Billet de blog 30 juillet 2019

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Un jour, un livre - Le cinquième principe de Vittorio Catani

La science fiction est souvent mal perçue, pourtant "quel mal y-a-t-il à lire d'innocentes histoires d'aventures, distrayantes... mais qui font parfois réfléchir ?". Vittorio Catani nous présente une société aux conditions de vie terribles pour la plus grande partie : hybridations homme-machine, villes enterrées, spéculations à outrance, endettement illimité, esclavage légalisé.

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Illustration 1
Le cinquième principe - Vittorio Catani © La volte

4ème de couverture: "Terre, 2043. Diaspar, ville parfaite, domine un monde aux conditions de vie terribles pour la plus grande partie de la population : hybridations homme-machine, villes enterrées, spéculations à outrance, endettement illimité, esclavage légalisé. La généralisation des PEM (prothèses électroniques mentales), des implants cérébraux permettant de communiquer instantanément par un simple acte de volonté, a rendu l'esprit de chacun vulnérable aux attaques externes, tel un ordinateur. Dans ce scénario infernal, font brusquement irruption les E.E. (événements exceptionnels), des phénomènes physiques inexpliqués, violents et destructeurs, peut-être les premières preuves de l'existence d'un cinquième principe de la thermodynamique qui menace de faire vaciller les fondements mêmes de la société."

L'objectif de ce post ne sera pas de vous raconter les aventures palpitantes des personnages du roman ; mais plutôt de discuter avec vous de certains sujets évoqués et qui font en effet réfléchir, comme l'indique la citation du chapô ci-dessus, habile clin d’œil de l'auteur lui-même, via un des personnages de son roman (cf. page 254).

Dans le monde du roman, l'esclavage est donc légalisé. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, même à notre époque, l'esclavage existe encore : 40,3 millions de personnes en seraient victimes dans le monde, dont 129 000 en France (cf. 1 hebdo n° 221 du 17 Octobre 2018). On pourra aussi se reporter à une affaire récente en Italie : L'esclavage derrière nos tomates. La différence principale avec le roman est bien sur l'illégalité de l'esclavage à notre époque. Mais comment justifier de légaliser une telle pratique ? Il est intéressant de voir comment un des personnages le fait (cf. p 139): "[..] tu sais que certaines personnes veulent être esclavagisées ? Tu auras certainement à l'esprit ces jeux sexuels où il y a celui qui domine - et qui domine réellement - et celui qui se prosterne... Selon toi, serait-il éthique aujourd'hui de refuser l'esclavage à celui qui le désire ?". Ce personnage qui profite bien du système, à tôt fait de se convaincre que soumis et esclave représentent le même état d'esprit alors qu'un esclave est un soumis forcé non consentant.

En poursuivant dans le roman, le lecteur voit le déroulement d'une vente aux enchères de l'Antarctique, bien utile pour organiser l'approvisionnement mondial en eau potable ! L'un des riches participants à l'enchère se justifie ainsi : "Seul un privé, connaisseur du site... amoureux du site [..], et doté des moyens nécessaires, réussira à le préserver. A le transformer en fleuron, un atout qui lui restituera son lustre international et une reconnaissance, sinon une célébrité éternelle. [..] Une propriété privée, mais dans l'intérêt de l'humanité entière !". Impensable ? Honteux ? Pourtant, on voit déjà une multinationale comme Nestlé s'octroyer une bonne partie de la nappe phréatique de Vittel pour son besoin commercial (à lire ici: A Vittel, Nestlé privatise la nappe phréatique).

C'est vers la moitié du livre que l'auteur fait référence aux accords de Bretton Woods de Juillet 1944. C'est en effet lors de la conférence du même nom que 44 pays alliés signèrent les accords qui ont permis la création du FMI et de la banque mondiale, et donc le début de la mondialisation. Le discours d'Henry Morgenthau le décrit clairement : "Les orientations de développement innovantes que nous avons définies feront disparaître les frontières économiques et se redresser les populations tombées dans la pauvreté". Et effectivement, nous constatons bien aujourd'hui cette mondialisation sans limite, pourtant bon nombre de personne sont bien loin de se relever de leur pauvreté comme en témoigne le livre de Thomas Piketty - Le Capital au XXIè siècle qui constate le lent mais inexorable retour des rentiers d'avant les deux guerres mondiales. Toutefois, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Si la mondialisation a des effets pervers, il faut que les gouvernements se donnent les moyens de lutter contre. Pour résoudre le défi climatique, Jean Tirole dans son "Economie du bien commun", explique parfaitement qu'il ne pourra se faire qu'à l'aide d'un accord international et satisfaisant trois critères : efficacité économique, incitations à respecter les engagements et équité. Nous en sommes encore loin mais l'urgence est pourtant là, comme indiquer dans le rapport du GIEC (Rapport du GIEC : nous avons lu la page 108 conseillée par Thunberg).

Vittorio Catani s'inspire donc fortement de la réalité, mais surtout de comment elle pourrait dériver, pour construire et enrichir son récit. Une version littéraire de la série Black Mirror non limitée à la technologie. Au final, un roman à découvrir et à apprécier sans aucune retenue. 

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