
Aux antipodes pourtant, solitaires, exotiques parfois, ces personnages nous ressemblent et nous touchent. La terre a encore bougée au Japon mais cette fois l’évènement marque peut-être pour les personnages de ces six nouvelles la fin de quelque chose. Le capitalisme à haut rendement qui a vu disparaître l’esprit critique des années soixante (sic l’auteur), la douleur de ne pas se sentir au monde et de ne pas communiquer, la dissimulation du moi, le repli sur soi et l’individualisme qui bloquent toujours les héros murakamiens dans un monde intérieur semblent être ici remis en cause. Les mises en présence avec les autres, avec les objets et avec un évènement considérable produisent, par le passage de la vie intérieure à la société, des effets qui sont mis en perspective par l’auteur. Les protagonistes de ce recueil, légèrement en retrait du système existant, chacun à leur manière, suggèrent, nous semble-t-il, une inflexion possible.
Quand on met les émotions en mots, elles deviennent des songes nous dit l’auteur. Il tente donc de ne pas décrire indépendamment les sentiments de ses personnages mais donne mandat aux évènements pour cela. L’écriture, comme simple et direct témoignage, nous dit-il encore, ne rend pas compte de l’expérience aux limites, de la catastrophe et de son impact sur les hommes. Seuls la fiction, le surnaturel suggèrent l’indicible. Empiler des histoires simples, des phrases simples permet finalement à Murakami de décrire une réalité infiniment complexe. Ces histoires sont sans intrigue, sans cadre et dites à la troisième personne. « Après le tremblement de terre » est la description de ce que les gens pensaient d’où ils étaient avec la prémonition d’une autre catastrophe, il n’est jamais la description directe du séisme. Pourtant, Murakami absorbe tout le chaos afin de suggérer une direction concrète, des inflexions possibles, c’est du très grand art.
Murakami met incontestablement à jour avec ce petit livre (150 pages) quelque chose de nous-même et de notre monde moderne. Il est pour cela indéniablement, et ils ne sont pas si nombreux, un écrivain profondément d’aujourd’hui.