaud, dans un combat spirituel, afin d’effacer tous les souvenirs immondes, a prolongé sa poésie par l’action. Il ne l’a, en fait, jamais abandonné. Une saison en enfer est une écriture à jamais moderne, avec des élans vers la perfection.
Une Saison en enfer D’Arthur Rimbaud
Sa lecture est gratuite sur : https://www.poetes.com/textes/rbd_enf.pdf